Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Commune (la) (suite)

Le Comité de salut public Paris menacé

À la fin d’avril, Paris est entouré de baïonnettes. L’armée allemande — officiellement neutre — occupe les forts du nord et de l’est, de Saint-Denis à la Marne : c’est en fait par là que la ville, évitant le blocus, peut se ravitailler. Les versaillais ferment le cercle depuis Saint-Denis jusqu’à Villeneuve-Saint-Georges, mais ils n’occupent que le mont Valérien, les fédérés tenant les villages de Neuilly, d’Asnières et de Saint-Ouen ainsi que les forts d’Ivry, de Bicêtre, de Montrouge, de Vanves, d’Issy. Ce dernier fort, occupé par 600 hommes, garde le point vulnérable de l’enceinte de Paris : le saillant du Point-du-Jour, au sud-ouest.

Thiers a fait armer de 300 grosses pièces d’artillerie les hauteurs de Bellevue, de Meudon et de Châtillon : elles tiennent sous leur feu les forts d’Issy et de Vanves, dont la reddition livrerait aux versaillais l’accès du Point-du-Jour. « Écraser ces canailles » est le seul but du chef du gouvernement. Quand, le 21 avril, des délégués de la franc-maçonnerie parisienne, venus en médiateurs, sont présentés à Thiers, c’est à peine s’il les écoute : les francs-maçons en sont réduits à planter symboliquement leurs étendards pacifiques sur les remparts.

À ce moment-là, les troupes versaillaises sont sur le point d’occuper le fort d’Issy. En effet, la panique a un moment soufflé sur les défenseurs du fort ; mais des renforts amenés par Cluseret, Napoléon La Cécilia et Vermorel ont permis aux fédérés de réoccuper leurs positions.

À Paris, cependant, on parle de l’« affaire d’Issy » ; le spectre de la débandade produit sur les membres de la Commune l’effet d’un révulsif. Un vieux quarante-huitard, Jules Miot, réclame « la création d’un Comité de salut public ayant autorité sur toutes les commissions ». Le terme de Comité de salut public — évocateur des années sanglantes de la Grande Révolution — est violemment controversé : la majorité finit par l’imposer. Mais c’est ainsi que les défenseurs des forts et des remparts apprennent qu’il y a, dans la Commune, une minorité, et cela au moment où elle devrait faire bloc contre un ennemi implacable.

Pire : cette minorité est formée des meilleurs membres de la Commune, des plus réfléchis et des plus engagés tels que Charles Beslay, Frankel, Varlin, Lefrançais, Vallès, Vermorel... Parmi eux, beaucoup d’anciens ouvriers, membres de l’Internationale, soucieux autant de réorganisation sociale que de transformation politique. Ils sont violemment opposés à la conception blanquiste et jacobine de la Commune, à un gouvernement fort et centralisateur renouvelé de 1793. La majorité du Comité de salut public est dominée par les jacobins et les blanquistes, qui, à partir du 30 avril, exercent une sorte de dictature anarchisante.

Cependant, soucieux d’unité, les minoritaires s’inclinent ; comme le déclare alors Vallès, « mieux vaut sombrer sous le pavillon fait avec les guenilles de 93, mieux vaut accepter une dictature renouvelée du déluge et qui nous a paru une insulte à la révolution nouvelle, mieux vaut tout ! — que paraître abandonner le combat ».

Malheureusement, le Comité de salut public manque d’assise, d’équilibre et d’autorité. Le premier Comité, élu le 1er mai, est composé d’Eugène Gérardin, d’Antoine Arnaud, de Léo Melliet (ou Meilliet), de Gabriel Ranvier et de Félix Pyat. Pyat domine ce lot médiocre ; mais il n’est qu’un pseudo-révolutionnaire qui cache mal son caractère timoré et ses rancunes derrière des gestes théâtraux. Le second Comité de salut public, élu le 9 mai — après la capitulation du fort d’Issy — comprendra parmi ses membres Charles Delescluze, le chef des jacobins.

Deux hommes ressortent de la nouvelle équipe des délégués : Louis Rossel et Raoul Rigault.

Délégué à la Guerre à la place de Cluseret (1er mai), Rossel déçoit bientôt ses admirateurs. Car s’il est bon administrateur et même stratège habile, il ne comprend pas, ne « sent » pas la révolution parisienne, dont le personnel l’irrite. Très vite, d’ailleurs, il doit affronter l’échec : dans la nuit du 3 au 4 mai, la redoute du Moulin-Saquet, à Vitry, est enlevée par les versaillais, qui égorgent cinquante fédérés, dont les cadavres sont déchiquetés ; ils emmènent deux cents prisonniers.

Rossel est mis en cause. À son tour, il accuse le Comité de salut public d’avoir déplacé — sans le lui demander — Dombrowski et Walery Wróblewski. Un nouveau conflit de compétence déchire la Commune. Rossel est finalement disculpé. Il porte alors tout son effort sur Issy, dont le fort, qui n’est plus que ruines bouleversées par les obus, est évacué le 8 mai, tandis que les 70 canons de marine de Montretout battent l’enceinte de Paris, depuis le bastion 60 jusqu’au Point-du-Jour.

Alors, Rossel demande aux chefs de bataillon de réunir 12 000 hommes, place de la Concorde, pour « tenter quelque chose » : 7 000 seulement — mal équipés, hâves, les traits tirés — se présentent. Rossel envoie à la Commune sa lettre de démission.

Autant le Breton Rossel est distant, autant le Parisien Raoul Rigault est démonstratif, cynique et gouailleur. Délégué à la préfecture, puis procureur de la Commune, Rigault est davantage poussé par ses ressentiments qu’attentif à démasquer les espions (et les mouchards), qui pullulent dans Paris. Prêtres et religieux sont ses victimes préférées : deux ou trois cents d’entre eux sont jetés en prison, tandis qu’une trentaine d’églises sont transformées en salles de clubs, en magasins militaires ou en cachots ; l’archevêché devient une loge maçonnique. C’est Rigault qui inspire la loi des otages ; c’est son bras droit, Théophile Ferré, qui prendra la responsabilité de l’appliquer dans les derniers jours de « la semaine sanglante ».

Rossel en fuite, Delescluze — quoique malade — prend en charge la délégation de la Guerre. Mais la Commune perd son temps en mesures telles que la destruction de la maison de Thiers (11 mai) et celle de la colonne Vendôme (16 mai).

Or, le 18 mai au soir, les versaillais surprennent les fédérés de Cachan en venant à eux aux cris de « Vive la Commune ! » ; les dominicains d’Arcueil, soupçonnés d’avoir renseigné l’ennemi, sont incarcérés. Le soir du 20 mai, la porte de Saint-Cloud, en miettes, est prête à laisser passer les hommes de Thiers.