Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Consulat (suite)

Les idéologues, bourgeois à talents, réformateurs politiques, dénoncent un régime institutionnel instable né de la Constitution de l’an II. Ils préconisent avec Sieyès, Benjamin Constant, Mme de Staël un changement institutionnel qui mettrait à l’abri du royalisme comme de l’« anarchie ». Langage que peuvent aussi comprendre les paysans qui ont acquis des biens nationaux et se sont débarrassés des prélèvements féodaux qui grevaient leurs exploitations. Ces « coqs de village » veulent, avec le reste de la communauté rurale, la paix. Ils n’en peuvent plus d’une guerre qui tire le fils hors du champ, mais aussi un artisan indispensable à la réparation du train de culture, les manouvriers et les journaliers dont l’absence accroît les exigences de salaires de ceux qui restent sur place ; insoumis ou déserteurs, ces hommes au bord du brigandage viennent parfois grossir les bandes de « chauffeurs » qui pillent les campagnes.

Et puis le peuple français reste attaché au catholicisme. Il est, en grande partie, choqué par la déchristianisation. C’est pour beaucoup un déchirement que de savoir l’enfant sans baptême, la fille dans le concubinage, le père sans sépulture sainte.

C’est cette France réelle qui appelle de ses vœux une stabilisation et une consolidation de la Révolution, non une radicalisation, ni un retour à 1793. C’est elle qui va soutenir Bonaparte, tout en dessinant les contours dans lesquels son action pourra s’inscrire : c’est elle qui se résignera à la dictature militaire pour que l’essentiel du régime républicain soit maintenu. De part et d’autre du 18-Brumaire, il y a une république bourgeoise.

C’est aussi le génie d’un homme, Bonaparte, d’avoir compris, un temps, ce que les conditions sociales du moment lui permettaient de vouloir.


Bonaparte

Petit, bas de jambes, maigre, mal mis et mal peigné, qui est ce général de trente ans qui prête son sabre aux idéologues ? Le personnage apparaît ambigu aux contemporains eux-mêmes. Gentilhomme, il a pris fait et cause pour la Révolution ; Corse, il a lutté contre le nationaliste Paoli ; jacobin aux idées avancées, il a fait en Thermidor de la prison avant de sauver le régime en fusillant les royalistes sur les marches de Saint-Roch. En 1799, les royalistes croiront encore qu’il peut jouer le rôle d’un général Monk et aider à une restauration.

C’est en fait un homme du Siècle des lumières. Il a lu dans les philosophes ce qu’il subissait : l’iniquité d’une société où la naissance mettait des bornes à son ambition, le condamnait à la médiocrité des subalternes, les grades supérieurs étant réservés à la haute noblesse. Sceptique, il a souffert comme d’autres de l’intolérance religieuse. Mais, individualiste comme ses contemporains, il est plus qu’aucun décidé à s’imposer aux hommes et aux choses. « Mon ambition, dira-t-il, est si intimement liée à mon être qu’elle n’en peut être distinguée. » Réaliste, il saura vivre la Révolution en apprenant à connaître la volonté du plus grand nombre. Sachant ce qui tient le plus au cœur des Français, il saura mieux les commander et s’en faire obéir.

Pour l’heure, il doit composer. Il ne peut s’appuyer ni sur des masses paysannes qui ont perdu leur unité en 1789, ni sur des masses populaires urbaines aux contradictions profondes et qui ne peuvent plus avoir de volonté commune. Il reste l’armée.

Mais ce général auréolé de la gloire de la première campagne d’Italie malgré l’insuccès de l’aventure égyptienne n’a pas les soutiens unanimes que nos manuels d’histoire décrivent souvent. Il est, en fait, à la tête d’une clientèle et en rivalité avec d’autres qui rêvent aussi de s’emparer de l’appareil d’État. Bonaparte mettra quelque temps à se rendre maître de cette société militaire où existent complots et sociétés secrètes.

La bourgeoisie est la seule classe sociale qui a conscience de ses intérêts communs ; c’est avec elle qu’il va faire une alliance, qui, comme toute alliance, sera un compromis. De ce compromis sortira la France moderne que la Révolution a fait naître.


L’œuvre

Bonaparte tente avec intelligence, dès les premières années du Consulat, cette conciliation, avortée en 1789, des élites bourgeoises et nobles. Il raye d’un coup 52 000 émigrés de la liste des proscriptions. La république de 1799 est celle des notables, c’est-à-dire qu’elle organise et consolide une société dont le commun et unique dénominateur est l’argent. Mais la république des notables est aux ordres d’un Premier consul, qui se sert de la guerre et de la paix pour accroître encore ses pouvoirs et mène la France vers l’Empire en se jouant de la souveraineté populaire par le plébiscite.


L’œuvre économique et financière

La république des notables a d’abord des bases économiques créées par le régime. La situation financière du Directoire était plus saine qu’on ne l’a dit. Dès 1796, l’assignat avait été supprimé ; son substitut, le « mandat territorial », ne dura guère qu’un an. On assista à une reprise des frappes d’argent et de la circulation de ce métal. Le paiement des contributions fut exigé en numéraire. Mais la dépression persista : le commerce intérieur continua à stagner et des faillites brutales survinrent. La chute du trafic colonial et la contraction du crédit se conjuguent pour les expliquer.

Le 13 février 1800, la Banque de France est créée (v. banque). Elle prend la suite de la Caisse d’amortissement, fondée par Martin Gaudin et dont François Mollien fut l’administrateur, et de deux caisses privées : la Caisse des comptes courants (Perrégaux, Récamier, Desprez) et la Caisse d’escompte du commerce.

Organisme privé au capital de 30 millions en actions de 1 000 francs, elle sera de plus en plus placée sous la tutelle de l’État et acquerra, à travers les réformes de 1803 puis de 1806, le monopole d’émission des grosses coupures de monnaie.

On peut la comparer (J. Bouvier, Initiation au vocabulaire et aux mécanismes économiques contemporains, xixe-xxe siècles) à une pompe aspirante et refoulante. Dans un premier temps, elle aspire les effets de commerce, dont elle fait l’escompte ou le réescompte, allégeant ainsi la trésorerie des organismes modestes de crédit qui dominent le marché financier français. Elle soutient et anime les transactions commerciales ou industrielles. Elle refoule des espèces monétaires qui, dans un second temps, lui sont redonnées pour acquitter les traites venues à échéance. « Banque des banquiers et des banques, elle est le pilier de tout le système bancaire et monétaire. »

Ce dernier est lui-même modifié. L’argent est confirmé comme métal monétaire principal, mais le bimétallisme est maintenu sur la base d’un rapport de 1 à 15,5 entre l’argent et l’or. La réforme opérée en mars-avril (germinal) 1803 s’avérera solide : le franc germinal durera jusqu’à la Première Guerre mondiale.