Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cracovie (suite)

Pour l’histoire générale de l’art européen, cependant, le Wawel offre une importance encore supérieure. Il reflète un courant d’humanisme renaissant brillant et précoce, parallèle à celui que connut la Hongrie, mais dont les traces se sont mieux conservées. C’est au roi Sigismond Ier Jagellon qu’est due la transformation du vieux château en palais à l’italienne. Dès 1507, il fit appel à l’architecte Francesco Fiorentino († 1516), qui se trouvait à la cour de Budapest. Celui-ci régularisa le château et lui donna comme centre un grand « cortile » à trois étages, doté d’un riche décor de balustrades et de médaillons : c’est la première manifestation importante de l’architecture florentine au nord des Alpes. Vinrent ensuite, entre 1520 et 1535, les décors intérieurs de l’« étage noble », avec la salle de la Diète et son plafond à caissons aux 194 têtes (il n’en reste que 30) d’un expressionnisme saisissant, véritable galerie de portraits mythologiques ou contemporains. Pour le décor des murs, 136 pièces de tapisserie furent commandées à Bruxelles sur les cartons du maniériste Michiel Coxcie.

En même temps, l’architecte Bartolomeo Berecci (ou Berrecci, † 1537), assisté du sculpteur Giovanni Maria Padovano, construisait au flanc de la cathédrale gothique la chapelle funéraire des rois, dite « chapelle Sigismond », à plan centré surmonté d’une coupole octogonale. Synthèse de la pureté florentine et romaine et de l’opulence décorative de l’Italie du Nord, la chapelle associe les frises mythologiques aux statues des saints patrons de la Pologne pour abriter les mausolées royaux. Cet ensemble eut une influence rapide à partir de 1540, et Padovano, qui dirigea jusqu’à sa mort, en 1574, un atelier très actif à Cracovie, répandit dans toute la Pologne les formes architecturales et les motifs décoratifs de la Renaissance.

Le baroque italien est également présent à Cracovie (église des Saints-Pierre-et-Paul), comme le classicisme du xviiie s. Le xixe s. voit le plus grand peintre d’histoire polonais, Jan Matejko (1838-1893), grouper autour de lui toute une pléiade d’artistes à l’école des Beaux-Arts.

P. G.

Cranach (Lucas), dit l’Ancien

Peintre allemand (Kronach 1472 - Weimar 1553).


La famille de l’artiste doit son nom à la petite ville de Kronach, en Franconie. Son père, Hans (v. 1510-1537), était lui-même peintre, mais on ne connaît aucune œuvre de sa main. Lucas apparaît en 1501-02 ; jusqu’en 1504, il est à Vienne, où il exécute des tableaux d’une maturité singulière, qui ne seront pas sans influence sur l’école dite « du Danube » et sur les paysages de celle-ci (v. Altdorfer). Plusieurs Crucifixions datent de ce séjour ; la plus remarquable est sans doute celle de 1503, où le Christ, presque de profil, est rejeté sur le côté, devant un arbre dépouillé (pinacothèque de Munich). Un Repos pendant la fuite en Égypte de 1504, idylle populaire d’un coloris très frais, montre, avec ses angelots, une face gracieuse du génie du peintre (musée de Berlin-Dahlem). Lucas peint aussi des portraits d’humanistes viennois : l’historiographe Johannes Cuspinian, l’universitaire Johann Stephan Reuss et leurs femmes.

En 1505, nommé peintre des Electeurs de Saxe, il émigre à Wittenberg. Très vite, il jouit d’une grande réputation, et son atelier, prospère, où travaillent de nombreux aides, reçoit en 1508 la marque du dragon ailé qui caractérisera ses productions, non sans rendre malaisée la distinction entre le maître et ses disciples. Lucas, bourgeois fort aisé, sera en 1519 membre du conseil de la ville. Au début de cette période, il peint plusieurs retables : celui, assez gauche, de Sainte-Catherine (1506, plusieurs panneaux au musée de Dresde), le retable dit « de Torgau » (1509, institut Städel de Francfort), dont le panneau central représente une Sainte Parenté, tandis que, dans une autre œuvre sur le même sujet (musée de Vienne), Cranach s’est représenté lui-même.

Vers 1515, il est chargé d’orner de ses dessins plusieurs pages du livre de prières de l’empereur Maximilien, rivalisant ainsi avec Albrecht Dürer*. Il a derrière lui une abondante et brillante production graphique, notamment de nombreuses scènes de martyre traduites sur le bois, mais il la délaissera par la suite. Il est devenu, comme ses princes, un sectateur décidé de la Réforme et, en 1525, il grave notamment sur le cuivre un portrait de Luther.

Une très importante partie de son œuvre, au cours de la période de Wittenberg, est constituée par des portraits princiers, pour lesquels, parfois, il ne fait que fournir des esquisses au pinceau sur papier, que ses élèves transposeront sur la toile. Le musée de Reims conserve un certain nombre de ces esquisses de visages, d’une énergie souvent farouche. Quelques-uns des portraits définitifs, comme celui du duc de Saxe Henri le Pieux et de sa femme Catherine de Mecklembourg (1514, Dresde), sont des ouvrages d’apparat où les personnages, en pied, portent des costumes d’une bigarrure qui les fait ressembler à des espèces de mannequins de mode. Plus émouvante dans sa familiarité est certes la petite fille en noir du musée du Louvre, aux cheveux blonds retombant en mèches lumineuses et bouclées (v. 1521).

Toute une autre part — et non la moins abondante — consiste, de manière assez inattendue, en nus à prétextes plus ou moins mythologiques ou historiques : Nymphes, Vénus, Dianes, Lucrèces, d’esprit résolument érotique — filles au corps gracile, à peine voilé d’une écharpe transparente, aux seins pommelés, à la tête petite et ronde, aux yeux allongés à la chinoise. Ces figures fort sophistiquées apparaissent assez tôt, mais accentuent leur type et se multiplient surtout aux environs de 1530. Elles ont également leur place dans les compositions à nombreux personnages, comme l’Âge d’argent (1527, musée de Weimar), Judith et Holopherne (1531, château de Gotha) et surtout le Jugement de Pâris, où l’une des déesses abrite sa nudité sous un immense chapeau, tandis que le chevalier se réduit à une armure articulée qui ne semble recouvrir aucun corps (1529, Metropolitan Museum de New York, dessin à Brunswick). Y a-t-il une intention caricaturale ? Elle existe en tout cas dans une série de tableaux satiriques sur le thème, cher au folklore, de la courtisane caressée par un vieillard. Enfin, en bon serviteur, Lucas s’acquitte de sa charge de peintre de cour lorsqu’il représente les chasses de ses maîtres en des tableaux d’une gaucherie affectée, dont l’exemplaire le plus connu, daté de 1529, se trouve au musée de Vienne.