Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

constitution (suite)

D’autres spécialistes estiment que l’irrégularité d’une révision emporte la nullité de celle-ci ; cette position implique évidemment le refus de l’idée même de révision coutumière. La gratuité d’une telle position est évidente ; un problème ne se poserait vraiment que si une majorité nouvelle décidait d’ignorer le nouveau texte et de revenir à la pratique adoptée en 1958. Pour ce qui est de la révision par le simple usage, on pourrait sans doute admettre qu’un usage nouveau se substituant à l’usage ancien corresponde à l’application même du texte originel.


Le contrôle de la constitutionnalité des lois

Il est d’autres atteintes à une constitution rigide que la révision irrégulière de son texte. Une loi ordinaire peut constituer une violation au texte constitutionnel, notamment en ce qui concerne les garanties que ce texte apporte aux citoyens. Pour qu’une constitution écrite limite effectivement les gouvernants, il est nécessaire qu’elle organise un contrôle efficace du respect par le législateur des garanties constitutionnelles, c’est-à-dire de la constitutionnalité des lois adoptées par les Assemblées législatives.

Sieyès avait imaginé un « jurie constitutionnaire » — recruté par cooptation — chargé de vérifier la conformité à la Constitution de chaque loi nouvelle. En l’an VIII, il modifie son projet et fait charger le Sénat du pouvoir de vérifier la constitutionnalité des lois ; l’idée est reprise dans la Constitution du second Empire ; il semble bien que ce second Sénat impérial n’ait, pas plus que le premier, prononcé la moindre annulation d’un texte anticonstitutionnel ou prétendu tel. C’est cependant à une idée du même genre que se rattachent les contrôles de la constitutionnalité prévus par les Constitutions de 1946 et — à un moindre degré — de 1958. Dans le premier de ces textes, un organisme politique — composé du président de la République, des présidents des deux Assemblées et de dix membres élus (sept par l’Assemblée nationale et trois par le Conseil de la République) — pouvait être saisi par le Conseil de la République afin de savoir si un texte voté par l’Assemblée nationale était ou non conforme à la Constitution ; ce comité — saisi avant l’expiration du délai de promulgation — s’efforçait d’abord de concilier les deux Assemblées, puis, en cas d’échec, décidait si la loi nouvelle pouvait être promulguée ou si cette promulgation devait être subordonnée à une révision antérieure de la Constitution (ce comité, saisi une seule fois, le 18 juin 1948, a permis de concilier les deux Assemblées sur une question de procédure parlementaire). Le Conseil constitutionnel, créé par la Constitution de 1958, comprend neuf membres, désignés chacun pour neuf ans (trois par le président de la République, trois par le président de chacune des deux Assemblées), ainsi que les anciens présidents de la République, qui en font partie de droit et à vie ; il est chargé de veiller à la régularité des consultations de caractère politique (élections présidentielles et législatives [l’Assemblée nationale et le Sénat ne procèdent plus à la validation de leurs membres], et référendums), ainsi qu’à la conformité à la Constitution des lois organiques, des règlements intérieurs des Assemblées législatives et même des lois ordinaires (lorsqu’elles lui sont déférées par le président de la République, le Premier ministre, le président de l’une ou l’autre des Assemblées parlementaires ou, depuis la révision constitutionnelle du 25 oct. 1974, par un groupe de soixante députés ou de soixante sénateurs). Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être ni promulguée ni mise en application. Les décisions du Conseil ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

Une autre méthode du contrôle de la constitutionnalité des lois a été mise au point aux États-Unis sous la forme d’un contrôle juridictionnel. À l’occasion de tout procès, une des parties peut soulever l’« exception d’inconstitutionnalité » d’une loi ou d’un règlement qu’il est question de lui appliquer, qu’il s’agisse de législation ou de règlement applicables dans un État, ou de législation ou de réglementation fédérales. La Cour suprême (composée d’un président et de huit juges nommés à vie par le président des États-Unis) joue ainsi un rôle important en tant qu’échelon supérieur de l’organisation judiciaire américaine. La question de savoir si les décisions de cet organisme étaient l’expression de la vérité juridique ou non reste dans une large mesure un problème d’appréciation politique ; le fait est que la Cour annula pour inconstitutionnalité un nombre important de textes législatifs proposés par Roosevelt dans le cadre du New Deal ; devant la menace présidentielle d’un amendement constitutionnel procédant à l’augmentation du nombre des juges, certains d’entre eux préférèrent se retirer plutôt que de voir diminuer le prestige de leurs fonctions du fait d’une sorte de politisation de celles-ci. Depuis lors, les décisions de cette Cour ont été moins nombreuses, apparemment plus conformes aux textes et, en tout cas, moins discutées.

Une constitution coutumière : les lois fondamentales du royaume de France

Dès le xive s., les légistes distinguent les « lois du royaume » (il est même question de « lois fondamentales » et parfois de « lois constitutionnelles ») et les « lois du roi ». Le roi, détenteur tout ensemble des pouvoirs judiciaire, gouvernemental (ou exécutif) et législatif, ne peut cependant ni abroger ni modifier à lui seul les lois fondamentales qui s’imposent à lui. Aux états de Blois, en 1576, la distinction est de nouveau précisée : le roi peut modifier seul la plupart des lois ; mais il lui faut le consentement des états pour changer les « lois du royaume ». Plus tard, pendant la Fronde, le parlement de Paris affirme encore l’existence des lois fondamentales du royaume ; Léon Duguit parle de véritable constitution en évoquant l’arrêt d’Union, ou Déclaration de la Chambre de Saint Louis, qui fait l’objet, le 31 juillet, puis le 22 octobre 1648, d’une acceptation des autorités de la régence. Dans les années qui précèdent la Révolution, de nombreuses publications ont pour objet les lois fondamentales et la Constitution de la France.