Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

commedia dell’arte (suite)

Le Capitaine, à l’origine type de fanfaron italien, s’adjoint des traits espagnols ; ses noms les plus fréquents sont Spaventa, Fracassa, Matamoros. Ce masque a été créé par Francesco Andreini, de la compagnie des Gelosi. Le Docteur, descendant du Pédant de la comédie savante, avec lequel il coexiste parfois dans certains scénarios, est donné comme juriste bolonais, aussi ignorant que vaniteux ; il porte le nom de Dottor Graziano (masque créé par Lucio Burchiella), de Dottor Balanzone. Le Vieillard, créé sous le nom de Magnifico par Giulio Pasquati dans la seconde moitié du xvie s., prend le nom de Pantalone, marchand vénitien, incarnant d’abord la sagesse bourgeoise, puis il connaît divers avatars : vieillard avare ou vieillard amoureux, il devient un ridicule jusqu’à ce que Goldoni lui redonne sa substance et sa validité de type, social. La Soubrette, Colombina ou Smeraldina, souvent chargée de réciter le prologue, fait le lien entre le groupe de personnages précédent et les deux couples d’amoureux, qui jouent dans un registre précieux et pathétique et qui ne portent pas le masque. Les noms les plus fréquents sont Isabella (rôle créé par Isabella Andreini [1562-1604]) et Flaminia. L’ensemble du spectacle est mis au point par le directeur de la troupe, lui-même titulaire d’un des rôles (capocomico ou corego).

Les masques ne représentent pas des caractères, pas plus qu’ils n’illustrent un défaut ou une vertu de caractère général ; chacun d’eux est une fonction qui ne prend son sens que dans l’ensemble constitué par les autres masques. Si à l’origine existe souvent un type social et régional, ce type, signifié et figé par le masque, devient abstrait. La commedia dell’arte n’est pas l’expression même stylisée d’un quelconque rapport avec la réalité.

On peut distinguer à la base de son fonctionnement trois éléments principaux. Le plurilinguisme d’abord : le bergamasque ou le napolitain des valets, le vénitien de Pantalon, l’italo-espagnol fantaisiste du Capitaine, le bolonais veiné de latin macaronique du Docteur s’opposent au toscan de la Soubrette et des amoureux (rehaussé chez ces derniers de rhétorique pétrarquisante) ; ce plurilinguisme appartient d’ailleurs à la tradition littéraire italienne. Ensuite, la distinction des acteurs en trois groupes (vieillards, serviteurs, amoureux), le Capitaine pouvant, selon les cas, se ranger dans le premier ou le troisième, la Soubrette appartenant par son état au deuxième, mais parlant le toscan comme les amoureux ; cette distinction entraîne la coexistence de trois registres. En troisième lieu, le dédoublement de certaines fonctions (deux vieillards, deux valets, deux couples), qui permet des effets de symétrie, d’équivalence et d’écho. Les costumes fixés et leurs couleurs affirment les différentes fonctions des acteurs et doublent l’action d’une fantasmagorie précise.

La commedia dell’arte, parenthèse de plus de deux siècles dans l’histoire du théâtre italien écrit, est un phénomène culturel lié au développement de formes théâtrales qu’elle peut d’ailleurs englober (pastorale, mélodrame, opéra, opéra bouffe), toutes caractérisées par l’exaspération de la recherche scénographique au détriment du texte écrit. Ce phénomène, avec bien d’autres, est un symptôme de la crise de la culture italienne, crise dont les causes sont variées (morcellement du territoire, domination étrangère, incapacité des intellectuels italiens à promouvoir une culture nationale).

Le succès de la commedia dell’arte hors d’Italie a été très grand. En France, où séjournent fréquemment les troupes italiennes, la Comédie-Italienne (qui influença Molière) devient une institution et fournira à Marivaux de précieux interprètes. Elle est connue en Espagne dès 1574 (compagnie de Zan Ganassa, qui s’adjoint des musiciens espagnols, et bien d’autres, qui jouent le répertoire italien ainsi que des farces et des autos sacramentales espagnols) et suscite le développement de compagnies espagnoles ainsi que la naissance d’une comédie improvisée (les entremeses de repente). En Allemagne et en Autriche, des troupes italiennes circulent dès 1550 ; la cour impériale de Vienne accueille dès 1568 et 1575 les Gelosi. En Angleterre, le passage de compagnies est signalé dès 1573. En Russie, il faut attendre 1733.

Par ailleurs, au début de ce siècle, la commedia dell’arte a été l’occasion et l’objet d’une réflexion sur le théâtre, sur la formation et le métier de l’acteur, sur l’expression corporelle. Elle a été revécue comme expérience fondamentale dans les travaux de Léon Chancerel et de Jacques Copeau.

C. P.

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