Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

classicisme (suite)

France

Le classicisme n’est sans doute pas un produit naturel du sol français, car il s’y implanta difficilement, transformant le décor avant de s’enraciner dans la structure. L’ornementation importée d’Italie à la fin du xve s. fut, dans un premier temps, copiée par les artisans français de façon épidermique, au mépris de sa fonction. Certes, les éléments antiques y dominaient : rangées de perles, d’oves et de rinceaux ; médaillons à têtes sculptées imitées des arcs de triomphe romains ; « putti », enfants nus qui décoraient les sarcophages païens ; « candélabres », vases superposés entremêlés de rinceaux avec lesquels ils forment des « arabesques », compliquées souvent d’un bestiaire fantastique. Mais ces éléments étaient, comme à la chartreuse de Pavie, distribués avec une telle profusion qu’on ne peut qualifier leur assemblage de « classique » : il fait penser bien plus au foisonnement gothique.

Il fallut l’autorité de François Ier pour imposer d’autres modèles. Encore n’y réussit-il pas du premier coup. Ce n’est qu’en 1526, au château de Madrid (autrefois situé au bois de Boulogne), qu’apparaissent les fenêtres à frontons triangulaires ou cintrés, les linteaux ornés d’une simple corniche, et les colonnes que l’on substitue aux pilastres. Leurs chapiteaux sont encore fantaisistes, comparés à ceux de Villers-Cotterêts qui montrent de plus nettes préoccupations archéologiques. Trois éditions de Vitruve parurent en français en 1530, en 1539 et en 1542, reflétant un nouveau climat et contribuant à le développer.

C’est aussi l’époque de la renaissance de Fontainebleau*, cette première identification de la royauté et du classicisme français. Serlio y a sans doute joué le rôle de conseiller. Son compatriote le Primatice, après y avoir créé des décors d’un maniérisme complexe, modifie son style : l’aile de la Belle Cheminée présente une allure symétrique, un rythme très calme marqué par les ouvertures et les pilastres de l’étage, l’ensemble étant équilibré par l’importance des jeux d’ombres et de lumières, la taille en refend des pierres du rez-de-chaussée, le retrait du corps central souligné par le double escalier, la loggia encadrée de niches, les hautes lucarnes — ces dernières, avec les toits pentus, traits de la prédilection française pour la verticalité.

Une génération d’architectes français se place au premier plan à la fin du règne de François Ier. Ils ne se considèrent plus comme des « maîtres maçons », mais tiennent à affirmer leur dignité d’architectes, empruntant à Alberti la haute idée qu’il se faisait de cette fonction. Pierre Lescot* fut chargé de la transformation du Louvre*. Il conçut le pavillon du Roi (cellule initiale de la cour Carrée) sur un rythme ternaire de trois avant-corps reliés au rez-de-chaussée par deux arcatures triples. Le dernier étage, en attique, était une nouveauté. Si la succession des pilastres, des colonnes et des ouvertures est calme et soumise à une symétrie rigoureuse, les ruptures de corniches, comme la sculpture figurée de l’attique, animent cette façade.

La personnalité de Philibert Delorme* se manifeste avec vigueur, joignant la passion archéologique — d’ailleurs sainement dominée — à la vivacité d’imagination et à une curiosité d’esprit qui le mène à la redécouverte de certaines lois naturelles. Ayant travaillé trois années durant à inventorier les vestiges livrés par le sol de Rome, étudiés à la lumière de Vitruve, Delorme évolue vers une manière très personnelle, guidé par le sens de l’harmonie de la nature. Extrêmement soucieux des proportions, il les conçoit en fonction d’un univers plus vaste que celui des premiers théoriciens de la Renaissance — pour lesquels l’homme était la mesure de toute chose. Attiré par la prouesse technique, il attache aussi une grande importance à l’économie des moyens au sens le plus matériel de l’expression, comme le prouve le titre de son dernier ouvrage, Nouvelles Inventions pour bien bastir et à peu de frais (1561). Inventeur de l’« ordre français » (aux colonnes baguées à chapiteaux ioniques) qui garnissait la façade du pavillon central du château des Tuileries, de ton vivement maniériste, son style est classique à la chapelle d’Anet, subtile combinaison d’un plan rond avec coupole à l’italienne et d’un portique d’entrée flanqué de deux tours — clochers à la française.

La trilogie se complète avec Jean Bullant (v. 1520-1578), qui travailla à Ecouen (portique sud ?) et à Chantilly, où la sobriété ornementale n’exclut pas les effets marqués : l’accentuation des reliefs par la rupture des lignes horizontales.

C’est en 1531 qu’est entreprise la décoration intérieure de Fontainebleau, due au Rosso*, puis au Primatice. Associés aux peintures, des stucs en haut relief — caryatides, putti, cuirs et guirlandes — créent dans la galerie François-Ier un climat d’agitation à peine tempéré par la répétition des motifs ; l’élongation des corps est d’un maniérisme évident. L’union de ce décor à un programme iconographique destiné à exalter le prince n’était pas nouvelle ; l’Italie en avait fourni d’autres exemples. Mais l’originalité en était le renouvellement des formes du premier classicisme, dont l’élégance un peu sèche est remplacée par une vivacité et une générosité inconnues jusqu’alors. Fontainebleau et ses décors ont servi de musée aux peintres du siècle suivant : Poussin, Le Brun, Mignard s’y formèrent le goût.


L’épanouissement et les deux classicismes français

Pour désigner les grands peintres du xvie s., à commencer par le très classique Raphaël*, l’expression d’artistes de la Renaissance est d’un usage depuis longtemps consacré. Un ensemble décoratif romain, la galerie Farnèse, peinte de 1597 à 1604 dans le palais du même nom par les Carrache*, peut servir de point de départ au classicisme pictural proprement dit. La fin du xvie s. est marquée par une réaction contre le maniérisme : l’opinion selon laquelle on ne pouvait qu’imiter la « manière » de prédécesseurs géniaux est contredite par les théories comme par les œuvres nées dans l’entourage des Carrache. Ceux-ci donnent en effet une grande importance à l’étude de la nature, sans négliger d’ailleurs la leçon des maîtres — parmi lesquels prennent place les Vénitiens. Dans sa préface à un traité de peinture, un ami des Carrache et du Dominiquin (v. académisme), Mgr Agucchi, résume assez bien ce point de vue anti-maniériste : le déclin de la peinture est dû à un manque d’attention à la nature. Mais il ne recommande pas pour autant le naturalisme, car « les meilleurs artistes réunissent en un sujet les beautés éparses en beaucoup d’autres, en font un seul par la finesse de leur jugement et représentent les choses non comme elles sont, mais comme elles devraient être, pour atteindre parfaitement leur but ».