Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chomsky (Avram Noam) (suite)

N. Chomsky examine successivement les deux modèles syntaxiques les plus couramment utilisés : le modèle à nombre fini d’états et le modèle de constituants. Il reprend à l’encontre de ces deux types d’analyse syntaxique les principales critiques formulées dans son étude de 1956, en les développant d’une manière moins formelle et en les illustrant par un grand nombre d’exemples.

En démontrant l’impossibilité de traiter correctement avec un modèle à états finis une partie importante des processus de formation des phrases anglaises (en particulier les contraintes syntaxiques opérant sur une distance non bornée, de la forme
x1 + x2 + ... + xn + yn + ... + y2 + y1,
où tout y1 est dépendant de x1), N. Chomsky rejette une grammaire construite sur le modèle des chaînes de Markov. En revanche, l’examen du modèle de constituants, plus puissant que le précédent, n’aboutit pas aux mêmes conclusions. Si N. Chomsky souligne les limites et les défauts qui en font un instrument d’analyse « fort complexe, forgé ad hoc et peu révélateur », il indique quelques-unes des règles qui permettraient de remédier à ses insuffisances. Une grammaire de constituants comporte en effet des règles de dérivation qui ont des propriétés formelles remarquables par leur généralité et leur simplicité pour décrire des phrases simples. Ce sont ces règles de réécriture, de la forme générale X → Y (réécrire x par y), qui seront conservées, avec certaines restrictions permettant de limiter et de contrôler rigoureusement les suites engendrées (ainsi, X doit être un symbole unique, différent de Y, X et Y étant non nuls) dans la partie syntagmatique de la grammaire transformationnelle. Telle qu’elle est présentée dans Syntactic Structures, cette grammaire est destinée à fournir une description explicite de la structure des phrases les plus complexes et à rendre compte des relations grammaticales existant entre différentes sortes de phrases (actif, passif, déclaratif, négatif...) ; elle est composée de trois niveaux de représentation distincts, syntagmatique, transformationnel, morphophonologique, reliés entre eux par des suites de règles ayant chacune leurs propriétés spécifiques. Le vocabulaire de la langue est défini par l’ensemble des symboles terminaux (lexique) et non terminaux (symboles grammaticaux entrant dans la description linguistique, tels que P, SN, V...). La composante syntagmatique de la grammaire doit contenir un nombre fini de règles de formation, c’est-à-dire des règles de réécriture syntagmatique de la forme X → Y (dépendantes et/ou indépendantes du contexte). Elles permettent d’obtenir la dérivation et la description structurelle, au moyen d’un indicateur syntagmatique, de l’ensemble des suites terminales sous-jacentes au « noyau de phrases de base (simples, déclaratives, sans verbes ni syntagmes nominaux complexes) ». C’est par l’application des règles transformationnelles à cet ensemble limité de suites terminales que seront dérivées toutes les phrases de la langue. D’une manière générale, les transformations ont pour effet de convertir une ou plusieurs suites terminales et leur(s) indicateur(s) syntagmatique(s) en une autre suite terminale, munie d’un nouvel indicateur syntagmatique. Les règles de la composante transformationnelle diffèrent profondément des règles de réécriture syntagmatique par la diversité des opérations qu’elles sont capables d’effectuer, telles que l’effacement, l’addition, la permutation, etc. En outre, elles s’appliquent non à un seul élément, mais à toute une suite d’éléments, par une succession d’opérations. Ainsi, contrairement aux règles du modèle syntagmatique qui sont définies par une seule instruction, une transformation comporte généralement un ensemble de règles ordonnées entre elles. Lorsque toutes les transformations qui entrent dans la dérivation d’une phrase ont été appliquées, les règles morphophonologiques, destinées à caractériser en termes de phonèmes les morphèmes de la suite terminale obtenue, peuvent être appliquées. (Ces règles seront explicitées dans un ouvrage écrit en 1968 avec Morris Halle, The Sound Pattern of English.) Sous cette forme, la grammaire transformationnelle répond au premier objectif du linguiste structuraliste Z. S. Harris : rendre compte d’un certain nombre de relations existant entre des constructions syntaxiques différentes qui contiennent des classes distributionnelles communes et dont l’analyse échappe à la méthode des constituants. Néanmoins, Chomsky s’éloigne de Harris par la formulation originale donnée aux transformations et par la place centrale qu’il leur attribue. La différence apparaît plus nettement encore dans l’étude des rapports qui unissent la théorie linguistique générale et la grammaire d’une langue. Selon N. Chomsky, la théorie générale est incapable d’atteindre le but que lui ont fixé les structuralistes depuis L. Bloomfield* : établir un ensemble de procédures de découverte de la langue (qui instaure alors la méthodologie générale en théorie générale). Elle ne peut fournir, au moins actuellement, qu’un ensemble de procédures permettant d’évaluer les différentes grammaires construites sur les données linguistiques et s’appuyant sur des hypothèses théoriques préalables.


De la grammaire transformationnelle à la grammaire générative

Le modèle transformationnel, justifié principalement par ses propriétés formelles intrinsèques dans Syntactic Structures, subira des modifications sensibles dans sa forme, sinon dans son principe essentiel, en s’insérant dans le cadre théorique beaucoup plus élaboré de la grammaire générative* développée par N. Chomsky et ses premiers disciples (Morris Halle, Robert B. Lees) au début des années 60. Cette théorie nouvelle, qui remet en cause d’une manière radicale les fondements théoriques du structuralisme, et en premier lieu les présupposés béhavioristes sous-jacents à l’école distributionnaliste américaine, réintroduit au centre de la réflexion linguistique le problème des rapports entre langage et pensée. Elle pose du même coup la question des relations unissant la linguistique, la psychologie et la philosophie, et renoue ainsi avec une tradition très ancienne, interrompue au début du xxe s. par la proclamation de l’autonomie de la linguistique. C’est dans cette perspective que s’oriente la réflexion de N. Chomsky lorsque, dès 1959, dans son compte rendu du livre Verbal Behaviour de B. F. Skinner, il critique les analyses béhavioristes et empiristes du comportement verbal. En soulevant dans cette étude le problème de l’apprentissage de la langue par l’enfant, il développe un des principes fondamentaux de sa grammaire générative, concernant la distinction entre modèle de compétence et modèle de performance, fondée sur l’hypothèse de l’« innéisme » des capacités linguistiques. Outre l’approfondissement et l’explicitation du modèle transformationnel, étendu à divers aspects de la syntaxe anglaise (ainsi qu’aux questions phonologiques sous la forme de règles cycliques), la plupart des publications de N. Chomsky, telles que A Transformational Approach to Syntax et Introduction to the Formal Analysis of Natural Languages (en collaboration avec G. A. Miller, 1963), qui précèdent et préparent son ouvrage fondamental sur la théorie de la grammaire générative, Aspects of the Theory of Syntax (1965), comportent un grand nombre de références aux contributions que doit apporter la théorie linguistique à la psychologie cognitive. Seuls deux articles, parus en 1963, traitent exclusivement des propriétés logico-mathématiques de différentes grammaires formelles : The Algebraic Theory of ‘Context-Free’ Languages (en collaboration avec M. P. Schutzenberger) et Formal Properties of Grammars.