Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cooper (Fenimore) (suite)

L’intrigue, souvent invraisemblable, rassemble les personnages d’une mythologie sociale : en haut, les aristocrates — naturels comme les chefs indiens ou civilisés comme Middleton —, qui incarnent le Bien ; en dessous, la classe moyenne, solide mais bornée ; en bas, les Bush, envahisseurs matérialistes détruisant la Prairie, qui incarnent le Mal et sont, chez Cooper, l’équivalent des Snopes chez Faulkner. Natty Bumppo, trappeur blanc ami des Indiens, est l’archange de la Prairie, gardien d’un état naturel, d’un paradis en perdition. Incarnation de l’état d’innocence, anarchiste à l’état de nature, Natty est un être presque mythologique, comme l’a senti Balzac : « Un magnifique hermaphrodite moral, né entre le monde sauvage et le monde civilisé. »

Cooper est un romancier conventionnel, plus soucieux de morale que de finesse psychologique. Mais, avec sa Prairie, où l’homme ne peut se réaliser qu’en détruisant l’innocence, Cooper dresse déjà les grandes obsessions du roman américain : obsession de l’innocence et de la Prairie perdue, opposition de l’Est et de l’Ouest, du Bien et du Mal, de la lumière et des ténèbres. Ces oppositions traduisent les ambiguïtés d’une « nation coloniale » qui appartient à l’Ancien et au Nouveau Monde. Elles s’expriment, par la lutte de l’Indien et du colon, du Noir et du Blanc, du pionnier et du trappeur, sur un rythme de fuite et de poursuite qui est déjà le « western ». Dans la défense d’une Prairie qui est le symbole de l’innocence, Natty est le prototype du héros américain : viril, solitaire, chaste.

Mark Twain a condamné le romanesque de Cooper comme « du delirium tremens, sans vraisemblance ni réalisme ». Effectivement, le rêve politique de Cooper lui a fait décrire une Amérique plus mythique que réelle. Mais, dans la mesure où le Nouveau Monde était la terre d’élection de toutes les utopies, Cooper a exprimé le visage à la fois idéal et réel de l’Amérique. Ainsi, le mythe américain devenait réalité et entrait dans la littérature. La Grèce avait l’Iliade, Rome l’Énéide. Avec les romans de Fenimore Cooper, l’Amérique a rédigé sa mythologie et s’est donné une épopée nationale.

J. C.

 D. H. Lawrence, Studies in Classic American Literature (New York, 1923). / J. Grossman, James F. Cooper (Londres, 1950). / H. N. Smith, Virgin Land, the American West as Symbol and Myth (Cambridge, Mass., 1950). / T. Philbrick, James Fenimore Cooper and the Development of American Sea Fiction (Cambridge, Mass., 1961). / J. Cabau, la Prairie perdue. Histoire du roman américain (Éd. du Seuil, 1966).

coopération

Méthode d’action par laquelle des personnes recherchent, volontairement et librement, la satisfaction de leurs besoins personnels, familiaux ou professionnels au moyen d’une entreprise commune gérée par eux-mêmes, à leurs avantages et à leurs risques, sur la base de l’égalité de leurs droits et obligations.


La coopération moderne semble être née en même temps que se développait en Europe une économie industrielle dans laquelle apparaissaient simultanément le prolétariat et la misère ouvrière. C’est pour échapper à la condition prolétarienne que se constituèrent les premières coopératives ouvrières de production (l’Association chrétienne des bijoutiers en doré, Paris, 1834) ; c’est pour échapper à la misère que se constituèrent les premières coopératives de consommation (le Commerce véridique et social, Lyon, 1835 ; les Équitables Pionniers de Rochdale, 1844).


Les coopératives de consommateurs

Conçue à l’origine pour acheter en commun et à des prix de gros des marchandises qu’on revendait au juste prix, la coopérative de consommation n’a pas échappé au mouvement de concentration qui semble bien caractériser la distribution* moderne. Pendant longtemps, les entreprises coopératives françaises ont échappé à ce mouvement, notamment du fait des oppositions mêmes qui, jusqu’en 1905, avaient retardé l’unité des partis socialistes et qui, aujourd’hui encore, freinent les tendances à l’unité syndicale. Pendant tout le xixe s. et le début du xxe, la division était accentuée par la coexistence, à la tête des diverses sociétés coopératives de consommation, d’hommes ayant des conceptions différentes de la finalité de leur action ; pour les uns. il s’agissait d’une forme perfectionnée de paternalisme destinée à soulager la misère ouvrière et, de ce fait, à détourner les travailleurs d’une action politique dangereuse ; pour d’autres, l’action coopérative constituait, au mieux, une école pour les futurs cadres de la révolution ; pour d’autres, enfin, il s’agissait d’un procédé pacifique de conquête du pouvoir économique et politique.


La république coopérative

Cette troisième tendance, inspirée par l’école de Nîmes et la doctrine solidariste élaborée par Charles Gide, est sans doute à l’origine de l’unité coopérative de 1912, date à laquelle il faut noter, par ailleurs, la tendance à la totale dépolitisation du mouvement.

Reprenant la formule du libéral Frédéric Bastiat (1801-1850) : « Il faut apprendre à envisager toutes choses du point de vue du consommateur », le socialiste Ernest Poisson, premier cosecrétaire de la Fédération nationale des coopératives de consommation, entend opposer à l’économie politique de la production, l’économie politique de la consommation, qu’il désigne sous l’appellation de république coopérative et dont il estime qu’elle « correspond au véritable intérêt général par le fait qu’elle peut plus utilement servir la cause de l’accroissement des richesses que la société actuelle et qu’elle offre en même temps un système équitable et adéquat de répartition des richesses ». Sans doute, constate-t-il, les deux fonctions essentielles sont la consommation et la production : fonctions étroitement liées, « car on ne s’imagine guère théoriquement qu’on puisse produire autrement que dans le but de consommer [...] et on ne consomme en réalité que ce qui a été produit ». (Ernest Poisson n’avait pas connu la publicité moderne, grâce à laquelle il est devenu possible de produire pour vendre et non plus seulement pour consommer.) « Dans la société économique actuelle, qu’on qualifie de société capitaliste, la fonction dominante est sans conteste la production [...]. La société actuelle est caractérisée par la course au profit » ; ce dernier étant la conséquence du « véritable monopole que possède celui qui détient l’instrument de travail [...]. Le résultat est que l’on produit sans même se soucier de savoir si cela correspond à une consommation certaine : de là les crises fréquentes, tantôt de surproduction, tantôt de sous-production. Il résulte des directives mêmes de la société économique que la consommation n’est là que pour servir la production [...]. Certes, on peut prétendre que chacun est à la fois consommateur et producteur. Cela est vrai d’apparence, mais c’est avec une mentalité différente, que, comme Maître Jacques, chacun envisage les questions économiques. Comme producteur, c’est contre l’ensemble de la population que chacun se dresse pour essayer de tirer au profit de sa catégorie sociale le maximum d’avantages ; comme consommateur, on envisage les problèmes de tout autre façon [...]. La société capitaliste tendant au profit ne peut l’augmenter qu’en fournissant des produits de la plus mauvaise qualité possible ; au contraire, les coopérateurs n’ont pas d’intérêt à se tromper eux-mêmes. Une société coopérative qui repose sur les besoins à satisfaire tendra forcément à la probité commerciale. »