Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

cinétique (art) (suite)

Les idées constructivistes trouvent un terrain propice au Bauhaus* allemand, dont les travaux peuvent apparaître comme un troisième antécédent direct du cinétisme actuel. En effet, le mouvement occupe une place importante parmi les recherches très diversifiées de l’école, notamment chez Josef Albers et Johannes Itten (expériences faites sur les mouvements optiques et chromatiques), Ludwig Hirschfeld-Mack et László Moholy-Nagy* (expériences lumino-cinétiques). À côté de leurs recherches plastiques, les réflexions théoriques des maîtres du Bauhaus annoncent bien avant la lettre certaines directions actuelles de l’art. Moholy-Nagy croyait à la participation active du spectateur et à l’anonymat de l’artiste ; son Lichtrequisit (1922-1930) était une machine expérimentale en mouvement réel, où le métal, le verre, le Plexiglas et des ampoules colorées exprimaient de façon inédite l’espace et le temps. Après la fermeture du Bauhaus, certains maîtres continuèrent leurs recherches et leur enseignement dans les pays qui les avaient accueillis ; c’est le cas de Josef Albers, réfugié aux États-Unis. Son œuvre et ses propos sur les possibilités d’interaction optique de la couleur ont été le point de départ d’expériences chromatiques ultérieures.


Cinétisme virtuel : l’op’ art

Si les débuts de l’abstraction géométrique remontent au moins à la Première Guerre mondiale, l’op’ art, en tant que mouvement artistique, se situe une quarantaine d’années plus tard. Les phénomènes optiques, quoique connus des artistes, restaient pour beaucoup d’entre eux une curiosité, un exercice visuel non susceptible d’engendrer un nouveau langage plastique. Par ailleurs, l’invention des peintures acryliques, de certaines émulsions, des plastiques et des outils de travail correspondants, susceptible de favoriser ce passage, est relativement récente. C’est donc vers la fin des années 50, en coïncidence avec l’abstraction lyrique, qu’un groupe de jeunes créateurs découvre une forme d’abstraction disciplinée, mais potentiellement plus riche que la tradition constructiviste.

Les œuvres en mouvement virtuel ou apparent restent en quelque sorte à mi-chemin entre le statique et le mobile. L’intention principale des artistes « op » est de produire la sensation du mouvement, suggérée de façon contraignante par des effets optiques. Certes, ils y associent souvent le mouvement réel ; néanmoins on peut considérer comme optiques les œuvres bidimensionnelles qui produisent, au moyen de phénomènes optiques contrôlés, une sensation d’instabilité dans la vision. Ce qui implique que l’espace plastique n’est plus une donnée, un fait, mais un potentiel de création permanente.

Parmi les phénomènes optiques les plus employés par les artistes « op » se trouvent les structures périodiques (répétition d’un élément géométrique simple), les structures alternées (coupures brusques d’une structure périodique), le mouvement consécutif de Purkinje, ou after-image, les effets d’irradiation et de diffusion, l’effet moiré, les contrastes simultanés et successifs de couleurs, leur mélange optique, etc. Ce sont des incitateurs visuels auxquels l’œil répond de façon automatique. Outre l’impression de mouvement, ils peuvent aussi produire une sensation de malaise qui provient de l’incapacité de l’œil à fixer l’espace illusoire qu’ils suggèrent. La surface avance et recule, devient illimitée, ambiguë, giratoire ou scintillante, se teinte de couleurs engendrées par des réactions rétiniennes.

Avec un vocabulaire formel volontairement restreint, emprunté à l’abstraction géométrique, l’organisation de la surface dépend des relations exactes entre les éléments ; le choix d’une échelle appropriée est un facteur décisif pour l’intensité de l’effet. L’alternance de blanc et de noir, selon des modalités très précises, est le principal moyen employé pour obtenir un effet instable de la surface ; Bridget Riley (née en 1931), Jeffrey Steele (né en 1931), Reginald Neal (né en 1909), Richard Anuszkiewicz (né en 1930) comptent parmi les nombreux artistes anglais ou américains dont les œuvres en noir et blanc cherchent une sensation-réponse immédiate du spectateur. Ce but fut souligné en 1965 par l’exposition « The Responsive Eye » au musée d’Art moderne de New York.


Deux chefs de file : Vasarely et Soto

L’œuvre de Victor Vasarely*, installé à Paris dès 1930, est une source aussi importante pour l’utilisation des phénomènes optiques de la couleur que l’enseignement d’Albers. En 1932, Vasarely réalise ses premières œuvres optiques : des dessins géométriques pour des tissus imprimés ; plus tard, des études figuratives linéaires l’amènent à l’emploi du cinétisme virtuel, et des dessins agrandis par procédé photographique (Photographismes, 1951) lui confirment le pouvoir de la machine en tant qu’auxiliaire de l’art. À partir d’éléments simples qu’il appelle les formes-couleurs, Vasarely use de la multiplication sérielle, des alternances et des permutations pour créer une « plastique cinétique » où la notion de mouvement est toujours liée à l’illusion d’un espace instable. Dans une série d’écrits, notamment le Manifeste jaune, publié à Paris en 1955 lors de l’exposition « Mouvement I » — présentée par la galerie Denise René dont l’artiste est le cofondateur —, il exprime ses convictions sur la valeur sociologique de l’art, la participation active du public, le besoin d’une multiplication industrialisée de l’œuvre d’art ; ces propos exercent une influence considérable sur les jeunes artistes de la « nouvelle tendance ».

Vénézuélien d’origine, Jésus Raphaël Soto* travaille à Paris depuis 1950 ; son œuvre a eu pour objet initial de « dynamiser » les compositions des néo-plasticistes. « Par la répétition à l’infini d’un carré, celui-ci finit par disparaître et produit un mouvement pur », dit Soto. En juxtaposant pointillés, grilles ou spirales tracés sur du Plexiglas et superposés dans la troisième dimension, l’artiste obtient une vibration optique qui s’accentue au moindre mouvement du spectateur. Les possibilités cinétiques de l’effet de moire constituent la base des recherches de Soto depuis 1955 ; fils de fer, tiges et barres métalliques suspendues, carrés colorés remplacent les éléments peints et, sur des fonds striés, captent la lumière et se « dématérialisent ». L’œil perçoit une vibration intense dans un espace mobile, insaisissable, qu’il recrée par son propre déplacement. Des reliefs accrochés au mur, des suspensions, des œuvres monumentales expriment le vœu de Soto de « faire comprendre aux gens que nous baignons dans la trinité espace-temps-lumière ».