Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

concentration (camps de) (suite)

Par l’intermédiaire des autorités militaires d’occupation et avec des procédures variables selon les pays, la Gestapo va étendre sa puissance à tous les territoires occupés et pourra désormais arrêter qui bon lui plaira. Aussi les conquêtes de la Wehrmacht provoquent-elles l’ouverture de nouveaux camps au Stutthof, près de Dantzig, en 1939, à Flossenbürg et à Auschwitz en 1940, à Gross Rosen, au Struthof-Natzweiler dans les Vosges, à Majdanek et à Theresienstadt en 1941, à Bełżec et à Treblinka en 1942, à Bergen-Belsen en 1943.

À l’intérieur des camps, le phénomène nouveau, c’est que la hiérarchie des détenus, initialement composée d’Allemands, s’applique désormais à des étrangers de nationalités les plus diverses. De 1939 à 1941, aux Autrichiens et aux Tchèques s’ajoutent Polonais, Hollandais, Belges, Français, Grecs, Yougoslaves et Espagnols ainsi que des prisonniers de guerre soviétiques (ils sont les seuls à ne pas être protégés par la Convention de Genève, que l’U. R. S. S. n’a pas signée). Ainsi s’établissent de nouveaux rapports entre les communautés nationales ou idéologiques, tandis que subsiste la différence fondamentale entre les détenus politiques et les détenus de droit commun. Elle se traduit souvent par une lutte opiniâtre des premiers pour arracher aux seconds, qui les monopolisent, quelques postes clés dans la hiérarchie concentrationnaire.

À la fin de 1941, les conséquences de l’entrée en guerre contre l’U. R. S. S. vont alourdir le régime des camps. Pour refaire ses effectifs, Wilhelm Keitel obtient en effet la mobilisation dans la Wehrmacht de 1,5 million de travailleurs allemands, qu’il faudra bien remplacer. Pour la première fois, le problème de la main-d’œuvre apparaît à l’horizon ; dans le cadre des mesures prises pour obtenir une victoire totale sur le front russe, Himmler crée le 29 septembre 1941 dans les Kommandanturen de tous les camps une section d’Arbeitseinsatz (engagement au travail) directement aux ordres de l’inspection d’Oranienburg et chargée d’organiser le travail des détenus. Cette décision, qui, pour Himmler, n’est pas exempte d’une certaine publicité vis-à-vis du Führer, officialise plus qu’elle ne crée un état de fait. En réalité, les nombreuses entreprises SS permettaient déjà de fructueuses opérations financières. En février 1941, Göring s’était en outre intéressé à la main-d’œuvre des KL et avait réclamé 10 000 à 12 000 détenus pour créer une usine de caoutchouc synthétique (Buna), qui fut pour cette raison installée par l’IG Farben près d’Auschwitz (Auschwitz III - Monowitz).

L’année 1941 fut sinistrement marquée par la première expérience d’extermination collective par le gaz « cyclon B », pratiquée par les Allemands à Auschwitz le 3 septembre 1941 sur 600 prisonniers soviétiques et 298 détenus malades. Son « succès » permettra au printemps suivant le début de la liquidation systématique des convois d’israélites (v. juifs). Mais 1941 connaîtra aussi une singulière recrudescence de la résistance dans les territoires occupés. Le 28 septembre, le commandement militaire allemand en France (Otto von Stülpnagel) publie le Code des otages, où pour la première fois apparaît ouvertement la menace d’« envoi dans les camps de concentration en Allemagne ». Le 7 décembre, enfin, Keitel signe, sous le timbre militaire de l’OKW (Oberkommando der Wehrmacht), la fameuse ordonnance secrète Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard) : voulant réprimer le « terrorisme » par la terreur, il enjoint au commandement de remettre non plus aux tribunaux militaires mais à la Gestapo pour exécution ou envoi dans les camps tous ceux qui, dans les territoires occupés, « intentent à la sécurité de l’armée allemande ». Ainsi apparaît une nouvelle catégorie de détenus, les NN, qui doivent être mis au secret total vis-à-vis du monde extérieur (ils ne doivent pas participer au commando de travail hors des camps) et sont voués à la disparition. Pour Himmler, l’opération est doublement rentable, puisqu’elle compromet directement dans son système le haut commandement, y compris l’organe militaire concurrent de l’Abwehr, dont les représentants doivent à partir de février 1942 remettre les NN qu’ils arrêtent à la Gestapo.


1942-1945
L’extermination par le travail

« La guerre a manifestement changé la structure des KL et notre tâche en ce qui concerne l’organisation de la détention. La garde des détenus, pour de seules raisons de sûreté, de redressement ou de prévention, n’est plus au premier plan. Le centre de gravité s’est maintenant déplacé vers le côté économique... » Ainsi s’exprime le SS Obergruppenführer Oswald Pohl, chef de la direction administrative et économique des SS (WVHA) en présentant l’ordonnance du 30 avril 1942, qui sera la charte des camps durant les trois dernières années de la guerre. Ce changement d’optique annoncé dès la fin de 1941 n’est certes pas inattendu. Il s’inscrit dans l’ensemble des mesures destinées à résoudre par tous les moyens le problème de la main-d’œuvre, désormais vital pour l’économie de guerre et dont la solution est confiée depuis le 21 mars au gauleiter Sauckel.

Promus au rang de réservoir inépuisable de travailleurs, les camps verront leurs effectifs monter sans cesse, tandis que la condition des détenus deviendra de plus en plus précaire. Les articles 4 et 6 de l’ordonnance du 30 avril précisent que l’utilisation des détenus au travail doit être « épuisante (erschöpfend) au sens propre du terme, afin d’obtenir la plus haute production », que « la durée du travail fixée par le commandant du camp est sans limite », que « tout ce qui peut l’abréger doit être réduit au strict minimum », que « les déplacements et les pauses de midi ayant pour seul but le repas sont interdits ». Ainsi que l’affirme le ministre de la Justice Otto Thierack en septembre 1942, le régime des camps est devenu celui de l’extermination par le travail (Vernichtung durch Arbeit).