Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

La république populaire

À compter du 1er octobre 1949, lorsque Mao Zedong (Mao Tsö-tong) proclame la république populaire, la Chine entre de plain-pied dans le système des grands États modernes du type de l’U. R. S. S., et les observateurs les plus avisés comprennent que, par son énorme taille, l’ampleur des problèmes démographiques et les souvenirs que les dirigeants chinois ont pu garder des manœuvres de Staline contre leur entreprise, la Chine ne restera pas longtemps un satellite de l’U. R. S. S.

La rupture, consommée en juillet 1960, entre les deux pays aura été précédée du démontage, en 1945-46, des usines de Mandchourie, des tentatives de récupération des champs pétrolifères de l’Ili et de divers signes révélateurs de l’irritation chinoise croissante à l’égard de la politique soviétique au Turkestan : abandon des transcriptions en caractères cyrilliques au profit d’une écriture latine pour les langues des minorités turques du Xinjiang (Sin-kiang) ; allusions répétées aux « éléments nationalistes locaux qui empoisonnent les relations sino-soviétiques » et qui laissent croire que l’U. R. S. S. avait donné suite au plan de Staline en 1933, prévoyant pratiquement la sécession du Xinjiang. Cependant, sur le plan idéologique, les affirmations constantes sur la façon dont Mao aurait sinisé le « marxisme » — en fait le stalinisme — obligent à conserver la vénération à la personne de Staline.

On peut essayer de définir les grandes étapes du régime. En 1954, c’est la disparition des « grandes régions » (suicide de Gao Gang [Kao Kang], qui dirigeait la Mandchourie ; élimination de Rao Rushi [Jao Jou-che] qui contrôlait le Shandong [Chan-tong], le Jiangsu [Kiang-sou], l’Anhui [Ngan-houei], le Zhejiang [Tchö-kiang] et le Fujian [Fou-kien]). En 1956-57, la campagne des « Cent Fleurs » et la campagne de « rectification » subséquente constituent un procédé original pour vider l’abcès de l’opposition intellectuelle et ouvrière aux démarches tatillonnes de la bureaucratie, et, mieux, pour détruire ces oppositions ensuite. La conférence du Lushan (Lou-chan), en août 1959, a lieu cinq mois après le remplacement de Mao, qui reste en titre le chef du parti, par Liu Shaoqi (Lieou Chao-k’i) à la tête de l’État ; c’est au cours de cette conférence que sont critiquées, pour la première fois publiquement, les statistiques fausses, les méthodes aberrantes comme les « petits hauts fourneaux de campagne », qui ont certes fourni un tiers de la production nationale d’acier, mais d’un acier inutilisable, et cela aux dépens de toutes sortes d’objets métalliques qui avaient encore leur utilité et que l’idéologie avait fait « jeter au feu ». Pourtant, les conflits à propos du « grand bond en avant » et d’autres oppositions personnelles vont être si graves qu’ils obligeront au statu quo et laisseront la majorité du personnel politique en place ; ce n’est qu’au cours de la « révolution culturelle » qu’ils aboutiront, laissant entre-temps bon nombre de commentateurs croire à une impression de « monolithisme de la direction » qui aurait ses origines dans la « camaraderie d’armes » de la Longue Marche. Les « communes populaires », malgré l’inflation de propagande qui les a entourées, n’ont constitué que l’aboutissement de la prise en main d’une façon organisée de la production agricole. Dans un pays aussi vaste, doté d’un régime à volonté centralisatrice, il était important que soient reconstituées les anciennes unités locales de subsistance et que les producteurs conservent une partie des récoltes pour leur propre existence sans avoir à opérer un coûteux système de redistribution de haut en bas. Recoupant à peu près les anciens « cantons », les communes devraient permettre l’harmonisation, au niveau rural, des grandes fonctions d’éducation, de contrôle politique et de subsistance. Il est difficile de savoir si l’opération a réussi autant que prévu. Il faudra également attendre de connaître la redistribution des fonctionnaires et des cadres du parti lors de leur mise en place pour apprécier l’ensemble de la question.

La propagande maoïste, s’appuyant sur la paysannerie, a repris certains des éléments de l’idéologie traditionnelle : puritanisme, substitution du culte de Mao au culte des ancêtres ou de l’empereur, etc. Mais cette propagande tourne à vide dans les milieux urbains ou dans les universités, où elle désamorce l’adhésion populaire au régime malgré de notables améliorations dans le domaine de l’hygiène et de l’alimentation. Dans le même temps, victime de ses propres principes, le pouvoir alimente les universités en jeunes paysans et fait émigrer la jeunesse urbaine dans les provinces extérieures, comme la Mongolie ou le Xingiang (Sin-kiang). Cette prolétarisation effective, la généralisation de l’instruction, les excès de la propagande déterminent les conditions nécessaires à la révolte. L’habileté de Mao va consister à l’orienter. Dès l’origine de la « grande révolution* culturelle prolétarienne » (1966), l’armée garde le contrôle de la production ; elle saura ramener l’ordre quand ce sera nécessaire. L’année 1971 voit le triomphe de cette direction militaire, qui confie à Zhou Enlai (Tcheou Ngen-lai) l’usufruit des questions économiques. Cependant Lin Biao (Lin Piao), ministre de la Défense et dauphin officiel de Mao, favorable à la primauté de l’armée, est bientôt écarté du pouvoir : selon les sources chinoises, l’avion dans lequel il aurait pris place pour s’enfuir en U. R. S. S. après avoir tenté d’assassiner Mao, se serait écrasé en Mongolie en septembre 1971.

Certains historiens ont pu dire de ce demi-siècle qu’il n’échappait pas à la continuité de l’histoire chinoise et qu’après la dynastie « étrangère » Qing (Ts’ing) la Chine a retrouvé une dynastie Han qui, avec la république populaire, lui a redonné l’unité nationale, le prestige international et les fondements d’une puissance économique considérable ; l’interrègne nationaliste n’aurait été qu’une de ces périodes confuses où l’on a souvent vu une dynastie achever de disparaître pendant que la suivante conquiert tout le pays. On peut également considérer que, comme par le passé devant le bouddhisme ou la conquête mongole, la Chine a réagi à l’invasion idéologique de l’Occident capitaliste ou du communisme en les assimilant. Il se peut que l’ère maoïste s’insère assez bien à la suite des Vingt-Quatre Histoires ; mais il n’y aura sans doute pas de prochaine « dynastie » en Chine, même si le « mandat du ciel prolétarien » est épuisé pour Mao. L’histoire de la Chine ne pourra plus être sinisée, et l’on peut penser qu’elle n’échappera pas aux lois de l’évolution des sociétés bureaucratiques modernes, qui connaissent les luttes de classes tout autant que les grandes nations capitalistes, qu’elles rejoignent dans la mise au point concurrente d’une société spectaculaire-marchande.

R. V.