Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alembert (Jean Le Rond d’) (suite)

Cette rupture avec Diderot ne détache cependant pas d’Alembert des encyclopédistes. Au contraire, il entreprend de faire prévaloir à l’Académie française, où il a été appelé en 1754, les idées philosophiques. Dès cette époque, ses préoccupations semblent s’infléchir vers les lettres et les arts : en 1752, il a publié des Éléments de musique théorique et pratique suivant les principes de M. Rameau ; en 1753, dans l’Essai sur la société des gens de lettres avec les grands, il célèbre la liberté, la vérité et la pauvreté comme les vertus cardinales de l’écrivain ; la même année, il fait paraître à Berlin les deux premiers volumes de ses Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie, qu’il devait enrichir jusqu’en 1783 ; en 1759, son Essai sur les éléments de philosophie, qui fait venir de la sensation tous les « principes des connaissances humaines », laisse cependant entrevoir une tendance spiritualiste. S’il fait encore une fois œuvre de polémiste dans son Éclaircissement sur la destruction des Jésuites (1765), il se donne bientôt tout entier aux travaux de l’Académie : il favorise l’élection de Marmontel, de La Condamine, de Condillac et de Saint-Lambert ; il donne un nouvel éclat aux séances solennelles en procédant, d’une « diction lente et calculée », à la lecture de ses Réflexions sur la poésie. Élu secrétaire perpétuel, à la mort de Duclos, en 1772, il reprend l’histoire de l’Académie au point où l’avait laissée d’Olivet : en dix ans, il compose soixante-dix-huit éloges, qui forment l’Histoire des membres de l’Académie française, morts depuis 1700 jusqu’à 1770. Il se passionne pour les problèmes de langage, déplorant l’abus du jargon scientifique, s’efforçant de définir les principes d’une méthode de traduction qu’il illustre par la transposition de passages de Tacite ou de scènes du Caton d’Addison.

Il meurt le 29 octobre 1783, sans avoir voulu recevoir le curé de Saint-Germain-l’Auxerrois. L’archevêque de Paris refuse la cérémonie religieuse, mais autorise l’inhumation au cimetière de la paroisse, « sans cortège et sans bruit ». Meister s’étonnera que les philosophes « trouvent tant de plaisir à être dans l’Église après leur mort, et tant de gloire à n’y être pas de leur vivant ». Il est vrai que le testament de d’Alembert commençait par « Au nom du Père... ».

J. D.

➙ Algèbre / Analyse / Diderot (D.) / Encyclopédie.

 M. Muller, Essai sur la philosophie de Jean d’Alembert (Payot, 1926). / R. Grimsley, Jean d’Alembert (Londres, 1963).

Alep

En ar. Ḥalab, principale ville de la Syrie du Nord ; 639 000 hab.



Géographie

C’est sa situation qui explique Alep. Un ensellement dans la série des massifs littoraux levantins, occupé par le bas cours de l’Oronte, ouvre vers le coude de l’Euphrate la voie la plus directe de passage de la Méditerranée vers la Mésopotamie. De plus, la pénétration des effluves maritimes par cette brèche augmente les précipitations et fait régner des conditions de steppe cultivable jusqu’au voisinage du fleuve, qu’atteint l’isohyète de 200 mm (l’isohyète de 400 mm passant près de la ville). À mi-chemin entre la côte et l’Euphrate, Alep commande cette voie de relations exceptionnelle.

Le site, en revanche, est banal. À proximité d’un chétif cours d’eau de la steppe, le Koueik (Quwayq), une colline escarpée, sur laquelle se dresse encore aujourd’hui la citadelle, offrait un site défensif qui fut mis à profit de bonne heure pour une agglomération (le nom de la ville apparaît dans les textes hittites dès le début du IIe millénaire avant notre ère). Mais la fortune de la ville ne s’affirma qu’après la ruine de ses concurrentes pour l’exploitation de la route commerciale : Chalcis (Qinnasrīn), détruite en 963 et dont la population fut réinstallée à Alep ; Antioche surtout, rasée par les Mongols en 1268. Alep devint dès lors le plus grand centre commercial du Levant, relayant, après le déclin du commerce continental vers les Indes, sa fonction de transit lointain par un rôle de centre de pénétration de l’influence européenne dans tout le Moyen-Orient. La population atteignait déjà sans doute près de 300 000 habitants au xviie s.

De cette situation et de cette permanence de la fonction commerciale découle une physionomie urbaine qui donne à Alep une place particulière parmi les villes syriennes. Cité industrieuse, aux horizons élargis, foyer d’initiatives et de développement moderne, elle est par bien des points l’antithèse de Damas, la capitale, beaucoup plus traditionaliste.

La fonction commerciale de transit n’est plus qu’un souvenir. Jusqu’en 1869 encore, le rayonnement commercial d’Alep s’étendait par-delà la Syrie du Nord, sur la Mésopotamie et une partie de l’Iran. L’ouverture du canal de Suez détourna ce trafic vers le golfe Persique et la voie maritime. L’arrière-pays d’Alep, encore largement étendu vers l’Anatolie du Sud-Est jusqu’à la Première Guerre mondiale, s’est rétréci après la dislocation de l’Empire ottoman. Mais ce rôle commercial a laissé des traces indirectes. Il avait en effet concentré dans la ville deux éléments décisifs de progrès : des capitaux et une classe commerçante dynamique et tournée vers l’extérieur.

Alep a une fonction très étendue d’organisation de l’espace agricole. Au centre de campagnes cultivables en culture pluviale dans un cercle d’une centaine de kilomètres de rayon, ses classes dirigeantes ont développé leurs propriétés dans les steppes voisines, où l’influence foncière de la ville est considérable (beaucoup plus étendue que celle de Damas). C’est sous l’impulsion de la bourgeoisie d’Alep que s’est dessiné le mouvement de marche pionnière qui, depuis la fin du xixe s., a largement reconquis les régions marginales du désert, naguère bédouinisées. Depuis la Seconde Guerre mondiale, d’autre part, les capitalistes d’Alep ont élargi considérablement leur champ d’action en jouant le rôle décisif dans la recolonisation agricole de la Djézireh, frange septentrionale du désert de Syrie ; ils y pratiquent une grande culture céréalière mécanisée, sans installations permanentes entre les semailles et les récoltes, en versant des redevances aux chefs nomades récemment fixés qui ont la propriété théorique du sol.