Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

clavecin (suite)

La facture connaît alors un nouvel essor, mais se laisse influencer par celle du piano moderne : en France, les clavecins Pleyel adoptent un cadre de métal. Les pédales, exceptionnelles à l’époque classique, sont utilisées pour changer les jeux, et celui de seize pieds est généralisé. Les Allemands, selon une disposition dite « Bach », que les anciens n’ont jamais connue, placent un jeu de quatre pieds et un jeu de huit pieds au clavier supérieur, un jeu de huit pieds et un jeu de seize pieds au clavier inférieur.

À ces types contemporains de l’instrument est destinée une riche littérature d’œuvres modernes, mais, depuis peu, on construit d’exactes copies d’instruments anciens qui permettent de restituer avec fidélité les œuvres classiques.

La plus ancienne tablature connue est un manuscrit anglais du début du xive s. (Robertsbridge Codex), mais c’est au xve s. qu’un véritable répertoire instrumental apparaît : transcriptions de chansons polyphoniques, danses instrumentales.

Au xvie s., des formes nouvelles de musique pure se stabilisent (prélude, canzone, ricercare, toccata, variation), et de véritables écoles instrumentales voient le jour.

En Italie, Andrea Antico (en 1531) et Marco Antonio Cavazzoni (dit da Bologna) font paraître des recueils destinés aussi bien aux petites orgues de salon qu’à des clavecins, des épinettes ou des clavicordes.

Si Girolamo Cavazzoni et Claudio Merulo s’adressent plutôt à l’orgue, les canzoni et ricercari d’Andrea et Giovanni Gabrieli* s’adaptent à tous les instruments à clavier. Traits de virtuosité ou polyphonies recherchées s’inscrivent dans un art instrumental déjà évolué, dont Girolamo Diruta, en 1593, fixe les principes d’exécution.

En France, sept volumes de musique de clavier, publiés par Pierre Attaingnant en 1531, demeurent le seul témoignage important et imprimé de notre art instrumental au xvie s.

L’école germanique s’attache surtout à l’orgue, mais les pages profanes de l’anthologie de Hans Kotter (1532) font appel au clavecin.

L’Espagne, favorisée par ses relations politiques avec l’étranger et ses rois mécènes, connaît déjà au xvie s. une exceptionnelle maturité artistique, dont A. de Cabezón est le reflet. Les voyages en Angleterre et dans les Flandres de ce musicien ont entraîné dans l’Europe entière l’essor de la variation, que l’école anglaise a su particulièrement exploiter.

Les Anglais ont destiné à la virginale (type d’épinette rectangulaire) une littérature très riche. Danses cursives, traits rapides, diminutions mettent en relief la légèreté et la précision de l’instrument. Les œuvres de William Byrd*, de John Bull, d’Orlando Gibbons sont conservées en de nombreux recueils (Parthenia [1612], Fitzwilliam Virginal Book [début du xviie s.], etc.). Cette école se prolongera au xviie s. avec H. Purcell, dont l’œuvre de clavier est peu importante, mais c’est en fait dans les Flandres que les virginalistes trouveront en J. P. Sweelinck* leur véritable successeur. Celui-ci, alliant la variation des Anglais au style de caractère vocal des Italiens, a fécondé l’école allemande du Nord grâce à ses élèves (Samuel Scheidt, Heinrich Scheidemann).

Au sud, Johann Jakob Froberger* s’inspire de la France, contribue à la formation de la suite et découvre en Italie l’art de Girolamo Frescobaldi*. Johann Pachelbel* se révèle un maître de la suite, puis Johann Krieger annonce déjà l’art du xviiie s., comme Johann Kuhnau (qui transporte la sonate à l’instrument à clavier) ou Johann Caspar Ferdinand Fischer. Au nord, D. Buxtehude* domine par sa virtuosité, mais Georg Böhm s’attache plus typiquement au clavecin.

Il est spécialement influencé par l’école française, qui renaît avec Jacques Champion de Chambonnières, qui brille avec Louis Couperin*, Jean Henri d’Anglebert, Jean Nicolas Geoffroy, Gaspard Le Roux et où triomphe un art ornemental dominé par la danse. L’Italie influence toutes les autres écoles, et Frescobaldi, réel virtuose épris de recherches expressives, fait évoluer les formes — canzone, toccata, capriccio — vers les schémas classiques : fugue, sonate, monothématisme.

L’instrument soliste s’épanouit plus que jamais au xviiie s. Il gagne en puissance, en tessiture et va pouvoir se mesurer à l’orchestre dans le concerto : J.-S. Bach* transpose au clavecin une forme confiée depuis longtemps au violon et accroît encore la virtuosité, la densité des polyphonies dans une prodigieuse synthèse ; les Variations Goldberg restent le sommet de ses recherches.

En Italie, Domenico Scarlatti* développe avec lyrisme un art typiquement lié au clavecin dans ses Essercizi. Recherchant plus l’intimité que l’éclat, l’école française est aussi à son apogée avec François Couperin*, puis J.-P. Rameau*.

En Angleterre, où il s’établit, Händel* mêle la France et l’Allemagne en un style très vigoureux qui n’ignore pas une fantaisie proche parfois de Scarlatti. Après de tels sommets, faut-il parler de décadence ou de renouvellement ? En tout cas, le style change, s’oriente vers un art galant aux mélodies accompagnées teintées d’un romantisme naissant parfois très éloquent. Les fils de Bach suivent cette évolution à travers la sévérité de Wilhelm Friedemann, le charme de Johann Christian, la mélancolie de Carl Philip. L’école française poursuit les recherches de F. Couperin avec Jean François d’Andrieu, Jacques Du Phly, Jean Frédéric Edelmann, Armand L. Couperin*, qui monte vers un art impressionniste. Domenico Cimarosa*, Baldassarre Galuppi, Francesco Durante en Italie, comme Antonio Soler en Espagne, Johann Schobert en Allemagne, Franz Benda en Bohême (pour ne citer que quelques noms) évoluent vers une musique qui s’adapte mieux au piano-forte, dont la vogue s’accentue de plus en plus. Le clavecin, cependant, reste encore utilisé par Mozart, Haydn et même Beethoven, qui destine au « clavecin ou pianoforte » ses premières sonates.

Le style dépouillé qu’autorise le toucher percutant du clavecin correspond à l’esthétique du xxe s. Sous l’impulsion de Wanda Landowska (1877-1959), un répertoire neuf apparaît, marqué par les concertos de Manuel de Falla*, de Francis Poulenc*, de Frank Martin*.