Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Comte (Auguste) (suite)

Sociologie et religion de l’humanité

C’est le statut de la sociologie qui révèle le mieux cette ambiguïté du positivisme. Comme toute science, la physique sociale parviendra au stade positif, lorsqu’elle aura renoncé aux chimères métaphysiques et deviendra capable de connaître les lois objectives qui régissent la structure et le développement des sociétés. Mais, en même temps, elle prendra conscience de sa propre vocation sacrée, qui est de permettre une systématisation totale, l’avènement d’un ordre humain positif. L’idée fondamentale de l’objectivité des phénomènes sociaux, qui est à la base de toute recherche sociologique, rencontre chez Comte une intuition plus fondamentale encore, celle du progrès, de l’inévitable maturation de l’homme et de la société. En 1842, il écrit : « La destination de la société parvenue à sa maturité n’est point d’habiter à tout jamais la vieille et chétive masure qu’elle bâtit dans son enfance, comme le pensent les rois ; ni de vivre éternellement sans abri après l’avoir quittée, comme le pensent les peuples ; mais à l’aide de l’expérience qu’elle a acquise de se construire avec tous les matériaux qu’elle a amassés l’édifice le mieux approprié à ses besoins et à ses jouissances. » Ainsi, l’analyse positive des faits sociaux rencontre l’idéal messianique d’un avenir plus conforme aux aspirations humaines. En même temps qu’elle révèle la structure des phénomènes sociaux, leur dynamique et les lois qui président à leur développement, la sociologie représente l’esprit positif dans son achèvement. Alors que les autres sciences, même parvenues au stade positif, représentent le négatif de l’esprit qui s’affirme dans la science mais n’organise pas le réel, la sociologie, dans son projet, vise surtout la réorganisation du réel : la réforme scientifique et intellectuelle n’a de sens en sociologie que comme préparant la révolution sociale. L’exigence de positivité dépasse l’exigence méthodologique définie plus haut ; en fait, elle se fonde sur le souci, fondamental chez Comte, d’assigner à la « vraie philosophie » un objet et un but qui soient le réel dans sa totale positivité. Or, le réel ainsi défini, c’est l’humanité : « En cherchant seulement à compléter la notion de l’ordre réel, on y établit spontanément la seule unité qu’il comporte. D’après la subordination objective qui caractérise la hiérarchie générale des phénomènes, l’ordre universel devient essentiellement réductible à l’ordre humain, dernier terme de toutes les influences appréciables. » Et encore : « L’unité humaine s’établit irrévocablement sur des bases entièrement puisées dans une saine appréciation de notre condition et de notre nature. » Ainsi la notion d’humanité, définie comme l’ensemble et l’unité non seulement de tous les hommes et de tous les événements humains mais aussi de tous les phénomènes du réel, n’est pas pour Comte un concept abstrait, mais représente une réalité positive qui s’impose « spontanément » à l’esprit comme unité et comme synthèse universelle.

Ainsi les œuvres de la fin de la vie de Comte doivent toutes leur inspiration à ce thème apparemment nouveau : la religion de l’humanité. On a souvent souligné les différences qui existent entre les œuvres du début et celles de la fin, l’attribuant soit à l’importance que prirent pour Comte les thèmes religieux après son amour pour Clotilde de Vaux, soit, plus simplement, à une systématisation d’idées bizarres et délirantes. En effet, la religion de l’humanité, telle que Comte en décrit les dogmes et les rites dans le Système de politique positive et surtout dans le Catéchisme positiviste, est difficilement acceptable, du moins à la lettre : cependant, et par rapport à l’ensemble de l’œuvre de Comte, ce thème a sa place. L’exigence positive n’est pas une exigence de méthode, elle n’a de sens que dans la mesure où elle prépare la réforme du réel, et du seul réel positif : l’humanité. C’est sans doute dans cette assimilation, cette identification entre le réel et l’universel, le positif et le religieux, que réside toute l’ambiguïté, mais aussi tout le sens de la pensée de Comte : la réforme du réel ne peut s’achever que dans la religion de l’humanité, parce que c’est là que s’affirme de la façon la plus forte la primauté du spirituel.

Le thème religieux est en fait constant, car, finalement, seul l’esprit représente le vrai positif.

L’approche scientifique et objective du réel est suspendue à l’ordre subjectif et affectif ; c’est ce qui ressort de l’œuvre de Comte après 1849 ; à la morale, septième science, science finale et sacrée, reviendra le privilège de fonder le nouvel ordre spirituel, d’assurer l’intégration de l’individu dans le réel positif et de promouvoir le culte de l’humanité.

N. D.

 H. Gouhier, la Jeunesse d’Auguste Comte et la formation du positivisme (Vrin, 1933-1941 ; 3 vol.). / P. Arbousse-Bastide, la Doctrine de l’éducation universelle dans la philosophie de Comte (P. U. F., 1954 ; 2 vol.) ; Auguste Comte (P. U. F., 1968). / J. Lacroix, la Sociologie d’Auguste Comte (P. U. F., 1956). / I. Lins, Perspectivas de Augusto Comto (Rio de Janeiro, 1965). / P. Arnaud, Auguste Comte (Bordas, 1969) ; Sociologie de Comte (P. U. F., 1969). / A. Kremer-Marietti, Auguste Comte (Seghers, 1970). / C. Rutten, Essai sur la morale d’Auguste Comte (Les Belles Lettres, 1973).

Conakry

Capitale et principal port de la république de Guinée, sur l’Atlantique ; 350 000 hab.


Le site primitif de la ville est constitué par l’île de Tumbo, face à l’archipel des îles de Los, qui se situe dans le prolongement de la presqu’île rocheuse du Kaloum, accessible à gué à marée basse. C’est, avec le cap Verga, le seul accident rocheux qui interrompe une côte basse et marécageuse, coupée d’énormes rias envasées. Le site présentait des avantages maritimes (protection par les îles de Los contre la houle, absence de « barre », fonds suffisants au nord-ouest de l’île). L’établissement d’un relais du câble télégraphique anglais, puis l’installation de factoreries (une allemande, une française, celle de la Compagnie française de l’Afrique occidentale [C. F. A. O.]) y précédèrent l’occupation administrative française (1884). Conakry devint en 1891 le chef-lieu de la colonie des « Rivières du Sud » (bientôt Guinée française).