Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

Vers la fin du règne de Qianlong (K’ien-long) [dernières années du xviiie s.], tout se passe toutefois comme si la croissance démographique devenait plus rapide que la croissance économique. L’autorité des Mandchous faiblit, tandis que réapparaissent les favoris et les eunuques ; selon un processus déjà ancien, les opposants se regroupent dans les célèbres « sociétés secrètes », dont certaines préconisent le rétablissement de la dynastie chinoise des Ming. C’est alors que les Occidentaux, qui ont fait leur apparition dès le début du xvie s. (Russes dans le Nord et Portugais dans le Sud), vont essayer de profiter de la situation pour obtenir des avantages commerciaux. À l’aube du xixe s., les plus agressifs sont les Anglais, qui importent à Canton de grosses quantités d’opium (en provenance de l’Inde) pour « équilibrer » leur commerce (achats de porcelaine, de « chinoiseries » et surtout de thé). En 1839, le mandarin Lin Zexu (Lin Tsö-siu, 1785-1850), considéré depuis comme héros national, fait saisir et détruire un stock de caisses d’opium. Saisissant l’occasion, les Anglais déclenchent ce qu’on a appelé la guerre de l’opium ; leur flotte s’empare de Shanghai et de Nankin, et, en 1842, ils imposent au gouvernement mandchou, impuissant, le traité de Nankin, qui leur « ouvre » cinq ports et leur cède l’îlot de Hongkong.

Mais il y a plus grave encore pour le gouvernement de Pékin ; de nombreux soulèvements éclatent en plusieurs endroits, notamment dans les régions islamisées de l’Empire (Turkestan et Yunnan), puis dans les provinces méridionales, qui, sous la direction de Hong Xiuquan (Hong Sieou-k’iuan), un Ḥakka originaire du Guanxi, finissent par faire sécession. Les armées révoltées prennent Nankin (1853) et en font la capitale de l’Empire céleste de la Grande Paix (Taiping Tian Guo [T’ai-p’ing T’ien-kouo]) ; des lois y sont édictées, qui visent à établir un nouvel ordre social (redistribution des terres, émancipation des femmes, réforme des impôts, suppression du port de la natte).

Tout d’abord, les Européens ne savent quel parti ils doivent soutenir (d’autant plus que les Taiping affichent une certaine sympathie à l’égard du christianisme) ; puis ils décident de profiter des difficultés du gouvernement mandchou pour lui imposer leurs volontés ; une nouvelle campagne militaire en 1860 (incendie du Palais d’été par les troupes anglo-françaises) aboutit à la signature du traité de Pékin, qui « ouvre » onze ports et accorde de nombreux avantages aux marchands et aux missionnaires étrangers. Les Européens décident alors de soutenir les Mandchous contre les « rebelles » ; affaiblis par des rivalités internes, les Taiping finissent par succomber, et Nankin est reprise en 1864.


La fin de l’Empire et l’avènement de la République

La dynastie Qing ne parviendra pas, toutefois, à retrouver son ancien prestige. Suzeraine de l’Annam (actuel Viêt-nam), elle se heurte aux Français, qui s’installent en Indochine ; la guerre éclate en 1883, et, en dépit de l’éphémère victoire de Langson en mars 1885 (qui provoque la chute du ministère Jules Ferry), cette dynastie est obligée, en juin, de signer le traité de Tianjin (T’ien-tsin), qui est au bénéfice de la France. Suzeraine de la Corée, elle se heurte aux Japonais, qui cherchent à prendre pied sur le continent ; la guerre éclate en 1894, et, par le traité de Shimonoseki, le Japon obtient Taiwan et la péninsule du Liaodong (Leao-tong). Mais il y a encore plus grave que ces défaites militaires ; les Européens parviennent à contrôler les douanes de l’Empire et se font céder nombre de territoires à bail et de concessions. La Chine, ainsi « dépecée » (break-up of China), se voit répartie en « zones d’influence » : le Nord aux Russes, le Shandong aux Allemands, la vallée du Yangzi aux Anglais, le Sud-Ouest, limitrophe de l’Indochine, aux Français.

Devant cet impact occidental, les Chinois réagissent de diverses façons. Quelques grands mandarins, tel Li Hongzhang (Li Hong-tchang, 1823-1901), pensent à emprunter à l’Occident certaines techniques ; plusieurs même proposent d’engager la Chine sur la voie du modernisme, qui a déjà réussi au Japon. Un petit groupe d’entre eux, dirigé par Kang Youwei (K’ang Yeou-wei, 1858-1927) et Liang Qichao (Leang K’i-tch’ao, 1873-1929), parvient à faire prévaloir ce point de vue auprès de l’empereur Guangxu (Kouang-siu), qui règne de 1875 à 1908 et qui, de juin à septembre 1898 (les « cent jours »), autorise la promulgation d’édits réformateurs. La tentative échoue bientôt, car le parti conservateur, groupé autour de la vieille impératrice Cixi (Ts’eu-hi, 1835-1908), parvient à faire séquestrer l’empereur et arrêter les modernistes. D’autre part, les sociétés secrètes multiplient leurs actions, et l’une d’entre elles, la société Yihetuan (Yi-ho-t’ouan) [dont le symbole est un poing fermé ; d’où le nom de Boxeurs (ou Boxers) donné par les Occidentaux à ses membres], parvient, en 1900, à assiéger pendant cinquante jours les étrangers dans le quartier des légations de Pékin ; l’arrivée d’un corps expéditionnaire, envoyé par sept puissances européennes et par le Japon, permet d’écraser les Boxeurs et d’imposer à Cixi un protocole.

L’opposition continue néanmoins, stimulée par la victoire du Japon sur les Russes en 1905 et par les idées libérales que ramènent les étudiants de retour d’Europe ; elle se réorganise autour de la personne de Sun* Yat-sen, qui, né près de Canton, s’appuie surtout sur les marchands du Sud et sur les communautés chinoises de l’Asie du Sud-Est. Sun fonde une association, puis un parti, le Guomindang (Kouo-min-tang). À Pékin, où l’enfant Puyi (P’ou-yi), âgé de deux ans, est devenu empereur par la volonté de Cixi († 1908), les partisans du régent (le deuxième prince Chun [Tch’ouen], père de Puyi [P’ou-yi]) s’opposent à ceux du général chinois Yuan Shikai (Yuan Che-k’ai, 1859-1916), qui fait bientôt figure d’« homme fort ». Les insurrections se multiplient en province, et les intrigues à Pékin. En mai 1911, le gouvernement décide de nationaliser les chemins de fer provinciaux, ce qui porte un coup aux hommes d’affaires chinois ; la révolte éclate au Sichuan et à Wuchang (Wou-tch’ang). En décembre, des représentants des diverses provinces se réunissent à Nankin et choisissent Sun Yat-sen comme président. Celui-ci préfère céder la place à Yuan Shikai, qui saura gagner la confiance des Occidentaux, dont la Chine a un pressant besoin. Yuan Shikai obtient l’abdication du dernier empereur (févr. 1912), puis est désigné comme président provisoire de la République de Chine.

C. L.-S.