Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

christianisme (suite)

La querelle des images à peine terminée, surgirent de nouvelles difficultés à Constantinople. Un patriarche y fut déposé et remplacé (858) par Photios (v. 820 - v. 895), plus docile envers le pouvoir. En 863, Rome le déposa. L’ancien patriarche retrouva ensuite son siège, puis Jean VIII, pape de 872 à 882, sagement laissa le conflit s’apaiser. Mais ainsi se préparait le grand schisme du xie s., fruit tant des équivoques doctrinales que des conflits politiques ou personnels.

En 1043, un nouveau patriarche, Michel Keroularios (ou Cérulaire) [v. 1000 - 1059], était intronisé à Byzance, alors qu’à Rome s’installaient des papes réformateurs. Michel Keroularios, craignant leur influence sur le basileus, chercha la rupture. L’un d’eux, Léon IX (1049-1054), pontife énergique, envoya à Constantinople le cardinal-légat Humbert, homme sans mesure, qui, profitant de la mort de Léon IX, excommunia Michel Keroularios le 16 juillet 1054. L’Orient prit fait et cause pour ce dernier.

Malgré des tentatives de rapprochement, principalement au xiie et au xve s., dues au désir des empereurs d’obtenir des secours d’Occident dans leurs luttes contre les Turcs, la séparation était bien définitivement consommée.

C’était une terrible défaite pour Rome et un affaiblissement non seulement sur le plan politique, au moment où s’ouvrait en Occident la grande querelle des Investitures avec les pouvoirs séculiers, mais aussi sur le plan doctrinal. Toutes les richesses spirituelles de l’Orient allaient désormais évoluer isolément, et le fructueux échange entre les deux spiritualités ne pourra plus avoir lieu.

Les orthodoxes grecs se séparèrent du christianisme occidental, entraînant dans leur sillage les peuples slaves. Malgré la chute de Constantinople en 1453, le siège patriarcal se maintiendra sous la domination turque, et jusqu’à maintenant un christianisme orthodoxe, séparé de Rome, vivra son existence propre. L’Église la plus prestigieuse et la plus nombreuse issue du patriarcat de Constantinople, l’Église russe, se considéra après la chute de l’Empire comme l’héritière et la gardienne de l’orthodoxie, et sa capitale, Moscou, devint en 1589 le siège d’un autre patriarcat oriental.

Alors que le « césaropapisme » des empereurs byzantins s’affirmait de plus en plus après le schisme de 1054, en Occident, au contraire, aux xie et xiie s., la papauté, à l’époque de la querelle des Investitures*, prolongée par celle du Sacerdoce* et de l’Empire, rétablissait son indépendance à l’égard du pouvoir temporel et ensuite lui imposait la suprématie de sa juridiction spirituelle. Au début du xiiie s., Innocent III, pape de 1198 à 1216, personnifia cette doctrine théocratique.

Cette renaissance de l’autorité religieuse conditionne celle de la pensée et du dogme chrétiens. Le xiie s. est dominé par les figures de saint Anselme* (1033-1109), qui approfondit dans son Cur Deus homo (Pourquoi un Dieu homme) le mystère de la Rédemption, et de saint Bernard* (1090-1153). L’œuvre de l’augustinien Hugues de Saint-Victor († 1141) laisse pressentir les grandes Sommes du xiiie s.

Le xiie s., au point de vue théologique, reste celui des controverses sur la Trinité, illustrées par le plus célèbre des « disputeurs », Abélard* (1079-1142), que réfute saint Bernard. Si le grand abbé de Clairvaux est peu original quant à la doctrine, il préfigure cependant par sa spiritualité tout le courant « christocentrique » qui sera celui de Luther, puis celui de l’école française au xviie s.

Le xiiie s. reste, sans contredit, le grand siècle de la chrétienté, siècle des cathédrales et siècle des croisades, et aussi siècle de saint Thomas d’Aquin. La floraison de la théologie médiévale fut favorisée par la création d’universités, surtout celle de Paris, l’apparition de nouveaux maîtres, les moines mendiants, qui enseignèrent une scolastique fortement influencée par la philosophie d’Aristote. Mais cette scolastique était moins une doctrine qu’une méthode d’organisation et de discipline.

Alors que saint Bonaventure* (1221-1274) demeurait platonicien et augustinien, saint Albert* le Grand (v. 1193-1280) écrivait une grande œuvre encyclopédique où il mettait au service de ses contemporains la pensée d’Aristote. C’est saint Thomas* d’Aquin (1225-1274), le « docteur angélique », qui, le premier, utilisa la métaphysique d’Aristote dans ses grands traités et notamment dans sa Somme théologique, où il construisit la plus célèbre synthèse des vérités révélées et des vérités accessibles à la seule raison. Dans l’œuvre de saint Thomas d’Aquin, la foi et la raison s’unissent dans un harmonieux équilibre.

Cependant contre une chrétienté peut-être trop structurée, des réactions héréticisantes ou hérétiques étaient inévitables. Parmi les premières, on distingue le mouvement vaudois, qui s’épanouit autour de Lyon ; il prônait la pauvreté évangélique et la lecture de la Bible ; en partie dispersé par Innocent III, il subsista longtemps, principalement dans le nord de l’Italie et le Dauphiné.

Un autre mouvement se rattache au vieux rêve des millénaristes des premiers temps de l’Église. Un moine calabrais, Joachim de Flore (v. 1130-1202), voulut réformer l’Église et annonça l’avènement du règne de l’Esprit-Saint ; des franciscains scandalisés par la richesse de l’Église et la vie de luxe menée par les clercs se déclarèrent partisans de ses idées.

La grande hérésie du xiiie s. reste cependant celle des cathares*. Leur doctrine est mal connue. Les inquisiteurs leur imputèrent une croyance manichéiste qui leur serait venue d’Orient par l’intermédiaire des bogomiles, installés dans les Balkans. Quoi qu’il en soit, dès la fin du xiie s., ils sont répandus dans toute l’Europe, mais sont surtout nombreux dans le midi de la France, où les comtes de Toulouse les protègent.

C’est Innocent III qui, reprenant les injonctions du troisième concile de Latran de 1179, prêcha la croisade contre eux. Conflit à la fois religieux et politique, qui voit le nord de la France se ruer sur les provinces méditerranéennes, guerre terrible, où les appétits temporels l’emportent de loin sur les motifs religieux. L’œuvre d’extermination des croisés de Simon de Montfort fut poursuivie par celle de l’Inquisition* et confiée aux ordres mendiants.