Chili (suite)
De 1931 à 1963
L’entrée des classes moyennes et populaires dans la vie politique explique l’instabilité foncière du Chili depuis 1925 : la gauche et la droite, sous des étiquettes changeantes, sont permanentes, mais le centre penche tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Cela explique l’allure européenne de la courbe politique chilienne : le Chili est le premier pays d’Amérique latine à avoir un gouvernement de Front populaire (1938) après un second passage au pouvoir d’Arturo Alessandri (de 1932 à 1938). Mais l’alliance de tous les mouvements de gauche et du centre en 1938 pour « du pain, un toit, une chemise » est incapable de résoudre les problèmes structuraux de la nation, et, en 1948, le parti communiste est mis hors la loi.
En 1952, Carlos Ibáñez revient au pouvoir, porté par la lassitude des masses. Les communistes et l’extrême droite nationaliste votent pour lui, espérant qu’il va instaurer un péronisme chilien. Mais Perón est sur son déclin. Ibáñez ne peut que suivre une politique moyenne, conditionnée par la vente du cuivre aux États-Unis.
En 1958, Jorge Alessandri (né en 1896), fils d’Arturo, candidat conservateur, est élu à la présidence ; il choisit d’ « administrer le pays », qui, selon lui, n’a pas besoin de réformes. Intègre et populaire, ce représentant de l’oligarchie termine son mandat dans le calme (1963). Pourtant, une fois encore, le Chili fait la preuve de son imagination politique en choisissant d’essayer la solution de la démocratie chrétienne.
La présidence d’Eduardo Frei (1964-1970) et l’élection de Salvador Allende
La démocratie chrétienne, née d’une scission du vieux parti catholique conservateur, n’a commencé à se donner des bases populaires qu’en 1957, après la débâcle du Front populaire et l’échec d’Ibáñez. En 1964-65, profitant du déclin des partis de droite, elle prend le pouvoir et promet une « révolution dans la liberté », révolution de l’humanisme intégral, ni capitaliste ni communiste. En cinq ans, le gouvernement dirigé par Eduardo Frei (né en 1911), combattu par la droite, attaqué par la gauche et paralysé par le conflit entre l’exécutif et le législatif, introduit lentement de nombreuses réformes économiques et sociales ; il amorce une réforme agraire et la « chilénisation » des richesses minières.
Mais les structures économiques et sociales restent caractérisées par l’inégalité de la répartition des terres et des revenus, par l’emprise du capital américain sur les richesses du sous-sol (cuivre et fer) et par une inflation permanente.
Contrairement au stéréotype que l’on a de l’Amérique latine, le Chili n’est pas un pays agricole « féodal » essayant de créer une base industrielle, mais un pays à demi développé qui a connu une maturité industrielle et qui possède une structure en classes très différenciées : une classe moyenne nombreuse et disparate ; une classe ouvrière qualifiée et dans l’ensemble consciente, animée par un marxisme dont les racines sont déjà anciennes ; une classe possédante dont la richesse s’est faite dans les mines, le commerce et la terre. Les nombreux problèmes économiques et sociaux d’un développement en perte de vitesse sont à la base des succès de la gauche marxiste et réformiste.
La présidence de Salvador Allende (1970-1973)
À la suite de sa victoire aux élections de septembre 1970 et du vote du Congrès en octobre, Salvador Allende (1909-1973), chef d’un nouveau Front populaire où se côtoient des chrétiens de gauche, des socialistes et des communistes, devient président de la République. Dès son arrivée au pouvoir, il entreprend de profondes réformes de structure (nationalisations). Mais il se heurte à une opposition croissante de la part des milieux d’affaires et des classes moyennes. Les grèves des transporteurs routiers provoquent, en particulier, des difficultés économiques. En septembre 1973, l’expérience d’Allende se termine tragiquement avec l’intervention brutale de l’armée et la mort du président dans son palais.
La dictature militaire (depuis 1973)
Le nouveau régime militaire, dirigé par le général Augusto Pinochet (né en 1915), président de la République à partir de 1974, suspend toute activité politique et organise une sévère répression contre la gauche chilienne. Sur le plan économique, il se heurte à des difficultés majeures.
J. M.