Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chrétiennes (littératures) (suite)

Les ive et ve siècles

En Occident comme en Orient, le ive s. est l’époque la plus animée et féconde dans l’histoire des lettres chrétiennes. Un certain parallélisme existe d’ailleurs entre les deux milieux. C’est ainsi que l’on a souvent comparé à Athanase Hilaire de Poitiers, qui, comme son contemporain alexandrin, voua sa vie et sa plume à la lutte contre l’hérésie arienne, et paya son zèle de plusieurs années d’exil ; toutefois, Hilaire s’est, plus qu’Athanase, appliqué à l’exégèse, et sa lecture de la Bible est davantage marquée d’allégorie. On doit en dire autant d’Ambroise*, évêque de Milan, qui subit sur ce point l’influence d’Origène et, au-delà, du juif Philon d’Alexandrie ; Ambroise joua un grand rôle pour faire connaître en Occident les résultats de la science théologique grecque ; c’est ainsi que son commentaire du récit biblique de la création (Exameron) est en grande partie l’adaptation pure et simple de l’ouvrage homologue de Basile. Tout autre apparaît la personnalité de Jérôme* ; par son goût de l’histoire et de l’érudition philologique, c’est des antiochiens que Jérôme se rapproche ; son œuvre exégétique est impressionnante, à commencer par sa monumentale traduction latine de la Bible (Vulgate) ; on le connaît aussi pour un polémiste impitoyable, qui prit notamment pour cible les partisans d’Origène ; bien que de grande valeur, ses travaux historiques eux-mêmes sont parfois altérés par le ressentiment personnel.

Malgré leur importance, ces différents auteurs sont éclipsés par la figure colossale d’Augustin*, l’écrivain le plus complet de toute l’Antiquité chrétienne ; il n’est aucun domaine de la culture sacrée qui n’ait été abordé et transformé par sa plume infatigable. On connaît, par le récit même des Confessions, sa formation philosophique, faite de la lecture de l’Hortensius de Cicéron, puis de la rencontre de certains ouvrages néoplatoniciens traduits en latin par le rhéteur converti Marius Victorinus ; Augustin n’oublia pas ce spiritualisme profane quand, sous l’influence d’Ambroise, il se convertit à la foi chrétienne ; c’est de la confluence de ces deux courants que naquirent les premières œuvres qu’il composa, des dialogues philosophiques dans le goût cicéronien. Aussi bien, ce n’est pas là que se trouvent exprimées ses vues philosophiques les plus profondes, mais davantage dans ses grands traités théologiques ; le De Trinitate, par exemple, abonde en riches analyses psychologiques lorsque l’auteur se propose de découvrir dans la structure de l’âme humaine des analogies permettant de se former quelque idée du mystère de l’uni-trinité divine ; de son côté, la Cité de Dieu, œuvre de circonstance destinée à libérer les chrétiens de toute responsabilité dans le déclin de l’Empire romain, ébauche une ample philosophie de l’histoire universelle. La théologie augustinienne, tout comme celle des grands auteurs grecs, s’est constituée et formulée dans la controverse, les adversaires principaux étant ici le manichéisme dualiste (auquel le jeune Augustin adhéra un moment), le schisme donatiste (discipline ecclésiastique), l’hérésie pélagienne (problèmes du péché et de la grâce). Dans l’œuvre immense d’Augustin, les deux branches les plus fournies demeurent toutefois la prédication et l’exégèse ; elles se recouvrent d’ailleurs en partie ; c’est ainsi que le commentaire des Psaumes, les monumentales Enarrationes in psalmos, est constitué de sermons qui ont d’abord été prêchés.


Les vie et viie siècles

Après un géant de la stature d’Augustin, la littérature latine chrétienne ne pouvait que subir un fléchissement ; de fait, les invasions barbares et les destructions qui s’ensuivirent stoppèrent l’élan scientifique et littéraire. Pourtant, l’Occident sut, mieux que l’Orient, préserver la vie intellectuelle ; en définitive, l’arrivée des tribus germaniques n’eut pas que des inconvénients ; incultes, mais avides de civilisation et de culture, ces tribus poussèrent les dépositaires de la tradition romaine à rassembler pour elles l’héritage de l’Antiquité païenne et chrétienne ; ainsi se constitua un fond de culture appelé à servir de base à l’essor intellectuel du Moyen Âge.

Dans cette entreprise de sauvetage des acquisitions séculaires, trois noms surtout sont à retenir. Au début du vie s., Boèce (v. 480-524), chrétien, philosophe et homme d’État, est, comme on l’a dit, le dernier Romain et le premier scolastique ; il traduisit et commenta les œuvres logiques d’Aristote et du néo-platonicien Porphyre ; il fournit ainsi à l’Occident barbare un instrument rationnel incomparable, dont le Moyen Âge devait vivre avant de redécouvrir l’accès direct à l’Organon aristotélicien. Un peu plus tard, le sénateur Cassiodore (v. 480 - v. 575) joua un rôle comparable en rassemblant dans le monastère de Vivarium, où il s’était retiré, toute une bibliothèque de manuscrits des grandes œuvres de l’Antiquité classique et chrétienne ; ses propres écrits, de caractère encyclopédique, visèrent à faciliter l’accès du trésor culturel qu’il avait ainsi constitué. Isidore de Séville (v. 560-636), enfin, est le dernier Père de l’Église latine ; lui aussi est un encyclopédiste ; son œuvre la plus caractéristique, intitulée Étymologies ou Origines, s’attache à faire la somme de la culture antique à l’intention des envahisseurs wisigoths.


Le domaine byzantin

Entre la tradition grecque chrétienne et la tradition byzantine, qui en prend la suite, la frontière est indécise ; certains des auteurs tardifs qui, tels le Pseudo-Denys et Maxime le Confesseur, ont été rattachés ci-dessus au domaine grec sont souvent regardés comme des byzantins. Quoi qu’il en soit, c’est certainement de Byzance que relèvent les lettres grecques à partir du viiie s. Les caractères principaux de l’Église grecque de cette époque sont l’isolement et le conservatisme ; de plus en plus séparée de l’Occident, l’Église grecque suit sa propre voie et s’efforce de maintenir l’état atteint aux vie et viie s. ; alors que la chrétienté occidentale commence à s’animer d’un courant universaliste et supranational, elle apparaît solidaire de la nationalité et de l’État, sous la tutelle théocratique de l’empereur de Byzance. D’autre part, le christianisme byzantin manque de l’esprit pratique et du goût des réalisations sociales que l’on observe au même moment en Occident ; cette disposition n’a pas que des inconvénients, car elle engendre une intériorisation de la religion, que l’on vit principalement dans les mystères de la liturgie. Aussi bien, l’Église byzantine déploie-t-elle une remarquable énergie dans l’évangélisation des Slaves du sud-est de l’Europe (activité missionnaire des deux frères Cyrille* et Méthode, qui traduisent en dialecte slavon la Bible et les textes liturgiques, et qui créent à cette fin l’écriture dite « cyrillique »).