Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

cinétique chimique (suite)

La théorie du complexe activé, dite encore « de l’état de transition », a surtout été développée par Eyring à partir de 1935 ; elle s’est substituée à la théorie trop schématique des collisions, selon laquelle l’activation des molécules résultait de la transformation, à l’occasion des chocs, de l’énergie cinétique de translation. L’état de transition invoqué par la théorie du complexe activé n’est pas seulement une vague image : il lui correspond des caractères précis, en particulier une énergie que l’on peut espérer déterminer, au moins de façon approchée, en application des méthodes de la mécanique ondulatoire ; quelques exemples, très simples il est vrai, ont été abordés avec succès.

R. D.


Quelques biographies


Ernst August Max Bodenstein,

chimiste allemand (Magdeburg 1871 - Berlin 1942). Spécialiste de thermodynamique et de cinétique chimiques, il est l’auteur de recherches sur les équilibres, les vitesses de réactions, la photochimie et la catalyse.


Manfred Eigen,

chimiste allemand (Bochum 1927). Grâce à une brève élévation de température des milieux réagissants, il a pu déterminer le mécanisme de réactions chimiques très rapides. Prix Nobel de chimie en 1967 avec Norrish et Porter.


Ronald George Weyford Norrish,

chimiste anglais (Cambridge 1897). Avec son assistant, George Porter (Stainforth 1920), il a mis en évidence la formation de radicaux libres et leur recombinaison au cours de réactions chimiques très rapides. Tous deux ont partagé avec Eigen le prix Nobel de chimie en 1967.

 K. J. Laidler, Chemical Kinetics (New York, 1950). / G. Pannetier et P. Souchay, Chimie générale : Cinétique chimique (Masson, 1964). / R. Ben Aïm et M. Destriau, Introduction à la cinétique chimique (Dunod, 1967).

Cinq (groupe des)

Nom donné en Europe occidentale à un groupe de musiciens russes formé par Balakirev vers 1860 et incluant Moussorgski, Borodine, Rimski-Korsakov et César Cui. (C’est la traduction libre de l’expression russe « Mogoutchaïa koutchka » [puissante petite bande].)


Mili Alekseïevitch Balakirev (1837-1910), sans formation technique de base, était doué d’un instinct musical qui devait stupéfier Glinka lui-même ; il possédait en outre une immense culture, grâce au riche fonctionnaire Aleksandr Dmitrievitch Oulibichev (1794-1858) [le biographe de Mozart], qui s’était pris d’affection pour lui. Son premier associé fut le lieutenant César Cui (1835-1918), qui sortait de l’École du génie. Puis se joignit à eux le jeune officier de la garde Preobrajenski, Modest Petrovitch Moussorgski*, rencontré par Balakirev dans une des soirées musicales où Aleksandr Sergueïevitch Dargomyjski (1813-1869) recevait chaque semaine une société choisie. En 1861, Nikolaï Andreïevitch Rimski-Korsakov*, élève de l’École navale, puis Aleksandr Porfirievitch Borodine*, assistant de chimie à l’École de médecine, se trouvèrent enrôlés à leur tour.

Ce qui réunissait ces jeunes gens, c’était avant tout le désir de lutter contre l’« intolérable scolastique musicale », contre l’envahissement étranger, contre le snobisme des classes supérieures, qui rejetaient avec mépris jusqu’à leur propre langue et considéraient leur musique nationale comme « une musique de cochers et de moujiks ». Les principales sources de ce groupe hétéroclite et révolutionnaire largement inspiré par les réformes politiques de 1861 (libération des serfs) devaient être — à part H. Berlioz, révélé en 1868 lors de sa tournée à Saint-Pétersbourg — deux musiciens de la génération précédente : Dargomyjski et Glinka. Le premier était à cette époque directeur de la Société de musique impériale de Saint-Pétersbourg. Il avait fait la connaissance de Moussorgski au retour d’une tournée à l’étranger et s’était bientôt lié aux quatre autres membres. Le second avait eu le mérite de comprendre la richesse jusque-là inexploitée des chants populaires russes et de faire confiance au génie national. C’est ainsi qu’il avait refusé d’étudier sérieusement l’art de la composition, car, disait-il, « la rigueur du contrepoint allemand n’est pas toujours bonne pour la libre imagination ». Ces paroles allaient, vingt ans plus tard, servir de devise aux Cinq dans leur lutte pour « russifier » la musique. Afin de se débarrasser de toute influence étrangère, ils préconisèrent donc l’emploi exclusif de thèmes populaires et de sujets tirés de l’histoire de la Russie. C’est à C. Cui, devenu en 1864 critique du Journal de Saint-Pétersbourg, que devait revenir l’honneur de proclamer cet idéal et de créer autour du groupe, par ses habiles pamphlets contre le conservatisme en musique, une agitation intense. Mais le propagandiste le plus passionné et le premier supporter de Balakirev dans la lutte fut le polémiste Vladimir Vassilievitch Stassov (1824-1906), dont les articles véhéments et agressifs, écrits dans un style direct et aisé à lire, contribuèrent pour beaucoup au succès des pionniers de la nouvelle école russe. Face à ce mouvement nationaliste, la critique, composée d’un petit nombre d’écrivains malveillants et hostiles en bloc à toute nouveauté, puis Anton Grigorievitch Rubinstein (créateur en 1859 de la Société de musique russe et du conservatoire de Saint-Pétersbourg) et P. Tchaïkovski formèrent avec leurs élèves et leurs partisans un clan nettement opposé. Les Cinq siégèrent à Saint-Pétersbourg, les « conservateurs » à Moscou, ville cependant beaucoup moins européanisée que la précédente. Si l’opposition fut farouche avec Cui et Moussorgski, Tchaïkovski manifesta cependant une certaine sympathie pour Rimski-Korsakov et Balakirev ; mais la formation et l’influence occidentales, si apparentes chez ce musicien, s’ajoutaient à une hypersensibilité et à un besoin d’épanchement qui devaient le séparer essentiellement des Cinq, chez qui l’élément descriptif est si important. C’est pourquoi la lutte eut lieu sur deux plans différents, le vrai terrain des Cinq étant surtout le théâtre, le sien étant la musique symphonique. En France, Debussy et ses successeurs furent influencés par les Cinq, qui contribuèrent à la création dans toute l’Europe de brillantes écoles nationales.

M.-D. F.

 M. D. Calvocoressi et G. Abraham, Masters of Russian Music (Londres, 1936). / M. Durand-Fardel, Trois des Cinq : Moussorgsky, Rimsky-Korsakov, Borodine (Éd. des îles de Lérins, 1942). / V. Seroff, les Héros de la musique russe : le groupe des Cinq (Le Bon Plaisir et Plon, 1949). / M. R. Hofmann, la Vie des grands musiciens russes (A. Michel, 1965).