Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

colportage (littérature de) (suite)

On peut dire que le colportage a permis à toute une littérature utilitaire ou romanesque de toucher en profondeur les masses populaires, étant bien entendu que la notion de « populaire » est variable, liée aux circonstances historiques, à la montée ou à la descente de certaines couches sociales, à la faveur de l’évolution générale. Le niveau de culture des lecteurs se situe en général en marge de l’inculture ou, plus précisément, d’une culture folklorique de tradition orale, caractérisée à la fois par des éléments de tradition et une création ou recréation populaire de ces éléments souvent grâce à des apports venus de la littérature de colportage.


Une littérature utilitaire et didactique

Dans le bagage du colporteur se trouvent toutes sortes de livres de piété, mais aussi d’enseignement à l’usage des écoles des frères et aussi des écoles de charité qui se tenaient sous la direction du diacre maître d’école. Ainsi, vers 1740, parmi d’autres livres de dévotion en même temps que d’enseignement, tels psautiers, petits offices, vies de Jésus-Christ, vies de saints, cantiques, semaines saintes, sans oublier la Grande Danse macabre des hommes et des femmes, que l’on réédite depuis 1485, on peut remarquer des ABC en feuilles de parchemin, des livres d’arithmétique élémentaire, un Avis salutaire aux pères et mères pour l’éducation de leurs enfants et la Civilité puérile et honnête.

Dans la première moitié du xixe s., on trouve encore une partie de ces ouvrages, auxquels s’ajoutent quelques œuvres de jésuites et de dominicains du xviie et du xviiie s., mais, dans l’ensemble, il paraît bien que les livres de piété tendent à disparaître assez rapidement des catalogues.

Dès le début du colportage, à côté de ces livres de piété viennent tout naturellement se placer les ouvrages de magie, tels la Fabuleuse Explication des songes, le Grand Albert et le Petit Albert, auxquels il faut joindre plus tard l’Art de tirer les cartes, puis le Petit Escamoteur ou la Magie naturelle, traité de prestidigitation.

Le premier ouvrage technique imprimé dès la fin du xve s. est le Calendrier des bergers, qui, en même temps, est le plus ancien de nos almanachs et de nos encyclopédies, contenant à la fois des principes d’astronomie, d’astrologie, une physionomie, un art de vivre, des prières, des éléments d’anatomie et de médecine empirique, des remèdes de bonne femme et des recettes de cuisine. C’est un traité de la vie à la campagne telle qu’on a pu la concevoir pendant trois siècles au moins. Sur ce modèle, une quantité incalculable d’almanachs seront publiés parallèlement, souvent placés sous l’invocation d’un astrologue célèbre.

À côté du Calendrier des bergers, à partir du xviie s. apparaissent l’Histoire générale des plantes et herbes, le Jardinier français, le Maréchal expert, puis le Médecin des pauvres, la Guérison des bestiaux, le Trésor du laboureur, le Livre des comptes faits de François Barrême et leurs nombreuses imitations, enfin des manuels de correspondance, tels que le Secrétaire français, le Secrétaire des dames, les Fleurs du bien-dire et même le Jardin de l’honnête amour, correspondance sentimentale type à l’usage des amoureux à court d’idées.


La chanson

Recueils de vaudevilles, de chansons du Pont-Neuf, de chansons anciennes et surtout de noëls sont innombrables sous l’Ancien Régime. Viendront s’y ajouter au xviiie s. les chansonniers des buveurs, les chansonniers bachiques, les chansonniers de table, joyeux ou grivois, et, après la Révolution, bien entendu, les recueils de chansons nationales et patriotiques, sans que la table, le vin et l’épicurisme perdent leurs droits. Ces chansonniers diffusés par le colportage ont été, jusqu’au début du xixe s. au moins, les intermédiaires entre la création populaire et la chanson des rues, due souvent à des auteurs de vaudevilles (voix de villes ?). Ils ont favorisé le passage des thèmes et des timbres populaires à une chanson et à une musique plus savantes et inversement. Plus tard, la gloire de Béranger, dont les petits recueils frondeurs étaient faciles à dissimuler au fond d’une poche, devra beaucoup aux colporteurs.


Le théâtre

Jusqu’au xviiie s., les colporteurs vendent des tragédies sur des vies de saints dans le style des mystères du Moyen Âge, mais aussi par exemple la Sylvie de Jean Mairet, la Marianne de Tristan l’Hermite, appartenant au théâtre préclassique, ainsi que des comédies de Scarron, mais il semble que la diffusion en soit surtout parisienne. Toutefois, au siècle dernier, on jouait encore en Roussillon et en Pays basque des pastorales dans le style des mystères, adaptations plus ou moins locales, jouées par des amateurs, des vies de sainte Catherine ou de saint Alexis, du cantique de Geneviève de Brabant, ou bien des romans de Robert le Diable, d’Héleine de Constantinople, de Jean de Calais, tous également diffusés par le colportage.


Facéties et verve populaire

En rapport avec la littérature orale facétieuse, tout un secteur de la littérature de colportage est voué à une certaine gouaille populaire, pouvant aller jusqu’à la plus grosse farce et à la scatologie. Le recueil des facéties les plus grasses, et aussi les plus connues, est celui des aventures de Till l’Espiègle. Un Gargantua assez plat ne doit rien à Rabelais, mais le personnage est légendaire en, plusieurs régions de France. Les fables attribuées à Esope sont dans la tradition des contes populaires d’animaux répandus dans le monde entier. Les Trois Bossus de Besançon viennent aussi de notre Moyen Âge avec les fabliaux. Des textes divers datent des xviie s. et xviiie s., comme la Malice des femmes, la Méchanceté des filles, la Misère des maris, le Sermon des cocus et la Description des six pets.

Il faudrait y joindre encore un genre typiquement parisien par ses origines, représenté par les œuvres poissardes du xviiie s., pièces de vers, chansons, parades et opéras-comiques, de Jean Joseph Vadé notamment, dans la tradition du théâtre de la Foire et des farceurs du Pont-Neuf. La Pipe cassée, les Lettres de la Grenouillère et les Quatre Bouquets poissards sont les plus célèbres ; ils ont été propagés, semble-t-il, aussi dans les provinces en même temps que la Vie généreuse des mercelots, gueux et boesmiens, contenans leur façon de vivre, subtilitez et gergon, tout à la fois roman picaresque et manuel d’argot et d’initiation à la vie des truands, daté de 1596, auxquels viennent s’adjoindre tout naturellement des vies de Cartouche et de Mandrin.