Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

colonisation (suite)

Ce sont les « grandes découvertes », cependant, qui ouvrent la véritable époque coloniale. Celle-ci échappe au cadre étroit de la Méditerranée pour intéresser les océans. Elle utilise à une grande échelle des systèmes jusque-là d’application limitée et fait peser la domination du colonisateur sur de vastes territoires et parfois des peuples entiers. Le phénomène, ayant pris une dimension gigantesque, détermine d’âpres polémiques, au cours desquelles s’élaborent pour la première fois des doctrines favorables ou défavorables, qualifiées beaucoup plus tard de colonialistes ou d’anticolonialistes. À partir de la fin du xve s., la colonisation devient un fait majeur de l’histoire mondiale.


L’évolution du phénomène colonial

Il s’agit d’évoquer l’expansion coloniale en rapport avec les systèmes qui y ont présidé et les doctrines qui l’ont justifiée ou combattue.

Vue dans ses lignes de force les plus générales, l’expansion coloniale se caractérise par deux grandes phases d’une activité agressive séparées par une période de crise se situant à la fin du xviiie s. et au début du xixe. La première de ces phases correspond à la colonisation des temps modernes, et la seconde à l’impérialisme de l’époque contemporaine.


La colonisation des temps modernes

• Les premiers empires : Portugal et Espagne. Aux origines de cet ébranlement qui, pendant près de cinq siècles, va faire de la petite Europe le levain du monde, il y a diverses causes : économiques, avec le besoin de trouver l’or et l’argent indispensables à l’économie monétaire, et le désir de se procurer les produits de l’Orient (dont les épices), devenus rares et chers depuis l’installation des Turcs en Méditerranée orientale ; démographiques, avec une population à forte croissance, notamment dans la péninsule Ibérique ; sociales, avec une bourgeoisie — portugaise d’abord — recherchant les profits commerciaux et une aristocratie disponible lorsque s’achèvent les guerres de la Reconquista ; religieuses, avec le souci d’évangélisation ; intellectuelles, avec la révolution technique du xve s., et plus particulièrement en matière de navigation.

Les Portugais avancent progressivement vers le sud pour contourner l’Afrique (Bartholomeu Dias en 1487), avant d’atteindre l’Inde (Vasco de Gama en 1498), puis les îles de la Sonde (Sumatra au début du xvie s.). Les Espagnols s’élancent vers l’ouest et, en découvrant l’Amérique (Colomb, 1492), jettent les bases de leur empire, qui, en dehors du nouveau continent, ne comprendra guère que les Philippines. L’Atlantique devenant une source de compétition, Jean II de Portugal et Ferdinand V le Catholique décident de se partager le monde et, au traité de Tordesillas (1494), la ligne de partage est établie à 370 lieues au-delà des Açores, laissant ainsi au Portugal la protubérance nord-est de l’Amérique du Sud, origine du futur Brésil. Le pape ayant accordé sa caution, les autres souverains s’inclinent jusqu’au jour où François Ier non seulement rejettera ce partage, mais déclarera que le fait de traverser un territoire ou de le « découvrir de l’œil » ne suffit pas pour en prendre possession, formulant ainsi, dès 1540, la doctrine de l’occupation effective, qui sera le fondement de la colonisation moderne.

Entre-temps se sont constitués deux empires de caractères différents. Pour les Portugais, le Brésil mis à part, c’est une suite de comptoirs le long des côtes de l’Afrique et dans l’océan Indien, le but n’étant pas d’occuper des régions, mais de drainer vers Lisbonne, en vue de les revendre, les épices tant convoitées et qu’une politique de la « mer fermée » doit rendre inaccessibles à toutes les autres marines. En réalité, construction fragile, qui succombera bientôt sous les coups des Hollandais, des Anglais et des Français.

Les Espagnols, au contraire, après l’épopée des conquistadores, dominent un vaste ensemble territorial continu dirigé de Madrid par le Conseil des Indes avec, en Amérique (on dit « les Indes »), deux vice-rois, l’un en Nouvelle-Espagne (Mexique) et l’autre au Pérou, disposant d’une importante administration. L’économie repose d’abord sur l’exploitation des mines d’or et d’argent (le Potosí), puis sur certaines cultures tropicales (canne à sucre, cacao, indigo) et le grand élevage. La main-d’œuvre indienne ne pouvant suffire malgré la pratique de l’encomienda, qui remet des centaines d’individus à un seul encomiendero (« seigneur de la terre »), on fera appel à la traite des Noirs, source d’appauvrissement pour l’Afrique et de bouleversement démographique pour le Nouveau Monde.

Ce système de l’encomienda est au centre du grand débat mettant en cause le droit de colonisation et au cours duquel s’affrontent d’illustres théologiens, notamment Juan Ginés de Sepúlveda (v. 1490-1573) et Bartolomé de Las Casas (1474-1566) [en particulier lors des discussions de Valladolid en 1550 et 1551], le premier tendant à prouver la justice des guerres contre les Indiens, tandis que le second dénonce les horreurs dont ils sont victimes et demande la suppression de l’encomienda. Il en résultera (ordonnance générale de juillet 1573) une législation plus favorable aux indigènes : il a fallu soixante années de lutte pour faire reconnaître à l’Indien sa qualité d’homme.

• Les concurrents : Pays-Bas, Angleterre, France. Dès le début du xvie s., trois autres puissances maritimes vont prétendre au trafic océanique, puis à la possession de territoires outre-mer.

Les Hollandais, d’abord, commencent par la pratique du grand cabotage et deviennent « les rouliers et les facteurs de l’Europe » ; ils s’attaquent ensuite aux comptoirs portugais, prenant figure, à leur tour, de gros trafiquants en épices, pour se lancer plus tard, au xviiie s. seulement, dans les cultures tropicales, qui vont faire la richesse des Indes néerlandaises. Avant même la destruction de l’Invincible Armada (1588), les Anglais s’étaient rués sur les trésors du Nouveau Monde, tandis que des milliers d’émigrants allaient s’installer outre-Atlantique, donnant naissance aux colonies d’Amérique du Nord. Là, comme dans les Indes orientales, les Français, qui, depuis Richelieu et Colbert, avaient une politique coloniale, se dressaient devant l’expansion anglaise, mais le traité de Paris de 1763 réglera le conflit au profit de l’Angleterre.