Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

classicisme (suite)

Mais ce fut Serlio* qui entama ce que l’on a pu nommer le « procès de canonisation des ordres ». Dans son Traité d’architecture, dont deux volumes parurent à Venise (1537-1540) et les autres en France (1545-1551), où il travailla pour François Ier, il imposait les ordres avec ce goût des normes qui est lié à l’état d’esprit classique. Mieux, il les personnifiait, le dorique et le toscan signifiant la force virile, l’ionique et le corinthien la grâce féminine. Aux ordres étaient assignés différents messages suivant qu’ils décoraient une façade d’église ou de palais. Ainsi, le choix d’un ordre peut-il s’apparenter à celui d’un mode musical. Une autre donnée, l’entrecolonnement (mesuré en diamètres de colonnes) est comparable au tempo. En espaçant plus ou moins pilastres ou colonnes, en les couplant ou non, on fait varier le rythme d’une façade.

Là où règne la tradition latine, architecte et bâtiment s’expriment donc par les ordres. Or, ceux-ci ne sont pas indispensables à la structure, et la gageure consiste à faire admettre leur nécessité, en jouant sur la plus ou moins grande intégration au fond des colonnes, des pilastres, des soubassements et des entablements, c’est-à-dire sur des effets de perspective.


Italie

En dépit de l’activité toscane des Sangallo*, Rome domine dans la première moitié du xvie s. Bramante* s’impose par l’élégance dépouillée, presque sévère de ses œuvres romaines. Son « tempietto » (1502), chef-d’œuvre de science dans les proportions, est une transposition du temple rond de l’Antiquité romaine. À travers les ouvrages de Serlio et de Palladio, il acquit une réputation immense et fut considéré comme un modèle aussi exemplaire que l’arc de Constantin ou le Panthéon. Des travaux que Bramante effectua au Vatican, outre leur importance urbanistique, il faut retenir le motif de l’abside creusée dans le mur de la cour dite « della Pigna », dont les réminiscences seront nombreuses en Italie comme en France.

Un goût accusé pour la hardiesse des effets se manifeste bientôt, illustré par Michel-Ange* dans la décoration de la bibliothèque Laurentienne (Florence, 1524-1526), où les doubles colonnes et leurs supports ne simulent même plus la nécessité et n’ont que des fonctions décoratives. Le choix des proportions du vestibule très haut et de la salle longue et étroite montre non plus la recherche de l’équilibre des proportions de la première Renaissance, mais une propension à créer un mouvement qui est canalisé à travers l’espace dans des limites rigides. On a donné le nom de maniérisme* à cette tendance du classicisme, plus colorée et plus mouvementée, également représentée par Jules Romain*, auteur du palais ducal et du palais du Te à Mantoue, où apparaissent la taille des pierres dite « rustique », les bossages, les ruptures d’entablement et même les colonnes torses.

Au même style se rattache Palladio*, le héros de l’architecture classique vénitienne. Jacopo Sansovino* avait déjà annoncé le classicisme romain par ses constructions de la place Saint-Marc et surtout par le palais Corner. Mais Palladio, à la fois théoricien et architecte, illustrateur d’un commentaire de Vitruve, auteur de l’Antiquité romaine d’après les auteurs anciens et modernes (1554), qui ne connut pas moins de cinquante rééditions, et des Quatre Livres d’architecture, publiés à partir de 1570, eut une influence incomparablement plus profonde. Archéologue, son interprétation des ordres est cependant très personnelle ; il recommande l’ordre colossal, dont il flanque les façades de ses églises vénitiennes comme celles de ses villas aux environs de Vicence. Les effets colorés sont obtenus par l’usage du décor rustique, des loggias au premier étage et du célèbre « motif palladien » — triple ouverture, celle du centre surmontée d’un arc retombant sur des colonnes, le tout encadré d’un ordre de taille supérieure. Palladio ne recule pas devant d’étonnantes solutions, telle la façade à deux frontons superposés et imbriqués de San Giorgio Maggiore à Venise, et il maîtrise parfaitement l’illusion de la nécessité structurelle. Son morceau de bravoure est la scène du théâtre de Vicence, où la parfaite réussite du trompe-l’œil suggère une profondeur très supérieure à la réalité. L’architecture des villas palladiennes, par l’habileté de leurs plans clairs et symétriques, la logique des rapports entre les éléments courbes et rectilignes, est vraiment classique. De même le souci de l’environnement que Palladio exprime dans ses Quatre Livres : il atteint ici, entre la force dominatrice de l’architecture et son intégration dans le paysage, le même équilibre que dans ses constructions elles-mêmes.


Grande-Bretagne

L’influence de Palladio sur l’architecture de l’Angleterre est si manifeste que l’on parle de « palladianisme » à propos du style classique anglais. Celui-ci fleurit tard, et l’on peut en parler comme d’un prolongement de la Renaissance qui s’épanouit, sans solution de continuité, jusqu’en plein xviiie s.

Inigo Jones*, dont l’œuvre de décorateur de théâtre se situe en partie dans l’univers baroque, fait preuve en architecture d’un esprit classique dont l’arrière-plan palladien est indiscutable. La maison de la Reine à Greenwich (1616-1635), par son plan symétrique, contraste fortement avec l’aspect désordonné des maisons de l’époque jacobite et rappelle le décor palladien par sa loggia centrale. Une œuvre probable de Jones, Lindsay house, fait appel aux mêmes réminiscences — le rez-de-chaussée à refends surmonté d’un ordre colossal, et l’ensemble d’un fronton. Cette ordonnance des façades sera suivie jusqu’à la construction du Royal Crescent de Bath, par John Wood le Jeune (1728-1781). La petite église Saint Paul est un témoin intéressant, dans l’œuvre d’Inigo Jones, de la référence à Vitruve et à sa description de l’ordre toscan. Le respect presque littéral du modèle antique fait de cet édifice une manifestation néo-classique avant la lettre. On ne peut guère contester la sonorité classique de la phrase par laquelle Inigo Jones a exprimé son idéal architectural : « La décoration extérieure doit être solide, ordonnée selon les règles, virile et sans prétention. »