Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

Caractéristiques de la pensée chinoise

Pour les non-Chinois, il est certainement tentant de faire un bilan de cette longue histoire d’une civilisation, de connaître ce qu’est le génie chinois. Il est surtout urgent de comprendre ce peuple de 800 000 000 d’habitants, avec qui le monde coexiste de plus en plus étroitement. De nombreux auteurs ont essayé de dégager les caractéristiques de la pensée chinoise. Nous retiendrons un point que nous considérons comme essentiel. D’autres caractéristiques peuvent être considérées comme ses corollaires.

L’esprit synthétique. Nous employons le terme synthétique dans le sens où les philosophes chinois l’entendent : ne concevoir les rapports des éléments que dans un tout. La philosophie veut rechercher la vérité. Qu’est-ce que la vérité, sinon saisir le réel, et le réel est un concret complexe indivisible. Si l’on procède aux analyses, c’est pour mieux faire la synthèse et comprendre le tout. L’homme lui-même est un tout organique, indivisible. Il n’est ni seulement raison, ni seulement esprit, ni seulement matière. Pour se réaliser, il doit trouver un jeu harmonieux de tous les éléments dont il est composé. Mieux encore, il doit trouver un jeu harmonieux entre lui et le monde qui l’entoure, entre sa famille et la société. D’où l’idéalisme humaniste du Chinois et son goût de l’harmonie universelle et cosmique. Son au-delà n’est jamais coupé de l’en-deçà. La métaphysique n’est pas coupée de l’éthique, ni de son être biologique. Sa science n’est pas coupée de la conscience. Philosopher, c’est prendre conscience de cette harmonie recherchée et en vivre pleinement. L’exagération, la démesure sont à bannir ; de là, l’idée du « juste milieu » (idée confucianiste). L’ascétisme est considéré comme une erreur. Vivre sa nature « naturellement », en imitant la nature (idée taoïste). Le dépassement de soi se fait à l’intérieur de soi-même. Le transcendant est dans le quotidien (idée zen bouddhiste). Dans l’optique des philosophes chinois, la philosophie n’est pas un travail de pure réflexion, pas plus de pure contemplation, ni de pure action, mais tout cela à la fois, et cela seul permet à l’homme de vivre son être total.

Il est à souligner cependant que cet humanisme « trop humain » a engendré aussi le formalisme, la tendance au compromis, l’absence du goût du risque et le manque de rigueur dans les analyses rationnelles et objectives.

Malgré ces faits, cet esprit synthétique, incontestablement, a fixé les traits d’assimilation : sens de la mesure, goût de l’harmonie, etc. Et c’est dans le domaine artistique qu’il s’exprime avec le plus d’évidence. Les artistes recherchent avant tout la vision essentielle où l’humain et le divin sont fondus. Que ce soit dans la sculpture des Wei, dans l’art calligraphique des Six Dynasties et des Tang, dans la peinture des Song ou dans l’architecture, on peut admirer la beauté sereine et pleine de grandeur, reflet d’une spiritualité née de l’entente profonde entre l’homme et la nature.

C.-H. C. et P.-M. H.

 A. Forke, Geschichte der mittelalterlichen chinesischen Philosophie (Hambourg, 1934). / M. Granet, la Pensée chinoise (la Renaissance du livre, coll. « Évolution de l’Humanité », 1934 ; nouv. éd., A. Michel, 1968). / Feng Youlan, A History of Chinese Philosophy (trad. du chinois, Princeton, 1952-53 ; 2 vol.). / Chan Wing-tsit, An Outline and a Bibliography of Chinese Philosophy (New York, 1955) ; A Source Book in Chinese Philosophy (Princeton, 1963) ; Religious Trends in Modern China (New York, 1970). / J. K. Fairbank (sous la dir. de), Chinese Thought and Institutions (Chicago, 1957 ; nouv. éd., 1967). / M. Kaltenmark, Lao tseu et le taoïsme (Éd. du Seuil, 1965) ; la Philosophie chinoise (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1972).


La musique traditionnelle de la Chine et du Viêt-nam

Des musiques traditionnelles des pays d’Extrême-Orient, la musique vietnamienne est l’une des moins connues. On la considère comme une variété de la musique chinoise. En fait, elles appartiennent toutes les deux à une même famille musicale, présentant des analogies indéniables, mais aussi les particularités qui les différencient.


Analogies

• La plupart des instruments de musique sont semblables et classés en huit catégories, selon la matière sonore prédominante utilisée pour leur fabrication : pierre, métal, soie, bambou, bois, cuir, calebasse et terre. Le zheng (tcheng) chinois et le tranh vietnamien, cithares à 16 cordes, le sanxian (san-hien) [C] et le tam huyên (VN), luths à 3 cordes, le pipa (p’i-p’a) [C] et le ty-bà (VN), luths piriformes à 4 cordes, le di (ti) [C] et le dich (VN), flûtes traversières, le xiao (siao) [C] et le tiêu (VN), flûtes droites, pour ne citer que ceux-là, non seulement sont identiques, mais portent encore les mêmes noms. Dans les grands ensembles instrumentaux chinois et vietnamiens, on remarque le même souci d’équilibrer les différents timbres. Les orchestres rituels comportaient des instruments des catégories précitées.

• L’échelle musicale la plus communément employée en Chine et au Viêt-nam a une structure pentatonique avec, en plus de 5 degrés principaux, 2 degrés auxiliaires dont les noms sont d’ailleurs les mêmes en Chine qu’au Viêt-nam. Ils sont représentés par les mêmes idéogrammes, et les systèmes anciens et modernes de notation musicale sont communs aux deux traditions.

Les 5 aspects de l’échelle pentatonique — appelés en Chine modes de gong, shang, jiao, zhi, yu — se rencontrent également dans la musique vietnamienne :

• Les principaux genres de musique (musique de cour, musique rituelle, musique de banquets, musique de divertissement, théâtres musicaux), le langage musical en général et les modalités d’exécution, dans les deux traditions chinoise et vietnamienne, présentent plusieurs traits de ressemblance. Ceux qui assistent à des représentations de jingxi (king-hi) — plus connu sous le nom d’opéra de Pékin — et de hat tuông du Viêt-nam sont frappés par la ressemblance dans le grimage, les costumes, les jeux de scène, l’importance des instruments de percussion et l’utilisation de la voix de fausset. (Bien entendu, si l’on entre dans les détails, les différences sont probantes.) Dans la musique vocale, en général, la mélodie des pièces suit l’intonation linguistique, car le chinois et le vietnamien sont des langues à tons. Les pièces musicales ont plusieurs sections. Les phrases musicales ont souvent 2, 4, 8 ou 16 mesures. Le rythme, essentiellement binaire, est fréquemment syncopé, alors que le rythme ternaire est extrêmement rare — voire inexistant — dans la musique d’art. Les instruments à fonction rythmique jouent un rôle très important dans la musique de cérémonie et dans le théâtre.