Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

De la révolution culturelle de 1919 à l’échec de la révolution prolétarienne

C’est sans grande conscience de ce contexte international que, le 4 mai 1919, se déclenche à Pékin une agitation étudiante où se mêlent des sentiments nationalistes hostiles au Japon, des revendications « littéraires » sur l’abandon, dans la presse, les livres ou la vie politique, de la langue classique au profit de la langue parlée, qui n’était jamais transcrite, sinon dans les recueils des conteurs populaires ou dans les romans pour la plèbe. Ce mouvement est caractérisé par une volonté de modernisation selon ce que les jeunes Chinois connaissent des doctrines européennes et le rejet de toute la doctrine traditionnelle, connue en Occident sous le nom de confucianisme.

C’est l’époque où l’on met en scène des dialogues entre « M. Démocratie » et « M. Science », où les plus énergiques des révoltés, qui ont bien souvent été formés par le vieux système des lettrés, pensent à abandonner les caractères chinois au profit d’une écriture alphabétique qui permettrait une plus rapide scolarisation des masses et la diffusion des idées nouvelles.

Cette agitation, qui intervient dans une période non pas de récession, mais de relative prospérité économique, surtout pour cette couche étudiante issue des milieux à l’aise, gagne rapidement les grandes villes.

Des polémiques de cette époque, on a surtout retenu celles qui paraissaient dans Xin Qingnian (Sin Ts’ing-nien), revue sous-titrée en français la Jeunesse, et qui opposaient Chen Duxiu (Tch’en Tou-sieou), doyen de l’université de Pékin, et Hu Shi (Hou Che), formé aux États-Unis, tenant du pragmatisme et de la doctrine de John Dewey. Tous deux s’accordaient sur la nécessité d’une révolution littéraire et politique, mais, très vite, le clivage se fit entre Hu, ennemi de tous les « ismes », et Chen, qui, avec Li Dazhao (Li Ta-tchao), bibliothécaire de l’université, et quelques autres jeunes gens, dont Mao Zedong (Mao Tsö-tong), un étudiant qui écrivait des articles pour vanter les mérites de la gymnastique dans la formation des révolutionnaires, fonda un groupuscule marxiste.

À cette époque, presque toutes les écoles de pensée occidentales sont, ou vont être, représentées en Chine. Hegel, Nietzsche sont traduits aussi bien que Marx et Bakounine ; mais, très vite, Kropotkine sera abandonné au profit de Lénine et surtout des manuels du Komintern. En 1906, un groupe d’anarchistes chinois qui édite une revue à Tōkyō publie la première traduction partielle du Manifeste du parti communiste, qui passera presque inaperçue.

En fait, le premier « marxisme » chinois est fondé plus sur la célébrité de la révolution bolchevique de 1917 que sur la connaissance des théories de Marx contre l’État ou la critique de la marchandise.

Le mouvement « communiste » sera inauguré par deux agitateurs professionnels du Komintern, Grigori Voitinski et Henrikus Sneevliet (Maring), qui vient d’aider la constitution du parti social-démocrate javanais.

En juillet 1921, à Shanghai (Chang-hai), douze délégués représentant une soixantaine de membres fondent le parti communiste chinois. En janvier 1923, Abram Ioffe, au nom du ministère des Affaires étrangères de l’U. R. S. S., et Sun signent un manifeste conjoint qui déclare que la Chine n’est pas mûre pour le communisme. Tout en entretenant des relations officielles avec le régime de Pékin, Moscou table sur Sun pour établir un régime de type kemaliste à opposer aux Occidentaux.

Le groupuscule que constitue alors le P. C. C. trouve une chance de se développer au milieu de la légalité nationaliste de Canton, tout en disposant, avec le complexe commercial et industriel de Canton-Hongkong, d’un excellent terrain pour des expériences d’organisation syndicale et pour radicaliser les luttes de classes, qui apparaîtront tout d’abord dirigées contre les étrangers, car ceux-ci sont particulièrement nombreux sur le territoire de ce complexe. Dès le départ, le jeune parti communiste est donc poussé par Moscou à rejoindre le Guomindang (Kouo-min-tang), que l’U. R. S. S. arme et réorganise sous la direction de Mikhail M. Groussenberg, dit Borodine, à la demande de Sun. Dans l’esprit de Staline et de Boukharine, il s’agit de structurer la bourgeoisie chinoise pour mieux s’en débarrasser dans un avenir lointain. Les communistes chinois sont d’abord réticents à l’égard de cette alliance contre nature, de même qu’à Moscou Trotski souligne les dangers de cette politique. En effet, la bourgeoisie, dans la mesure où elle se rend indépendante de sa situation d’intermédiaire, de « comprador », du capital étranger pour devenir un embryon de bourgeoisie nationale chinoise, se rend compte du danger qui la menace et cherche à reprendre en main le Guomindang (Kouo-min-tang). Les craintes de Trotski vont être largement confirmées et dépassées par l’entrée en scène d’un redoutable homme politique qui va tirer de l’U. R. S. S. tous les moyens qu’il souhaite, utiliser à son profit l’élan révolutionnaire des masses urbaines ou rurales et les vertus d’organisation ou de propagande des communistes avant de les éliminer d’une façon sanguinaire et de ridiculiser Staline : Jiang Jieshi (Tsiang Kiai-che ou, usuellement, Tchang Kaï-chek*), qui finira également par dicter sa loi aux capitalistes chinois qui l’avaient mis en place.

Sun étant mort à Pékin en mars 1925, alors qu’il allait négocier avec le seigneur de guerre qui tenait à ce moment la capitale, les conflits intérieurs du Guomindang (Kouo-min-tang) éclatent : la droite fait assassiner Liao Zhongkai (Leao Tchong-k’ai), le bras droit de Sun, et permet ainsi par contrecoup l’accession de Wang Jingwei (Wang Tsing-wei) au poste de dirigeant civil du mouvement, et de Jiang Jieshi (Tsiang Kiai-che) à celui de chef militaire.

Très vite, Jiang (Tsiang) expulse des organes dirigeants les communistes, qui ont montré leur force lors des combats contre les « volontaires-marchands », contre les troupes du seigneur de guerre Chen Jiongming (Tch’en Kiong-ming), qui voulait se débarrasser de Sun, devenu un invité encombrant, ou dans les grandes grèves. Les délégués du Komintern, qui tiennent à préserver leur politique, ne réagissent pas. Jiang peut alors lancer le projet nationaliste d’« expédition vers le Nord » à la conquête des provinces que tiennent les divers seigneurs de guerre (juill. 1926).