Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Contre-Réforme (suite)

Le fond du problème : exigence de réforme ou eschatologie

Toute l’époque d’avant la Réforme est imprégnée d’« attente », et ce puissant mouvement irrationnel est lourd d’eschatologie, c’est-à-dire d’espérance dans le retour imminent de l’âge d’or, sorte de redécouverte des données originelles. La fin du xve s. est un temps de révolution, annonciateur de grands changements. Il y a ainsi des époques dans l’histoire qui ne veulent plus être ce qu’elles paraissent, où l’essentiel consiste en une attente active, en une certitude de changement.

La Renaissance procède des mêmes besoins, mais plus policés, contrôlés, rationalisés pourrait-on dire. La Réforme en est, en grande partie, la forme panique, tragique et profondément religieuse. La crise de la Réforme, protestante ou catholique, peu importe, est d’abord cette exaspération de forces religieuses profondes qui ne trouvent plus dans l’Église de leur temps la possibilité de s’accomplir et de s’exprimer.

Ainsi, on discerne dans cette exigence de réforme deux aspects : l’un, habituel, le médiéval, depuis longtemps en cours, par rapport à quoi la Réforme du xvie s. est plus une conséquence qu’une nouveauté ; l’autre, nouveau, est celui de forces neuves qui cherchent en Occident leur expression religieuse.


Les raisons d’une crise

Dès le milieu du xve s., le monde occidental est à la recherche d’un nouvel équilibre. Dans l’Église, les papes, mêlés de plus en plus étroitement à la politique italienne, délaissent leurs devoirs de pasteurs. La réforme de l’Église est sans cesse ajournée, le magistère romain s’affaiblit, pendant que l’Empire achève de perdre tout prestige. L’idée de croisade, ciment de la chrétienté médiévale, s’affaiblit.

Calixte III (1455-1458), impopulaire par son népotisme, prêche sans succès la croisade contre les Turcs. Hormis les peuples qui sont proches — Hongrois de Jean Hunyadi, Albanais de Skanderbeg —, aucun prince ne répond à son appel. Pie II (1458-1464) et Paul II (1464-1471) n’ont pas plus de succès. À partir de Sixte IV (1471-1484), qui s’attache à transformer par les pires moyens les États de l’Église en monarchie italienne, il n’est plus question des grands intérêts de la chrétienté. Les pontificats corrompus et scandaleux d’Innocent VIII (1484-1492) et d’Alexandre VI Borgia (1492-1503) achèvent de déconsidérer la papauté.

Celle-ci essaie cependant de lutter contre les hussites de Bohême, mais les Tchèques de Georges de Poděbrady résistent, et, en 1484, catholiques et utraquistes signent la paix. Pour la première fois, précédent très lourd de conséquences, l’autorité civile accorde protection et mêmes droits à des hérétiques contre l’aveu de Rome. Cependant, l’hérésie hussite dégénérera et n’aboutira qu’à une réforme manquée. Les autres hérésies, la vaudoise, la cathare (disparue avec la Bosnie en 1463), celle des fraticelles, ne représentent alors plus grand-chose.

C’est en Allemagne que les doctrines suspectes sont les plus vivaces, et un Johannes Wessel Gansfort (v. 1420-1489) préfigure Luther par une doctrine qui prône la primauté de la foi et des Écritures sur la Tradition et attaque vivement les indulgences et la papauté.

Pourtant, un travail de réforme se poursuit chez des réguliers comme les Bénédictins et les Cisterciens. Il dégénère en guerre civile chez les prêcheurs, qui se divisent en observants et conventuels et qui perdent de leur prestige. Quant au clergé séculier, il est très insuffisant, sans préparation ni savoir, les prélats eux-mêmes s’employant surtout à accumuler les bénéfices. Aussi réforme et discipline sont-elles prêchées sans ensemble ; elles le sont toutefois par les Frères de la vie commune en Allemagne et aux Pays-Bas ; un de leurs amis, Jean Standonck, recteur de l’université de Paris, veut réformer la vie du clergé français.

Le relâchement du clergé et de l’épiscopat explique que, si le cadre de vie est officiellement chrétien, la religion est trop souvent superficielle et limitée aux pratiques mécaniques. Un clergé urbain occupé de ses revenus, un clergé rural mal rétribué et grossier, des couvents relâchés, toutes ces raisons unies à un concours de forces neuves telles que la doctrine d’Érasme et de Luther, l’avidité des princes à s’emparer des biens ecclésiastiques vont aboutir à un ébranlement profond du monde chrétien.

Toutefois, ce n’est là qu’un aspect de la question. À l’historiographie de la Réforme par les abus, il faut ajouter celle de la Réforme par la réforme, exigence permanente de l’Église médiévale.


La réforme catholique avant le concile de Trente

La réforme tridentine est précédée de la fondation d’ordres nouveaux en Italie. Dès le pontificat de Léon X, au plus tard en 1517, l’initiative part de Rome, d’un groupe d’ecclésiastiques et de laïques cultivés qui s’unissent en une fraternité, l’Oratoire de l’amour divin ; au début, ils n’ont d’autre souci que de se renouveler intérieurement par des œuvres de piété et de charité ; puis des filiales s’érigent dans plusieurs villes italiennes. Mais tout cela est peu organisé.

Deux des membres de l’Oratoire, Gaétan de Thiene et Jean-Pierre Carafa, fondent en 1524 un ordre de clercs réguliers, les Théatins. Cet institut préfigure en quelque sorte celui des Jésuites. La mission de ces prêtres, qui vivent en communauté, est de donner au clergé l’exemple du savoir, de la discipline et de la vertu. Pépinière d’évêques et de hauts dignitaires, ce petit corps d’élite sera un agent insigne de la réforme catholique.

Les Barnabites, ou clercs réguliers de Saint-Paul, fondés en 1530 par saint Antoine Marie Zaccaria, ont un recrutement plus démocratique et se vouent principalement à la prédication et à l’enseignement ; leurs collèges seront imités plus tard par les Jésuites.

D’autres ordres sont fondés qui se consacrent aux exercices de charité : les Somasques de saint Jérôme Emilien, confirmés dès 1540 par Paul III et qui se vouent aux orphelins, aux pauvres, aux malades ; les Frères de Charité, institués par saint Jean de Dieu en 1537 (auj. Frères hospitaliers de Saint-Jean-de-Dieu). En 1525, la réforme franciscaine de Matteo da Bascio amène les Capucins à la pauvreté absolue ; ces mendiants exerceront dans les milieux populaires français et italiens une influence considérable.