Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Albanie (suite)

Le xviiie s. est marqué surtout par l’œuvre des poètes musulmans d’inspiration orientale, qui écrivirent en alphabet arabe, chantèrent la nature, l’amour, la beauté, la femme, mais attaquèrent aussi le régime féodal. Tels furent Naim Frakulla († 1760) ou Sulejman Naibi († 1772), lyrique de grande valeur, qui mania le vers avec maîtrise. Hasan Zyko Kamberi traita avec réalisme et sympathie de la condition peu enviable du menu peuple. Mehmet Kyçyku (1784-1844), auteur de poèmes religieux et moralisateurs, s’est intéressé au sort des émigrants chassés loin de leur pays par la misère et créa le genre de la nouvelle en vers.

Les Albanais qui, fuyant le joug turc, s’établirent en Italie du Sud et en Sicile y développèrent une littérature qui est toujours vivace. Surtout religieuse en ses débuts, celle-ci fut illustrée notamment par Lekë Matranga (1560-1619), dont la Doctrine chrétienne (1592) contient la première poésie en albanais, et par Jul Variboba, auteur d’une épopée en vers sur la Vierge Marie (1762). Au xixe s., cette littérature devient laïque, et de nombreux chercheurs se mettent à moissonner les trésors des traditions populaires. De grands poètes apparaissent, comme Jeronim de Rada (1814-1903), auteur du grand poème les Chants de Milosao, Gavril Dara le Jeune (1826-1885), dont le Dernier Chant de Bale ne parut qu’après sa mort, et Zef Serembe (1843-1901), qui puisa aussi son inspiration dans les malheurs de la patrie.

La renaissance nationale du xixe s. a ses origines dans l’activité des riches colonies albanaises de l’étranger (Égypte, Roumanie, Constantinople), qui œuvrent pour la cause nationale dans des domaines variés : publication de manuels, de brochures, de journaux, rédaction d’œuvres originales, sous l’impulsion notamment des frères Naim et Sami Frashëri et d’Andon Çajupi (1866-1930). Bien des poètes scutarins, cependant, ont vécu à l’étranger et chanté la nostalgie du pays natal, tel Vaso Pasha, auteur d’un roman en français sur l’Albanie, Blanche de Témal (1890).

La création de l’État albanais (1912) permit l’éclosion de nouvelles œuvres de talent : les romans patriotiques de Foqion Postoli, les drames et le roman social Si j’étais un garçon de Haki Stërmilli, les poèmes lyriques de Lasgush Poradeci. Le grand poète Migjeni (1909-1938) domine cette période, mais son unique recueil, Vers libres (1935), fut interdit par la police pour le tableau réaliste qu’il avait fait de la vie misérable des paysans du Nord. On ne saurait oublier l’œuvre de Fan Noli, poète, publiciste, orateur, auquel on doit l’Histoire de Skanderbeg (1921).

Depuis 1945, la littérature célèbre la lutte de libération nationale et puise ses sources principales d’inspiration dans l’évolution économique et sociale du pays. Amour du pays natal, glorification des luttes des partisans, peinture satirique de l’ancien régime nourrissent ainsi les poèmes et les récits de Petro Marko (né en 1913), de Shefqet Musaraj (né en 1914), de Sterjo Spasse (né en 1914), de Dhimitër Shuteriqi (né en 1915), d’Ali Abdihoxha (né en 1923), d’Ismaïl Kadaré (né en 1936).

H. B.

 S. E. Mann, Albanian Literature (Londres, 1955). / K. Bihiku, Brève Histoire de la littérature albanaise (en albanais, Tirana, 1964).


Histoire


La protohistoire et l’Antiquité

Des rapprochements ont été faits entre les premiers habitants de l’Albanie, les Illyriens, et les habitants préhistoriques du Centre européen (de Hallstatt, de la Lusace, etc.), les Proto-Italiens (Vénètes et Étrusques), les Doriens et même les habitants préhistoriques de la Thrace, de la Roumanie et de l’Ukraine. Mais les quelques dizaines de sites qui ont servi de base à ces rapprochements commencent à peine à être sérieusement étudiés. Il semble, en tout cas, que ces Illyriens étaient des bâtisseurs de citadelles.

Les côtes de l’Adriatique furent colonisées par des cités grecques du Péloponnèse et de Corfou dès le viie s. av. J.-C. (Epidamne ou Dyrrachium, Apollonia, Bouthrôton [auj. Butrinti], etc.). Les Illyriens, eux, n’accédèrent au stade de la cité qu’au ive s. av. J.-C. ; comme les Macédoniens, ils parvinrent à entraîner les tribus voisines de leurs citadelles en des guerres perpétuelles et à assurer leur production agricole grâce à des esclaves capturés au cours de ces guerres.

À l’époque hellénistique, de vastes États, réseaux de cités, englobèrent tout le nord-ouest des Balkans et souvent débordèrent sur la Macédoine, la Grèce et l’Italie (Pyrrhos). Mais, l’un après l’autre, ils furent intégrés dans le domaine romain et donnèrent à l’Empire des légions et des lignées d’empereurs ; les Romains firent de l’Illyricum un terrain d’expérimentation pour de nouveaux procédés agraires tels que le vignoble systématisé, pour l’installation d’agriculteurs-guerriers libres et pour l’utilisation de « barbares » dans l’agriculture à la place des esclaves. Les cités illyriennes qui étaient sur la voie de passage de l’Occident vers l’Orient (via Egnatia) connurent alors une expansion considérable.

On a un peu trop dramatisé les dégâts causés par les invasions des Huns, des Wisigoths, des Ostrogoths et des Bulgares au ive et au ve s. apr. J.-C. Si les cités illyriennes déclinèrent à partir du vie s., ce ne fut pas à cause des « invasions barbares ». L’Illyrie, de centre de l’Empire, se retrouva région frontalière, l’Occident étant perdu à jamais pour l’Empire.


Le Moyen Âge

À cette époque, les plaines d’Illyrie sont colonisées par des Slaves. Installés en locataires (mortietes) sur les terres administrées par les « dynastes » (militaires entretenant des troupes destinées à réduire la mobilité des colons), les Slaves se transforment progressivement en serfs. Dans les régions montagneuses qu’on nomme actuellement Kosovo (Yougoslavie), Dukagjini et Dibra ainsi que dans la région de Tirana vivent des tribus illyriennes non intégrées au système byzantin. Ces pasteurs transhumants ne reconnaissent pas le pouvoir du « basileus » de Constantinople et sont appelés pour cette raison abasileutoi, les « non-régnés ». On leur attribue une civilisation mystérieuse, dont le premier exemple, découvert au début du siècle à Komani, a été classé par les archéologues dans la préhistoire pour sa ressemblance avec les anciens vestiges des citadelles illyriennes.