Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chimie (suite)

La base en est que les atomes peuvent se combiner, les uns à un seul atome d’hydrogène, les autres à plusieurs. D’autre part, dans toute molécule stable, les atomes constituants n’ont plus de capacité de liaison disponible. D’où l’idée que les divers atomes possèdent une capacité de liaison, une valence bien définie (1, 2, 3 ou plus) et qu’en formant une molécule les atomes constituants saturent mutuellement leurs capacités respectives. Le schéma très banal qui représente par un trait cette liaison s’est prouvé si extraordinairement fécond qu’il constitue encore, dans sa simplicité, la base de la notation chimique courante, réduite maintenant à la sténographie de connaissances plus raffinées.

Ainsi, au lieu de représenter les molécules par la juxtaposition des symboles constituants, affectés d’indices qui en indiquent le nombre (formules brutes), on dessine, en formules développées, le schéma des liaisons entre atomes. Exemples :
l’eau H2O se représente par H—O—H ;
le méthane CH4 par

l’acétylène C2H2 par H—C≡C—H ;
le benzène C6H6 par

l’acide sulfurique H2SO4 par

Les isoméries s’éclaircissent : ainsi l’urée et le cyanate d’ammonium, CON2H4, se représentent respectivement par

Il a donc fallu admettre que des atomes pouvaient être unis par des liaisons multiples, et que certains atomes pouvaient avoir plus d’une valence (ainsi, dans l’urée, les deux atomes d’azote sont trivalents, tandis que l’un d’eux est pentavalent dans le cyanate d’ammonium). Mais cela s’accordait bien avec l’immense majorité des faits chimiques.

En outre, les formules développées permettaient une représentation imagée de la réaction chimique, considérée comme une réorganisation simultanée de certaines au moins des liaisons interatomiques des espèces prenant part à la réaction. Et, dans de multiples espèces chimiques, elles mettaient en évidence (surtout en chimie organique) la relation entre la présence de certains groupes d’atomes et la manifestation de propriétés chimiques communes, donnant ainsi une représentation frappante de la notion de fonction chimique. Par exemple, tous les alcools contiennent le groupe

tous les acides organiques le groupe

toutes les amines le groupe

etc.

Grâce à ces formules développées, vues non seulement dans le plan, mais dans l’espace, on parvient à expliquer et à prévoir de nombreuses isoméries (en particulier l’isomérie optique, où les isomères ne diffèrent que par leur action sur la lumière polarisée).

L’électrochimie, et avant tout l’électrolyse, montra assez tôt, au cours du xixe s., que certains éléments (en particulier les métaux) acquièrent de préférence une charge positive et d’autres une charge négative (les métalloïdes), et on pensa, assez obscurément d’abord, que la liaison chimique avait quelque rapport avec l’attraction électrostatique.

On sait maintenant que les phénomènes chimiques mettent en jeu les électrons atomiques les plus éloignés du noyau, ceux qui appartiennent à la couche externe. Les couches (ou sous-couches) complètes sont les plus stables, celles en particulier qui contiennent 8 électrons. On explique la liaison chimique soit par le transfert d’électrons, soit par leur mise en commun entre atomes. Le transfert correspond à une liaison ionique, la mise en commun à une liaison covalente. Par exemple, le sodium (Z = 11) a un électron sur la 3e couche, le chlore (Z = 17) en a 7 sur la quatrième. En présence l’un de l’autre, l’un devient un ion Na+ (2 couches électroniques complètes) en perdant son électron, que l’autre acquiert (ce qui complète à 8 électrons une sous-couche), se transformant en ion Cl. Le chlorure de sodium ainsi formé est un composé ionique Na+Cl. Au contraire, deux atomes de chlore mettent en commun leurs électrons périphériques pour former la molécule covalente Cl2, où les 14 électrons appartiennent de façon indiscernable à l’ensemble des deux atomes. Les gaz rares, tous dotés de 8 électrons extérieurs, sont chimiquement inertes (encore qu’on ait récemment préparé des composés de ces gaz, et qu’on en ait aisément compris la structure, de sorte qu’on aurait pu les prédire !).

Toutes ces considérations sont très grossières. Seule, répétons-le, la mécanique quantique, appuyée sur l’énorme arsenal de faits apportés par l’étude systématique des spectres atomiques et moléculaires ainsi que des propriétés magnétiques, par la détermination des structures cristallines, par la thermodynamique, etc., permet de se faire une idée correcte de la constitution des molécules. Encore n’est-ce exact qu’en principe, car les calculs deviennent rapidement inextricables même pour des molécules relativement simples. Mais pour celles qu’on a pu traiter les résultats sont quasi parfaits ; et les grandes calculatrices électroniques dont on dispose maintenant permettent d’espérer une prochaine attaque, avec quelque chance de succès, de cas plus complexes.


Les réactions chimiques

« Il y a un fait plus important que l’espèce chimique, et qui la domine, c’est la réaction même qui la crée ou la détruit. » (A. Job, 1908.)

Dès avant la révolution chimique, on savait que les réactions dépendent non seulement de la nature des espèces chimiques réagissantes, mais de conditions extérieures comme la température, la dilution, etc. (par exemple, un acide attaque un métal plus vite s’il est chaud ou concentré que s’il est froid ou dilué). Dès le début du xixe s., Berthollet* avait énoncé des règles tendant à prévoir les réactions : ainsi deux espèces chimiques en solution réagiraient entre elles si l’un des produits de réaction possible était susceptible d’échapper à la solution, soit qu’il soit insoluble, soit qu’il soit gazeux (exemples : les acides attaquent les carbonates en libérant du gaz carbonique ; le sulfate de sodium réagit sur le chlorure de baryum en donnant du sulfate de baryum pratiquement insoluble, etc.). Mais on pensait très généralement que c’était « tout ou rien » : une réaction n’avait pas lieu, ou se produisait jusqu’à consommation complète de l’un au moins des réactifs. La célèbre expérience de Lavoisier montra que, en vase clos, l’oxyde de mercure se dissocie à haute température en oxygène et mercure, mais que ces deux éléments peuvent se recombiner à température plus basse pour former de nouveau l’oxyde initial. D’autres cas furent reconnus où deux réactions inverses l’une de l’autre sont possibles (exemples : décomposition de l’eau par électrolyse en hydrogène et oxygène qui, mélangés, explosent et redonnent de l’eau sous l’action d’une étincelle électrique ; action lente et incomplète d’un acide sur un alcool, formant un ester et de l’eau, tandis qu’un ester, en présence d’eau, s’hydrolyse partiellement en acide et alcool...). Et l’on acquit ainsi la conviction que des réactions opposées peuvent coexister, conduisant à des systèmes en équilibre chimique.

Très tôt aussi, on observa que des réactions chimiques se produisaient en dégageant de la chaleur et on mesura de nombreuses chaleurs de réaction (Julius Thomsen, Berthelot*).

Ces deux notions d’équilibre chimique et de chaleur de réaction allaient conduire à la théorie moderne des réactions chimiques.