Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

Au iiie s., la Chine se trouve partagée en « trois royaumes » (San guo [San kouo]), correspondant à ces trois régions : le royaume de Wei, au nord, avec Luoyang pour capitale, fondé par le général Cao Cao (Ts’ao Ts’ao, 155-220), celui de Shu (Chou), au Sichuan, avec Chengdu (Tch’eng-tou) pour capitale, créé par Liu Bei (Lieou Pei) ; celui de Wu (Wou), fondé par la famille des Sun (Souen), qui comprend toute la Chine méridionale et dont la capitale est successivement à Wuchang (Wou-tch’ang), puis à Nankin.

Liu Bei, qui descend de la famille Han et que l’histoire chinoise ultérieure considérera comme l’empereur « légitime » (221-223), reste la personnalité la plus attachante de cette période, dont les guerres sont devenues un des thèmes favoris du roman et du théâtre chinois. Dans le Nord, la dynastie des Wei est remplacée en 265 par celle des « Jin occidentaux » (Tsin), qui, en 280, parviennent à refaire l’unité en annexant les deux autres « royaumes ».

Mais l’unité ne dure pas, et, dès 316, la Chine est de nouveau divisée. Cinq dynasties chinoises (Jin de l’Est, Song, Qi [Ts’i], Liang [Leang] et Chen [Tch’en]) règnent successivement dans le Sud, tandis que dans le Nord se forme une multitude de petits États, barbares pour la plupart. Cette période est connue dans les histoires chinoises sous le nom de « période des dynasties du Nord et du Sud » (Nan bei chao [Nan-pei-tch’ao], 316-580). À la faveur des contacts, brutaux parfois, mais plus souvent pacifiques, qui s’établissent ainsi, d’une part entre les intrus de la steppe et les vieilles populations sinisées du Nord, d’autre part entre les aborigènes encore primitifs du Sud et les immigrants chinois refoulés par les nomades, un brassage extrêmement fécond s’effectue, dont la civilisation chinoise sortira somme toute enrichie. Dans le Nord, comme dans le Sud, ce brassage va s’effectuer sous le signe d’une nouvelle idéologie, importée de l’Inde dès la période Han, mais qui ne prend qu’alors son véritable essor : la religion du Bouddha.

La Chine du bas Yangzi connaît alors un essor prodigieux, dû en partie au courant d’émigration continu de populations chinoises venues du Nord. On assiste à la sinisation progressive des populations aborigènes du Sud, désignées alors par les Chinois du terme générique de Man et sur lesquelles nous ne savons que peu de chose. L’implantation se fait à partir de petits centres urbains, dont certains avaient été créés dès la période Han. Le travail des métaux se développe, et la région de l’actuelle Nankin devient célèbre pour ses forges et ses fonderies, produisant notamment un « acier mêlé » et un « acier cent fois recuit ». L’agriculture fait également de grands progrès ; on défriche intensément sous l’impulsion de grandes familles et de monastères, mais aussi sous celle de petites communautés d’émigrants. On entreprend également des travaux d’irrigation. La céréale principale est bien sûr le riz, plante originaire du Sud, qui se répand alors peu à peu en direction du Nord (on ne le trouvera dans la région de Pékin que sous les Ming) ; à signaler aussi les progrès de la culture du thé dans la région des collines, au sud du Yangzi. Dans les régions où la densité de la population reste faible, la culture sur brûlis prédomine. L’artisanat et le commerce se développent considérablement ; les ateliers les plus nombreux se trouvent alors dans la capitale, Jiankang (Kien-k’ang), sur le site de l’actuelle Nankin, et appartiennent aux temples ou aux grandes familles ; c’est là que sont tissés les fameux brocarts dits « veinés », qui sont déjà l’objet d’exportations outre-mer. La ville est également célèbre par ses céramiques, qui ont la particularité d’être recouvertes d’une glaçure bistre. Quatre grands marchés rassemblent les productions des contrées voisines, et le port accueille les bateaux venus, par le Yangzi, du Sichuan ou, par mer, du Sud-Est asiatique (notamment du Funan [Fou-nan], l’actuel Cambodge).

Jiankang est aussi un centre culturel important, où se presse une élite intellectuelle, attirée par la Cour et ses raffinements. L’empereur Wudi (502-549) des Liang (Leang) favorise tout particulièrement le bouddhisme, auquel il se convertit lui-même ; en 517, il fait publier un Tripitaka, ou collection des classiques bouddhiques. Le moine Fa Xian (Fa Hien) s’est établi à Jiankang, au retour du long pèlerinage (399-414) qui l’a conduit jusqu’en Inde (patrie du bouddhisme) et jusqu’à Ceylan. Le taoïsme* n’est pas, pour autant, supplanté, et les deux religions s’influencent mutuellement.

Mais il existe un petit groupe de « rationalistes » qui, devant le bourgeonnement généralisé des imaginations, en grande partie stimulées par les profonds bouleversements de l’époque, cherchent à contrecarrer l’emprise des religions sur les esprits.

En regard de ce Sud en plein essor, le Nord semble moins favorisé. La formation des premiers États barbares correspond sans doute à un moment de récession sur le plan économique ; l’agriculture, un temps stimulée dans le royaume de Wei (iiie s.), décline à la suite des guerres, des razzias des nomades et de la fuite des paysans sédentaires vers le Sud. Au moment où les « Jin occidentaux » parviennent à réunir une dernière fois les terres chinoises sous leur autorité (fin du iiie s.), les populations de la steppe (désignées dans les textes chinois sous le terme générique de Hu [Hou, « Barbares »]) triomphent définitivement de la résistance que, depuis les Han, les Chinois n’ont cessé de leur opposer.

Les Xiongnu, refoulés plus au sud sous la pression des Xianbei (Sien-pei, Proto-Mongols), quittent l’habitat que, depuis le fin des Han, ils occupaient dans la boucle du fleuve Jaune et pénètrent dans le nord du Shānxi, au sud de la Grande Muraille. En 311, ils s’emparent de Luoyang, capitale des « Jin occidentaux ». Pendant plus d’un siècle, toutes les contrées septentrionales (jusqu’au sud du fleuve Jaune et de son affluent, le Wei) passent sous l’autorité de principicules, « barbares » pour la majorité, qui se disputent l’hégémonie ; c’est ce que les Histoires chinoises appellent la période des « Seize Royaumes » (Shi liu guo [Che-lieou-kouo]).