Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Clemenceau (Georges) (suite)

« Le premier flic de France » (1906-1909)

Le 13 mars 1906, à soixante-cinq ans, Clemenceau devient ministre de l’Intérieur (cabinet Sarrien). Aux rixes, parfois sanglantes, provoquées par les « inventaires », il répond par la mise en sursis de la rédaction des inventaires.

Aux grèves du Nord et du Pas-de-Calais (mars 1906), il oppose d’abord la conciliation ; mais des heurts sanglants entre la troupe et les grévistes amènent Jean Jaurès à s’élever violemment contre la politique du ministre de l’Intérieur.

Quand Ferdinand Sarrien se retire (oct. 1906), Clemenceau lui succède comme président du Conseil, tout en gardant le portefeuille de l’Intérieur. Des incidents sanglants liés aux grèves se multiplient de 1906 à 1908 ; Clemenceau répond qu’il défend l’ordre légal contre la révolution. Il n’en lance pas moins un train de réformes sociales qui prolongent celles de Waldeck-Rousseau et dont les principales sont le congé hebdomadaire pour les travailleurs et la création d’un ministère du Travail (1906). Cependant, son ministre des Finances, Joseph Caillaux*, ne peut établir l’impôt sur le revenu, et lui-même doit composer avec le meneur des viticulteurs du Languedoc, Marcellin Albert (1907), à la suite de la mutinerie des « soldats du 17e ».

Lui, l’anticolonialiste de naguère, il envoie Lyautey rétablir l’ordre au Maroc oriental, car l’honneur exige que la France ne recule pas. À l’extérieur, par sa modération, il évite la guerre : lors de l’affaire bosniaque, en 1908, il fait savoir au gouvernement russe qu’il ne le soutiendra pas et il engage la France sur la voie de la coexistence pacifique avec l’Allemagne (accord de 1909 sur le Maroc), politique qui échouera malgré lui.

Mais, attaqué par Jaurès, avec lequel il entretient d’interminables joutes oratoires, déconsidéré par la révocation de cinquante-quatre agents à la suite d’une grève des postiers (1909), attaqué par la droite et le monde des affaires, qui voient en lui l’homme de l’impôt sur le revenu, il est défait le 20 juillet 1909 : « Il est mort de sa supériorité », dira Barrès. Et, de fait, depuis Jules Ferry et si l’on excepte Waldeck-Rousseau, la France n’avait pas connu une telle continuité gouvernementale et un tel homme d’État.

Retourné à l’opposition, le « Tigre » abat successivement Caillaux (1912) et Briand* (1913), et combat la candidature de Poincaré à la présidence de la République ; c’est l’origine d’une brouille célèbre entre les deux hommes.

Devant la guerre inéluctable, le patriotisme jacobin de Clemenceau se réveille : il vote le service des trois ans et fonde l’Homme libre (1913).


« Je fais la guerre » (1914-1918)

Les mesquineries des politiciens et des groupes parlementaires, la méfiance de Poincaré surtout retardent de trois ans l’arrivée au pouvoir du « Vieux », comme l’appellent les soldats. Durant cette période, à la tête de la commission sénatoriale de l’armée comme dans son journal, devenu l’Homme enchaîné, Clemenceau dénonce les insuffisances de l’effort de guerre, s’emporte contre la création des fronts en Orient, contrôle âprement le gouvernement (pendant la bataille de Verdun, il obligera dix-huit fois Briand à comparaître devant la commission). Il est le « chien de garde aux créneaux de la nation ». Avec son chapeau déformé, son écharpe de laine, ses gants gris et sa canne, il crée la figure légendaire du « Père la Victoire », qu’immortalisera sa statue des Champs-Élysées à Paris.

Avec l’entrée en guerre des États-Unis, que Clemenceau a ardemment souhaitée, l’année 1917 marque un tournant du conflit, mais le défaitisme gagne l’armée comme l’arrière ; la Russie abandonne la lutte ; des négociations secrètes, auxquelles se prête A. Briand, visent à l’établissement d’une paix blanche. Contre cette éventualité, Clemenceau se hérisse. Au Sénat, il s’attaque à Louis Malvy (22 juill. 1917), qui couvre les défaitistes. « Notre but est de vaincre ; pour l’atteindre, il faut le courage de choisir la voie du devoir et d’aller tout droit devant soi. » En un an, Clemenceau va réaliser ce but. À la tête d’un cabinet de guerre, il est investi le 16 novembre 1917 sur le programme que résume cette formule lapidaire : « Je fais la guerre ».

Tandis que Pétain rétablit le moral à l’avant, Clemenceau lance un emprunt de 10 milliards, place Foch au premier rang : le 26 mars 1918, à Doullens, il l’impose au commandement unique des armées alliées au moment où Ludendorff lance son offensive décisive sur la Somme. Dans ces tragiques circonstances, il imprègne de son énergie le pays tout entier. Il court d’un quartier général à l’autre, improvise la D. C. A. à Paris et obtient la confiance de la Chambre. Grâce aux renforts américains, Foch lance la contre-offensive de juillet 1918 en Champagne.


Le « Père la Victoire » (1918-19)

Le 11 novembre 1918, l’armistice est signé. Le « Tigre », emporté par l’émotion, reçoit du Parlement l’« hommage de la patrie ». Sa « monarchie » a sauvé la France. Il s’agit maintenant de gagner la paix.

Représentant de la France au Conseil des quatre Grands, président de la conférence de Paris, Georges Clemenceau, en face de l’idéaliste Wilson et du méfiant Lloyd George, ne peut obtenir pour la France ni l’annexion de la Sarre ni celle de la Rhénanie. L’opinion publique lui tient rigueur des insuffisances du traité de Versailles. Sa popularité s’effondre d’autant plus vite qu’à l’intérieur, hanté par la peur du bolchevisme, il brise les grèves de janvier 1919 et disperse une manifestation des veuves de guerre. À la suite des troubles du 1er mai 1919, il fait voter la loi des huit heures et l’impôt sur le revenu. Paradoxalement, le vieux jacobin, patronant le « bloc national » d’Alexandre Millerand, fait élire, la même année, la Chambre la plus réactionnaire que la France ait connue depuis Mac-Mahon. Le 8 décembre 1919, sous les acclamations, il reçoit solennellement les députés d’Alsace-Lorraine.