Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

classicisme (suite)

Le néo-classicisme se répandit dans l’ensemble de l’Europe, et le cheminement des influences est parfois difficile à apprécier. L’Angleterre est-elle à la source du néo-classicisme français ? Il est plus probable que l’influence anglaise joua dans les années 1770 et 1780 (époque de la construction du château de Bagatelle par Bélanger*). Le mélange des influences françaises et italiennes s’exerça sur de nombreux pays — le style Catherine II, en Russie, et le style Stanislas II Auguste, en Pologne, en furent les résultats. La version prussienne fut illustrée par Friedrich Gilly (1772-1800) et Karl Friedrich Schinkel*. Aux États-Unis, le Français Charles Louis Clérisseau (1721-1820) fut le conseiller de Thomas Jefferson*, dont le Capitole, à Richmond, est une adaptation de la Maison carrée de Nîmes : le temple antique devenait un modèle conventionnel d’édifice public.


Les nouveaux idéaux et la peinture

Beaucoup plus sensible encore est la transformation du style pictural, liée d’ailleurs à celle de l’architecture : une colonnade dorique sert de fond aux personnages du Serment des Horaces ; la scène des Amours de Pâris et d’Hélène se détache sur une série de caryatides jumelles de celles de l’Erechthéion : David*, élevé dans un milieu d’architectes, leur a demandé conseil pour ses tableaux. C’est lui, beaucoup plus que le Français Joseph Marie Vien (1716-1809), son maître, ou l’Allemand Anton Raphael Mengs (1728-1779), qui consacra le nouveau style, dont le Serment des Horaces (1784) apparaît comme le manifeste. Les architectures ne sont pas de simples accessoires, mais elles rythment la composition ; celle-ci rappelle les frises antiques par la disposition longitudinale, l’éclairage latéral et la vigueur du contour. La sobriété du coloris, inspiré de celui de la fresque, s’accompagne d’une stylisation sans précédent dans la peinture du xviiie s. L’effet de tension, obtenu souvent par une composition binaire, traduit également un climat nouveau : la peinture de David est militante ; elle reflète son idéal politique, qui prêtait les plus hautes vertus à la République romaine. La philosophie et la critique d’alors soulignent l’importance morale que l’on accordait à la peinture.

La référence à la grandeur romaine se retrouve chez Prud’hon*, mais dans un style qui doit plus au premier xviiie s. Son goût de l’allégorie est un autre aspect de l’état d’esprit néo-classique, renforcé par la Révolution française, qui donnait une valeur symbolique à tout ce qui pouvait suggérer l’avènement de l’État parfait.

La raison et la froideur sont souvent considérées comme des caractéristiques néo-classiques. Mais l’uniforme antique ne doit pas faire oublier les tensions qui animent l’art de cette époque, le rationnel et l’imaginaire, l’équilibre et le paroxysme apparaissant tour à tour, parfois, dans l’œuvre d’un même artiste. Il en est ainsi de la sculpture de Canova*, qui, pour certains, n’est qu’une surenchère de la statuaire antique, mais présente des exemples d’une rare violence (c’est le cas du groupe d’Hercule et Lichas).

L’aube du xixe s. a sa face nocturne. Goya* y figure, comme le Suisse Johann Heinrich Füssli (1741-1825), au dessin assez proche de celui de David, mais qui préfère les sorcières aux héros de l’Antiquité. De la même époque est William Blake*, le peintre et poète mystique. Pour résoudre les contradictions de ces temps bouleversés, les artistes entrèrent souvent dans les jardins de l’utopie, avant qu’au romantisme ne succèdent ordre bourgeois et éclectisme*.

E. P.

➙ Académisme / Archéologie / Baroque / Renaissance / Romantisme / Versailles.

 E. J. Delécluze, Louis David, son école et son temps (Didier, 1855). / H. Wölfflin, Die klassische Kunst (Berlin, 1899 ; 7e éd., 1924 ; trad. fr. l’Art classique, Stock, 1970). / A. Fontaine, les Doctrines d’art en France (Laurens, 1909). / A. Blunt, Artistic Theory in Italy, 1450-1600 (Londres, 1940 ; nouv. éd., 1956 ; trad. fr. la Théorie des arts en Italie, 1450-1600, Julliard, 1962) ; The Art and Architecture in France, 1500 to 1700 (Harmondsworth, 1953). / L. Hautecœur, Histoire de l’architecture classique en France (A. et J. Picard, 1943-1957 ; 9 vol.). / D. Mahon, Studies in Seicento Art and Theory (Londres, 1947). / R. Zeitler, Klassizismus and Utopia (Stockholm, 1954). / B. Rowland, The Classical Tradition in Western Art (Cambridge, Mass., 1963). / J. Summerson, The Classical Language of Architecture (Londres, 1964). / G. Bazin, Classique, baroque et rococo (Larousse, 1965). / F.-G. Pariset, l’Art classique (P. U. F., 1965). / B. Teyssèdre, Roger de Piles et les débats sur le coloris au siècle de Louis XIV (Bibliothèque des arts, 1965) ; l’Art au siècle de Louis XIV (le Livre de poche, 1967). / H. Honour, Neo-classicism (Harmondsworth, 1968).


Le classicisme musical

Le classicisme musical semble paraître avec un siècle de retard. La musique classique est définie par une période qui débute vers 1750-1780, après la mort de Bach, pour s’achever vers 1830, date à laquelle le romantisme lui succède. Ses principaux représentants se nomment Haydn*, Mozart*, Clementi*, Beethoven*. Ils évoquent une façon de penser et de sentir, une tournure d’esprit se manifestant par la maîtrise de la forme, la recherche d’un plan, une structure régulière, un langage harmonique et un programme tonal clairs, une certaine réserve dans l’expression, la carrure régulière de la mélodie, l’emploi de rythmes simples ; équilibre, clarté, élégance, ce sont là les qualités essentielles du classicisme musical, rejoignant ainsi celles de tout classicisme. Mais alors pourquoi attribuer l’épithète de classique aux seuls musiciens viennois et le refuser à la pléiade de compositeurs du xviie s. français, Lully, Delalande, Couperin, Rameau, alors que Beethoven, dont les dates s’inscrivent dans la période classique, ne l’est déjà plus dans sa troisième symphonie, que, sur les trente-deux sonates de piano, seules les premières peuvent être considérées comme classiques et que ce décalage avec l’esprit du classicisme ne fait que s’accentuer jusqu’au terme de son œuvre ? Un opéra de Lully n’est-il pas construit avec autant de rigueur qu’une tragédie racinienne ? Un motet de Delalande ne renferme-t-il pas autant d’éloquence contenue qu’un sermon de Bossuet ? Et cette génération de musiciens de Louis XIV, autant que ses littérateurs et ses peintres, porte le renom de la France très loin hors de ses frontières.