Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Commune (la) (suite)

La Commune à l’épreuve

Tombée l’allégresse collective du 28 mars, le Conseil de la Commune de Paris apparaît comme « un véritable petit parlement avec tout un semis d’opinions contradictoires ». La majorité est issue de la petite bourgeoisie ; beaucoup ont milité en 1848 ou contre le second Empire. Cependant, le fait que 25 ouvriers (dont une quinzaine de membres de l’Internationale) soient entrés au Comité permettra à ce dernier d’avoir un sens plus poussé des problèmes économiques et sociaux.

En fait, les positions différentes prises par les membres de la Commune viennent surtout de leur attitude politique antérieure. Une douzaine sont des blanquistes (Eudes, Théophile Ferré, Rigault...), partisans de l’action directe ; Blanqui, bien qu’emprisonné en province, a réuni le 26 avril de nombreux suffrages. Un groupe est constitué de jacobins (Delescluze, Pyat) qui continuent les pratiques périmées et reprennent les formules creuses du romantisme insurrectionnel. La majorité est complétée par les « révolutionnaires indépendants », appelés encore radicaux (Clément, Vallès, Vermorel...). Quant à la minorité, ouvrière (Frankel, Varlin...), son idéologie s’inspire partiellement de Marx et surtout de Proudhon. Une des faiblesses de la Commune résidera dans le fait que les sections parisiennes de l’Internationale, manquant d’organisation centralisée, ne pourront pas jouer le rôle que Marx — de Londres il essaie d’organiser la solidarité internationale autour de la Commune — eût voulu qu’elles jouassent.

En fait, l’idéal démocratique, anticlérical et égalitaire de la Commune s’exprimera surtout au niveau des syndicats, des clubs (qui se tiennent surtout dans les églises et où les femmes président des débats instructifs), et aussi au niveau d’une presse abondante et combative, de laquelle il faut détacher : le Père Duchêne d’Eugène Vermeersch, le Mot d’ordre d’Henri Rochefort, le Vengeur de Félix Pyat et surtout le Cri du peuple du talentueux et romantique Jules Vallès.

Tout naturellement, le Conseil de la Commune est amené à dépasser les préoccupations municipales, à faire acte de gouvernement (29 mars) en organisant dix commissions qui sont autant de « ministères collectifs » ; la Commission exécutive (Eudes, Tridon, Vaillant, Lefrançais, E. Duval, Pyat, J. Bergeret) est en fait la plus importante.

La diversité des opinions et le flou des options constituent la principale faiblesse de la Commune ; mais son autorité et son efficacité sont encore diminuées par le maintien, après les élections du 26 mars, du Comité central de la garde nationale. Ce maintien est d’ailleurs lié au fait que les hostilités avec Versailles commencent dès le 2 avril, si bien que le Comité central finira par noyauter le ministère de la Guerre et le commandement.

Car, le 2 avril, les premiers obus versaillais tombent sur Paris et Neuilly, tandis que Galliffet et Vinoy s’emparent de Courbevoie. Alors, les chefs de la garde nationale, Bergeret, Eudes et Duval, sans en référer à la Commune, décident de répliquer. Mais leur sortie du 3 avril en direction de Versailles, par Rueil, Viroflay et Châtillon, s’achève en désastre : Duval et Flourens sont massacrés par les versaillais.

C’est alors que, sous la pression du Comité central, la Commune désigne Cluseret, un ancien officier sans expérience pratique et à l’âme de bureaucrate, comme délégué à la Guerre. Autre mesure : les gardes nationaux réfractaires seront désarmés et privés de leur solde.

De plus, le Conseil de la Commune décrète que tout prévenu arrêté, convaincu de complicité avec Versailles, sera gardé comme otage, et qu’à chaque exécution de Versailles répondra une exécution triple d’otages (5 avr.). En fait, ce fameux « décret des otages » — dont, à Versailles, Thiers se servira comme d’un épouvantail pour ameuter « tous les braves gens » de France contre Paris — restera lettre morte jusqu’à l’extrême fin de la Commune. Sans doute, dès le 3 avril, arrête-t-on le peu de personnalités qui demeurent dans la ville : l’archevêque de Paris, Mgr Georges Darboy, le président de la Cour de cassation, Louis Bertrand Bonjean, l’abbé Gaspard Deguerry, curé de la Madeleine. Sans doute arrête-t-on aussi des prêtres et des religieux : le 16 avril, 120 d’entre eux seront dans les prisons ; un certain nombre d’autres les rejoindront au cours des semaines suivantes. Mais nul ne songe à s’en débarrasser par la mort. La loi des otages n’intéresse guère que les blanquistes, qui essaieront, mais en vain, d’obtenir de Thiers l’échange de Blanqui contre Mgr Darboy.

Cependant, Mac-Mahon a décidé de s’emparer de Neuilly, d’occuper ou de détruire les forts du sud, en vue de l’assaut final. Les canons du mont Valérien éprouvent terriblement les fédérés, qui, le 6 avril, doivent se retirer derrière le pont de Neuilly ; mais les pièces de la porte Maillot vont, pendant 48 jours, empêcher les versaillais d’aller plus loin. Pendant 48 jours, les gamins de Paris, en quête d’éclats d’obus à ramasser, viendront assister, abrités par l’Arc de triomphe, à l’exploit des canonniers de la Commune tenant à distance des troupes bien mieux armées.

Il est vrai que Cluseret, au commandement de la place de Paris, a remplacé Bergeret par Dombrowski (en polon. Jarosław Dąbrowski), un jeune Polonais dont l’esprit de décision et le courage au feu forcent l’admiration des gardes nationaux. Dombrowski, avec 2 500 hommes, chasse les versaillais d’Asnières. Mais il manque de réserves : les 300 hommes qu’on lui envoie ne peuvent empêcher sa retraite.

L’autorité de la Commune reste précaire : le désordre l’étouffé. À l’Hôtel de Ville, beaucoup d’absents ; les autres ne prennent que des demi-mesures ou voient leurs décisions annulées par celles du Comité central.

Cluseret, porte-parole du Comité central, est le vrai maître de la Commune. Il s’adjoint comme chef d’état-major un polytechnicien d’extrême gauche : Louis Rossel, transfuge de l’armée régulière, qui se heurtera aux mêmes difficultés que les autres chefs de la Commune. Et ce ne sera pas l’institution — par lui — d’une cour martiale qui donnera à l’armée de la Commune la cohésion désirable.