Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Commune (la) (suite)

Vaguement, les chefs révolutionnaires éprouvent déjà un sentiment d’insatisfaction lié à une vue assez utopique de ce but. Personne n’ose répondre à la question essentielle : « Comment, dans la négation de l’État, résoudre le problème des relations entre les villes en matière économique ou administrative ? » La formule adoptée (« Paris libre dans l’État [la nation] libre ») est et restera ambiguë.

Et puis Paris doit compter avec la haine de Versailles, de Thiers, de Favre, des députés, de l’armée versaillaise reconstituée grâce au retour accéléré — obtenu de Bismarck — des prisonniers de guerre. À la « révolte démagogique » de « la vile multitude », ils répondront par la guerre sans merci. La loi municipale, qui est en instance à l’Assemblée, pourrait permettre d’envisager les problèmes de la Commune de Paris et des autres communes de France : la majorité n’en a cure. Cette haine est d’ailleurs excitée par l’inaction militaire du Comité central de la garde nationale (il laisse les versaillais réoccuper le mont Valérien) et aussi par des manifestations réactionnaires dans le Paris riche, notamment par la « fusillade de la rue de la Paix » (23 mars). Cette réaction, vite écrasée, amène le Conseil fédéral des sections parisiennes de l’Internationale à préciser sa doctrine sociale dans un sens communaliste, l’extension des libertés municipales parisiennes devant être liée, à ses yeux, à l’idée d’égalité sociale.


La Commune à Paris réaction en province

Le 26 mars 1871 est un dimanche de joie pour Paris. C’est le jour attendu des élections municipales — repoussées de trois jours. Tandis que le projet Picard à l’Assemblée nationale n’attribuait à la capitale que 60 conseillers, trois par arrondissement, le Comité central a décrété qu’il y aurait un conseiller par 20 000 habitants et par fraction de 10 000 : 90 en tout.

Ces élections ne sont pas illégales, d’autant moins que les maires y ont consenti : 229 167 citoyens sur 485 569 électeurs se présentent aux urnes, en toute liberté puisque des adversaires du Comité central (Louis Blanc par exemple) obtiennent un nombre important de voix. Mais Thiers ne veut pas voir cette foule : « Les élections ont été désertées par les citoyens amis de l’ordre », affirmera-t-il. Devant la France qui le croit sur parole, il s’acharne à présenter de la Commune parisienne une image sauvage et sanglante : « Non, la France ne laissera pas triompher dans son sein les misérables qui voudraient la couvrir de sang. »

Le 28 mars, 200 000 Parisiens se portent à l’Hôtel de Ville pour installer leurs élus. Spectacle haut en couleur : sur une estrade dressée contre la porte principale de l’Hôtel de Ville apparaissent, l’écharpe rouge en sautoir, les membres du Comité central et les nouveaux élus. Après que le nom de ces derniers a été proclamé, Gabriel Ranvier s’écrie : « Au nom du peuple, la Commune est proclamée ! » Et 200 000 voix de crier « Vive la Commune ! ».

Tous les soirs, dans un communiqué à la France, Thiers, de Versailles, défigure Paris, qu’il s’efforce d’isoler complètement du reste du pays, interdisant les communications par chemins de fer et étouffant peu à peu le service des Postes parisien. L’une de ses craintes est que les grandes villes de province ne se prennent à imiter la capitale et à y chercher leurs mots d’ordre.

Craintes qui ne sont pas sans fondements. Dès le 4 septembre, à l’hôtel de ville de Lyon, s’était installé un Comité de salut public qui, après dix jours, avait dû se retirer devant un conseil municipal modéré. Une deuxième tentative insurrectionnelle avait eu lieu quelques jours plus tard avec l’appui de Bakounine, venu de Suisse, et de Cluseret : elle avait échoué faute de doctrine et de décision (25-28 sept.). Rapidement, le rude préfet du Rhône, Marie Edmond Valentin, appuyé par le maire de Lyon, Jacques Louis Hénon, reprit les choses en main. Mais, le 22 mars 1871, des centaines de gardes nationaux, représentants d’une classe ouvrière fortement marquée par le marasme de l’industrie de la soie, dispersent le conseil municipal de Lyon et annoncent les élections d’une commune. Valentin et le général Croizat ont rapidement le dessus. Le drapeau rouge sera de nouveau arboré à Lyon le 30 avril, mais pour peu de temps.

À Saint-Étienne, autre ville ouvrière, on réclame la Commune dès le 30 octobre, mais sans résultat. Le 24 mars, des gardes nationaux tentent d’enlever la mairie, fermée sur l’ordre du préfet ; au cours d’une bagarre confuse, le préfet est tué. Le Comité de la garde nationale convoque les électeurs pour le 29 mars, mais, dès le 28, la troupe reprend la mairie aux insurgés.

Au Creusot, c’est le maire ouvrier qui proclame la Commune, le 26 mars ; mais les cuirassiers du colonel Gerhart ont raison de lui en vingt-quatre heures.

Le 18 mars a aussi des répercussions à Narbonne, où le maire Raynal est arrêté par un ancien proscrit de l’Empire, Émile Digeon, qui proclame la Commune (24 mars), mais est arrêté dès le 1er avril. À Toulouse, le préfet Émile de Kératry, ancien préfet de police, avec trois escadrons de cavalerie, balaie la Commune proclamée au Capitole le 22 mars. À Limoges, la garde nationale, qui a installé la Commune le 4 avril, est mise en débandade par les cuirassiers du colonel Bellet, tué dans l’affrontement.

Marseille est plus coriace. La nouvelle du 18 mars à Paris rassemble des clubistes de la garde nationale ; ils s’emparent de la préfecture, tandis qu’est constituée une commission départementale, où figure notamment l’avocat Gaston Crémieux ; mais les troupes régulières, retirées à Aubagne avec les fonctionnaires civils, attaquent la ville et reprennent la préfecture. Une dure répression fait 150 morts et se solde par 500 arrestations. Le 7 avril, le conseil municipal reprend ses fonctions. Crémieux sera fusillé à la fin de l’année 1871.

Dans ces affaires ratées, Thiers a bénéficié de l’indifférence ou de l’inquiétude de la province à l’égard de Paris, et aussi du peu d’intérêt porté par la Commune de Paris aux insurrections locales : la Fédération des comités républicains départementaux de Paris n’a que peu d’influence.