Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

communications de masse (suite)

Les études sur les canaux de diffusion, c’est-à-dire sur les moyens (ou media) techniques de ce type de communication, ont été longtemps éclipsées par celles qui concernent les contenus de messages. C’est contre cette tendance qu’a vigoureusement réagi Marshall McLuhan en s’efforçant de montrer que les effets de la communication dépendent principalement des procédés naturels ou techniques utilisés pour la transmission. Il résume cette idée dans la formule « le message, c’est le médium », entendant par là qu’une même information constitue un message très différent suivant qu’elle est diffusée par le journal ou par la télévision. Les divers média sont des prolongements de nos sens. La civilisation a d’abord été façonnée par la communication orale et gestuelle, puis, après l’invention de l’écriture et surtout de l’imprimerie, par le langage alphabétique, qui a produit une société rationaliste et individualiste. Nous entrons maintenant dans une nouvelle ère culturelle sous l’effet de la communication électronique. D’autre part, il faudrait, selon Marshall McLuhan, faire une distinction entre les media chauds (comme l’écriture imprimée), qui transmettent un message complet, et les media froids (comme la télévision), qui invitent à la participation.

La sociologie des effets des mass media repose sur une assez grande documentation expérimentale. Elle s’est d’abord attachée à déceler les processus de conditionnement. Ainsi S. Tchakhotine voulut montrer que la communication de masse développe les réflexes conditionnés qui orientent l’opinion publique. Par la suite, des recherches plus minutieuses, entreprises notamment à propos des campagnes électorales, conduisirent à des conclusions très différentes. En général, il semble que les communications de masse contribuent plutôt à renforcer les opinions existantes qu’à les transformer. En particulier, des phénomènes de perception, d’attention et de mémoire sélectives font que le public reçoit et retient plus volontiers les informations qui vont dans le sens de ses croyances préalables. Plus récemment, on a été amené à nuancer ces conclusions et à considérer que les mass media exercent, certes, une action de renforcement, mais tout aussi bien pour renforcer une éventuelle tendance au changement lorsque celle-ci se manifeste dans la société globale, ou bien même lorsque des conflits internes entre groupes et des discordances entre les individus et leurs groupes d’appartenance créent une sorte de disponibilité pour des orientations nouvelles. D’autre part, il semble que les plus récents développements des moyens de diffusion ne vont plus dans le sens d’une uniformisation du public, mais, par le foisonnement des émetteurs et par leur concurrence dans une situation de saturation, tendent plutôt à faire prévaloir les mises en question, les recherches d’individualisation, les appels aux particularités individuelles. Les techniques de transmission par satellite et de diffusion d’émissions enregistrées par vidéocassettes permettront sans doute un jour aux utilisateurs de choisir leurs programmes entre des sources multiples et internationales et aussi de les composer eux-mêmes selon leurs préférences du moment.

Parmi les effets plus particuliers des mass media qui retiennent l’attention des chercheurs, il faut signaler ceux qui se rapportent surtout aux enfants et ceux qui concernent la violence. Les conclusions des enquêtes, ici encore, sont nuancées. La télévision ne semble pas modifier les résultats scolaires des jeunes ni les prédisposer à la délinquance. Simplement, elle peut, si elle est regardée avec excès, produire une fatigue psychique et, en outre, précipiter des évolutions fâcheuses dont elle n’est pas la cause mais qu’elle contribue, même en l’absence d’intention, à pousser vers la réalisation. Les communications de masse, il faut y insister, font partie de la vie sociale moderne, et leur étude ne peut être séparée du contexte général dans lequel se situe leur action. En particulier, elles atteignent leur public dans une situation qui est le plus souvent celle du loisir : leur valeur culturelle doit être appréciée de ce point de vue. Les critiques généralement relevées contre leur effet abrutissant pour la masse doivent tenir compte du fait que, sans la télévision par exemple, le temps de loisir serait peut-être consacré à des activités bien moins enrichissantes encore. De toute manière, l’expansion des mass media paraît bien être un processus irréversible, et l’important, pour la société, n’est point de les juger mais d’en tirer le meilleur parti et de s’y adapter pour y trouver un moyen de perfectionnement.

J. C.

 S. Tchakhotine, le Viol des foules par la propagande politique (Gallimard, 1939). / P. F. Lazarsfeld (sous la dir. de), The People’s Choice (New York, 1944 ; 2e éd., 1948). / B. L. Smith (sous la dir. de). Propagande, Communication and Public Opinion (Princeton, New Jersey, 1946). / J. T. Klapper, The Effects of Mass Communication (Chicago, 1947). / G. Gurvitch, la Vocation actuelle de la sociologie (P. U. F., 1949 ; nouv. éd., en 2 vol., 1957-1963). / C. I. Hovland (sous la dir. de), Experiments on Mass Communication (Princeton, New Jersey, 1949) ; Communication and Persuasion (New Haven, Connecticut, 1953). / B. R. Berelson et M. Janowitz (sous la dir. de), Opinion and Communication (Chicago, 1950). / B. R. Berelson, Content Analysis in Communication Research (Chicago, 1952). / W. Schramm, The Process and Effects of Mass Communication (Urbana, Illinois, 1954). / E. Katz et P. F. Lazarsfeld, Personal Influence (Chicago, 1955). / L. Bogart, The Age of Television (New York, 1956). / H. T. Himmelweit, A. N. Oppenheim et P. Vince, Television and the Child (Londres, 1958). / C. S. Steinberg, The Mass Communicators (New York, 1958). / J. Cazeneuve, Sociologie de la radio-télévision (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1962 ; 3e éd., 1969) ; les Pouvoirs de la télévision (Gallimard, 1970). / I. O. Glick et coll., Living with Television (Chicago, 1962). / G. A. Steiner, The People look of Television (New York, 1963). / M. McLuhan, Understanding Media (New York, 1964 ; trad. fr. Pour comprendre les media, Mame et Éd. du Seuil, 1968). / A. Silbermann et P. Zahn, Die Konzentration der Massenmedien und ihre Wirkungen (Düsseldorf, 1970). / Les Communications de masse (Hachette, 1972).