Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chimie (suite)

La théorie moderne permet en principe le calcul a priori de tous ces phénomènes. À un ensemble d’atomes, elle assigne une énergie en fonction de leurs distances mutuelles. Certaines configurations correspondant à des minimums d’énergie représentent des molécules (uniques ou juxtaposées). La différence de niveau entre deux minimums donne la chaleur de réaction entre les deux configurations. Pour passer de l’une à l’autre, il faut franchir une « montagne d’énergie » dont le point le plus bas (le col) définit l’énergie d’activation (fig. 1 pour le schéma de principe ; fig. 2 pour la surface représentant le système de trois atomes). On voit que, dans cette représentation, les atomes (les éléments) étant donnés, les molécules (les espèces) et leurs transformations mutuelles (les réactions) sont déterminées, les unes et les autres : la chimie est terminée... en principe.


Analyse et synthèse

Mais la chimie reste une science expérimentale. Outre le raffinement des théories sur la structure, l’énergie, les assemblages d’atomes, de nombreuses tâches la sollicitent.

En analyse, des méthodes plus rapides, plus sensibles, plus précises, se prêtant à l’automatisme sont nécessaires pour améliorer la surveillance des procédés industriels aussi bien que celle de la santé des hommes ; pour affiner notre connaissance des processus biologiques autant que celle des événements géologiques ; pour comprendre et surveiller l’écologie comme pour chercher les matières premières que nous devons arracher aux roches ou aux océans.

De la synthèse nous devons attendre, de plus en plus, des matériaux nouveaux doués de propriétés particulières que n’offrent pas (au même degré au moins) les produits naturels ou ceux qui sont tirés sans grande élaboration des matières premières courantes (plastiques, semi-conducteurs, supraconducteurs, produits photo-électriques, piézo-électriques, électro-optiques, etc.). Nous devons aussi lui demander de substituer aux matériaux naturels rares, à cycle naturel très long, des produits artificiels obtenus à partir de ressources naturelles abondantes et (ou) d’éléments à cycle naturel court. Et à ces questions se relie celle d’une gestion intelligente des déchets de la civilisation, avec son aspect économique et social.

Du point de vue philosophique, la synthèse chimique va sans doute culminer dans la création de matière vivante, suscitant ainsi une révolution scientifique aussi profonde que celle qui fut ouverte il y a un siècle à peine par la synthèse des produits inanimés de la vie.

J. G.

 G. Lockemann, Geschichte der Chemie in kurzgefasster Darstellung (Berlin, 1950-1955 ; 2 vol. ; trad. fr. Histoire de la chimie, Dunod, 1962). / R. Massain, Chimie et chimistes (Magnard, 1953 ; 4e éd., 1963). / P. Walden, Histoire de la chimie (Lamarre, 1955). / J. Cueilleron, Histoire de la chimie (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1957 ; 3e éd., 1969). / J. R. Partington, A History of Chemistry (Londres, 1961-1964 ; 2 vol.). / R. Daudel, la Chimie quantique (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1973). / R. Panico, la Chimie organique (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1975).

chimiothérapie

Ensemble des techniques ressortissant à la pharmacie chimique, à la pharmacologie, à la pathologie, à la thérapeutique et aux sciences biologiques auxquelles elles se rattachent, visant à l’emploi de médicaments chimiquement définis et spécifiques d’une affection connue.



Introduction

La notion de spécificité est connue depuis l’Antiquité : Pline l’Ancien avait déjà constaté l’action de la Fougère mâle sur le Ténia. Celle de médicament chimique apparaît au xive s., époque à laquelle on utilise le mercure et ses sels dans le traitement de la syphilis. La chimiothérapie ne s’est développée qu’en fonction des progrès réalisés en chimie, en pharmacie chimique et en pathologie, aux xixe et xxe s.

Vers la fin du xixe s. apparaissent les premiers analgésiques de synthèse (analgésine, aspirine). Enfin, après les découvertes de Pasteur (Bacille du charbon, 1877) et celles d’Alphonse Laveran (Hématozoaires du paludisme, 1881), la constatation de l’action antiseptique de certaines substances et de l’action élective de la quinine sur les Hématozoaires, on peut dire que la médecine dispose d’une nouvelle arme dans la lutte contre les maladies, qu’on appellera plus tard chimiothérapie.

Le médecin allemand Paul Ehrlich (1854-1915), prix Nobel de médecine en 1908, est considéré comme le véritable fondateur de la chimiothérapie ; pour lui, cette technique consiste dans le traitement des maladies infectieuses, parasitaires ou virales, par des substances chimiques, naturelles ou synthétiques. Les progrès considérables réalisés depuis le début du xxe s. par la biochimie, et singulièrement depuis la Seconde Guerre mondiale par la biochimie moléculaire, ont conduit à englober sous le vocable de chimiothérapie le traitement par voie chimique non seulement des maladies infectieuses, mais pratiquement de toutes les maladies ; si bien qu’on parle aujourd’hui de chimiothérapie du cancer, des maladies de la nutrition (diabète), des maladies du système cardio-vasculaire, de la maladie rhumatismale (anti-inflammatoires), des maladies du système nerveux (médicaments neurotropes, psychotropes). La grande majorité des nouveaux médicaments chimiques est obtenue par synthèse à la suite de recherches dirigées vers le traitement d’une maladie donnée.


Les voies de la recherche

Il arrive que, au cours des recherches, certaines substances anciennement connues se révèlent actives dans une maladie contre laquelle leur action n’était pas soupçonnée : ainsi, pour le traitement de la syphilis, les organo-arsenicaux (Paul Ehrlich et Sahachiro Hata, 1909), le bismuth (Constantin Levaditi, 1922), la pénicilline ; ainsi, dans le traitement de l’amibiase, l’émétine, alcaloïde jusque-là réputé vomitif ; ainsi encore, dans le traitement de l’oxyurose, la pipérazine, jusque-là connue comme antiseptique urinaire ; ainsi la vitamine C, antiscorbutique, utilisée à haute dose comme agent anti-infectieux et activateur du cortex surrénal. Le plus souvent et inversement, une nouvelle molécule ayant été synthétisée, le but de la recherche est de la perfectionner pour diminuer sa toxicité tout en exaltant ses propriétés curatives. On procède alors à la modification de la molécule portant soit sur son noyau, soit sur les différents radicaux qui peuvent lui être attachés. Si ces opérations chimiques sont couronnées de succès, trois cas peuvent se présenter.
1. Le plus souvent, on assiste à un simple perfectionnement de la molécule primitive, conduisant à des dérivés moins toxiques, plus actifs ou plus spécifiques dans leur action médicamenteuse. Ainsi s’explique la multiplicité des nouveaux médicaments introduits à certaines époques : organo-minéraux et analgésiques entre 1880 et 1920, sulfamides et cyclines plus récemment. Avec le temps, un grand nombre de ces corps se trouvent éliminés, soit qu’on ait fondé sur eux des espoirs injustifiés, soit que les organismes pathogènes y soient devenus résistants (sulfamides, antibiotiques, insecticides), ou encore qu’ils tombent en désuétude au profit d’une nouvelle découverte.
2. Il arrive également que l’activité d’une molécule, qu’on attribuait à sa structure, soit due à un seul de ses radicaux ou à un mode de liaison entre deux radicaux, ou encore aux produits du métabolisme organique de la molécule considérée. Ainsi Ehrlich, ayant découvert l’action de certains colorants dans les parasitoses, fut amené à constater les propriétés toxiques pour le Streptocoque d’un colorant rouge, la sulfamidochrysoïdine ; on attribua d’abord cette action à la présence du groupement N = N, caractéristique des colorants dits « azoïques ». En fait, l’activité bactériostatique de ce corps est due au groupement sulfamide, et les travaux ultérieurs d’Ehrlich aboutirent à l’introduction, en 1939, du para-amino-phényl-sulfamide, encore utilisé aujourd’hui, et premier échantillon de la lignée de dérivés sulfamidés.
3. L’étude de certains corps de synthèse conduit à la mise en évidence ou à l’exaltation de nouvelles propriétés médicamenteuses jusque-là passées inaperçues. Ainsi, on avait constaté l’action légèrement hypoglycémiante des sulfamides ; l’étude de nouveaux sulfamides, notamment dérivés de l’urée, fit apparaître chez ces derniers d’importantes propriétés hypoglycémiantes et mena à la synthèse d’autres hypoglycémiants, ceux-là non sulfamides, les biguanides, constituant une nouvelle classe de médicaments dans la thérapeutique du diabète. De même, l’étude de la phénothiazine, vermifuge actuellement abandonné, a conduit à deux importantes familles de médicaments : les antihistaminiques et les neurotropes.