Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

communisme (suite)

Cette expansion est liée au contexte général des années 1870 à 1914, époque transitoire relativement pacifique (en Europe même), qui va de l’achèvement des révolutions bourgeoises et nationales au commencement de la révolution socialiste, et qui est marquée par le formidable développement du capitalisme et de l’industrialisation, phénomène qui augmente considérablement le nombre des travailleurs industriels, base de classe des partis communistes. Les ouvriers se concentrent de plus en plus dans de grandes usines, ce qui facilite l’édification de leurs organisations.

Des catégories nouvelles de travailleurs apparaissent (cheminots, gaziers, électriciens, etc.), qui modifient considérablement les structures du monde ouvrier ; parmi les couches les mieux payées des ouvriers qualifiés s’ébauche une aristocratie ouvrière qui joue un rôle décisif dans le développement du syndicalisme* et pèse d’un grand poids dans l’orientation réformiste des partis ouvriers.


Le parti social-démocrate allemand

Le parti social-démocrate* est fondé au premier congrès d’unification de Gotha (1875), au cours duquel l’association générale des ouvriers allemands, d’obédience lassallienne, fusionne avec le parti ouvrier social-démocrate d’Allemagne, de tendance marxiste. Dirigé par August Bebel* et Wilhelm Liebknecht*, il s’appuie sur un programme dénoncé par Marx comme réformiste.

L’expansion du parti social-démocrate est irrésistible malgré une phase de repli déclenché par les lois d’exception de Bismarck* (1878-1890). Les progrès électoraux en sont le plus éclatant témoignage : 102 000 voix en 1871, 550 000 en 1884, 1 427 000 en 1890, 3 258 000 en 1907. Le parti, malgré son organisation très solide — il a un statut, adopté en 1890 à Halle, un programme (Gotha et Erfurt), un conseil directeur électif (Verein), un organe officiel (le Vorwärts) —, se divisera en trois tendances, qui s’affronteront en son sein : la droite bernsteinienne, le centre kautskyste, la gauche luxemburgiste.

Philosophiquement, Eduard Bernstein veut revenir, contre le matérialisme dialectique, au néo-kantisme. Économiquement, il constate les capacités d’adaptation du capitalisme, tente de repenser la théorie de la valeur et nie l’analyse marxiste de la plus-value, de la concentration capitaliste et de la loi d’accumulation du capital. Politiquement, il s’attaque à la théorie de la lutte des classes, repousse l’idée de révolution violente pour s’emparer du pouvoir d’État et le détruire, propose une orientation déterminée par l’établissement de relations pacifiques entre classes, orientation fondée sur la conviction que le capitalisme évolue de lui-même pacifiquement au socialisme et que la tâche essentielle est donc d’aider et non de combattre cette évolution.

Karl Kautsky et les théoriciens du centre orthodoxe prennent position contre Bernstein et considèrent sa tentative comme un symptôme de la crise de croissance que rencontrent le parti et le socialisme. Défendant la théorie économique de Marx, ils sont cependant moins fermes sur la question de l’État et surtout sur celle de la lutte des classes ; ils engagent le parti dans la voie du parlementarisme et des revendications immédiates.

Plus ardente contre Bernstein est la protestation de Rosa Luxemburg* et de l’aile gauche de la social-démocratie, qui l’attaquent sans relâche dans leur journal (le Leipziger Volkszeitung). R. Luxemburg publie contre le révisionnisme un ouvrage retentissant, Réforme sociale ou Révolution ? (1899). L’aile gauche forme la seule fraction authentiquement révolutionnaire du parti social-démocrate ; c’est elle qui, à l’occasion de la scission du parti, va donner naissance avec le groupe « Spartacus » au parti communiste allemand.

Trois phénomènes entraînent finalement la scission de la social-démocratie allemande : la Première Guerre mondiale, la révolution bolchevique en Russie et l’écrasement dans le sang (assassinat de K. Liebknecht et de R. Luxemburg, 15 janv. 1919) du mouvement spartakiste.

L’évolution de la majorité du parti social-démocrate est marquée par un glissement à droite. Selon le mot de Bernstein : « Battu dans les congrès par la force de la tradition, le révisionnisme l’emporte victorieusement dans la pratique. » La caractéristique majeure de la politique de la social-démocratie allemande est l’opportunisme, dont Lénine disait : « C’est sacrifier les intérêts vitaux et à long terme du parti à ses intérêts temporaires, éphémères, secondaires. »


Les partis français et l’influence du communisme

La lutte de courants est particulièrement acharnée en France, mais les débats doctrinaux y sont d’une grande confusion. Si la pensée de Marx y est reconnue, elle est très mal connue, et la gauche marxiste s’individualise difficilement, bloquée par le syndicalisme révolutionnaire de filiation proudhonienne.

Il faut attendre 1905 pour que se forme sous l’influence directe de l’Internationale un parti socialiste unifié. Auparavant, une multitude d’organisations se disputaient dans le monde la direction de la classe ouvrière. (V. socialisme.)

En réaction contre cette dispersion, les députés socialistes avaient formé en 1893 l’Union socialiste de la Chambre, qui inaugurait l’unification du mouvement sous les auspices du parlementarisme (Jaurès, Briand, Viviani, Millerand) ; en 1899, l’entrée d’Alexandre Millerand au gouvernement disloqua l’Union ; ce (ut la condamnation relativement mesurée de la fraction la plus droitière du socialisme par le Congrès général des organisations socialistes françaises à Paris, la même année, et par le congrès de l’Internationale qui mit fin aux aspects les plus criants de la lutte des courants.

La personnalité de Jaurès*, qui maintint par ses propres équivoques la cohésion du mouvement, montre à quel point le communisme était alors peu autonomisé. Cependant, le parti socialiste unifié remporta rapidement des succès électoraux : 830 000 voix en 1906, 1 400 000 en 1914.

Il n’en éclata pas moins sur l’ultime question de la guerre après l’adhésion massive de la majorité de ses dirigeants à l’Union sacrée.