Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

En 960, un homme du Nord, Zhao Guangyin (Tchao Kouang-yin, 960-976), réussit une fois de plus à reconstituer l’unité et fonde la dynastie des Song. Le nouvel Empire diffère cependant sur bien des points de ce qu’avait été celui des Tang. À signaler d’abord une importante mutation géographique ; deux phénomènes complémentaires caractérisent en effet la période qui commence ; à la frontière du Nord-Est (dans la région de Pékin, qui prend alors une importance qu’elle saura conserver) se succèdent plusieurs grands États « barbares » dont la menace est permanente (aux Khitans, fondateurs de la dynastie Liao, succèdent en 1124 les Djurtchets, fondateurs de la dynastie Jin [Kin] ; aux Djurtchets succèdent en 1215 les Mongols, fondateurs de la dynastie Yuan).

Dans le même moment, les centres du bas Yangzi prennent une importance telle que le centre de gravité de l’Empire va s’y installer (en 1127, les Song transfèrent la capitale à Hangzhou [Hang-tcheou]). À ce transfert, dont l’importance est capitale, vient s’ajouter une profonde transformation de la société chinoise. Entre la masse des gens du peuple et l’aristocratie, à la fois terrienne et lettrée, est apparue une nouvelle strate, assez forte pour faire parler d’elle, celle des marchands. L’idéologie confucéenne, qui reste en honneur, rejette ces « hommes nouveaux » du côté du peuple, mais les richesses que ceux-ci acquièrent et le rôle croissant qu’ils jouent dans la vie économique de l’Empire les poussent inversement à s’assimiler aux élites et à se rapprocher des groupes qui détiennent le pouvoir.

Les premiers Song cherchent surtout à rassembler sous leur autorité les provinces du Centre et du Sud ; ils n’envisagent guère la reconquête du Nord-Est et préfèrent « acheter la paix » aux Barbares en leur payant un lourd tribut.

Jusqu’en 1125, la capitale est à Bianzhou (l’actuelle Kaifeng), et de nombreux problèmes, financiers notamment, se posent aux politiciens ; factions et théoriciens s’y affrontent tout au long du xie s. Aux « conservateurs », menés par l’historien Sima Guang (Sseu-ma Kouang, 1019-1086), s’opposent les « novateurs », que dirige Wang Anshi (Wang Ngan-che, 1021-1086) ; ce dernier essaie des réformes paysannes, mais celles-ci se heurtent au mauvais vouloir des fonctionnaires lettrés, qui sont les premiers bénéficiaires de l’état de choses. En 1125, les Djurtchets (Jin [Kin]), qui viennent de remplacer les Khitans dans le Nord-Est, poussent jusqu’à Bianzhou, capturent l’empereur et enlèvent un riche butin.

C’est alors qu’un prince de la famille impériale décide de s’installer à Hangzhou, où la dynastie continue sous le nom de « Song du Sud ». La guerre continue théoriquement contre les Jin (Tsin), et certains généraux (tel le valeureux Yue Fei, considéré depuis comme un héros national) proposent de tout sacrifier à la reconquête, mais c’est le point de vue des pacifistes qui finit par prévaloir, et la frontière se maintient pendant un siècle et demi dans la région de la Huai (Houai). En dépit des escarmouches, les périodes de paix sont assez longues pour qu’une grande civilisation s’épanouisse. Profitant de l’essor de la classe marchande et du transfert de la Cour, Hangzhou passe de 500 000 habitants en 1170 à 1 million en 1275 ; les marchés, les demeures bourgeoises, les quartiers de distraction prolifèrent autour du vieux centre administratif ; les maisons, dont beaucoup sont à étages, sont desservies par un réseau de canaux et de rues, dont la plus belle, la voie impériale, a 5 km de long et 60 m de large ; les jours de fête, on se rend sur les bords du célèbre lac de l’Ouest, qui borde la ville du nord au sud et dont plus d’un poète nous a chanté la beauté.

Sous les Song, la culture chinoise atteint un nouveau sommet. Les écoles privées, les cercles d’érudits se multiplient, tandis que l’imprimerie facilite les échanges. L’histoire, la philosophie, l’épigraphie retiennent l’attention des lettrés ; la pensée de Confucius est en vogue, et le philosophe Zhu Xi (Tchou Hi, 1130-1200) met au point un système « néo-confucianiste » (sa tentative est presque contemporaine de la Somme de saint Thomas d’Aquin). La poésie et la peinture, qui, dès les Tang, avaient été l’apanage des milieux lettrés, connaissent un grand succès ; c’est l’époque de Su Dongpo (Sou Tong-p’o, 1036-1101) ; c’est aussi l’époque de Mi Fu (Mi Fou, 1051-1107), critique d’art et peintre lui-même (technique des taches d’encre et du lavis). Les progrès scientifiques sont également remarquables ; Su Song (Sou Song) met au point une horloge astronomique ; Song Zi (Song Tseu) rédige le premier traité de médecine légale ; trois grandes inventions sont à signaler : l’imprimerie, la boussole et la poudre. Dans un intéressant traité, le Recueil des propos de l’étang des rêves (xie s.), Shen Gua (Chen Koua) mentionne, outre l’aiguille magnétique, l’origine des fossiles et la fabrication de cartes en relief.

Tant que les Djurtchets se maintiennent dans le Nord, la Chine du Sud jouit de la paix et s’épanouit, mais, dès que ceux-ci cèdent devant les Mongols de Gengis khān, c’en est fait de la dynastie Song.

En 1276, Hangzhou tombe aux mains des nouveaux envahisseurs ; toute la Chine se trouve de nouveau réunifiée, mais, cette fois, au bénéfice d’une dynastie non chinoise (la dynastie des Yuan) et au sein d’un Empire immense qui atteint presque les limites de l’Eurasie. La capitale est placée à Khānbalik (l’actuelle Pékin), au cœur même de cette marche septentrionale qui avait commencé à se développer avec l’avènement des Liao, nouvelle mutation géographique qui marquera l’histoire de Chine jusqu’à nos jours.

Dans les premiers temps, les Mongols s’établissent en maîtres, confisquent les bonnes terres et instaurent certaines mesures discriminatoires, favorisant leurs alliés de la veille (les Ouïgours, par exemple) et frappant tout particulièrement les Chinois du Sud, qui ont « résisté » le plus longtemps. Pourtant, certains éléments de la société chinoise profitent du nouvel ordre de choses, et notamment les marchands, qui voient se rouvrir la route de l’Asie centrale, si longtemps fermée ; d’une façon générale, d’ailleurs, l’espace chinois s’élargit ; les Mongols imposent leur autorité au Tibet et au Yunnan (où le Nanzhao était indépendant depuis les Tang), et lancent de grandes expéditions militaires et maritimes contre le Japon, le Viêt-nam, la Birmanie et même Java. L’essor commercial et urbain continue, et il suffit de relire les descriptions de Marco Polo et du franciscain Odoric da Pordenone (v. 1265-1331) pour comprendre quelle était l’importance des grandes villes.