Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chevalerie (suite)

En fait, utilisé avec une relative parcimonie, ce droit que s’était réservé le souverain d’armer de nouveaux chevaliers n’entraîna pas le renouvellement de leur caste, qui tendit à se restreindre aux vieux lignages chevaleresques. Les chevaliers n’avaient jamais été très nombreux (moins d’un lignage par paroisse en Maçonnais vers 1100), sauf dans les pays abondamment pourvus en terres riches (2 800 fiefs en Normandie en 1172) et dans ceux où les guerriers professionnels étaient entretenus par le seigneur à son domicile, tels les milites de dominio de l’Angleterre de 1166. Ils virent leurs effectifs se stabiliser et même se réduire dès la seconde moitié du xiiie s. : la difficulté de créer de nouveaux fiefs en raison du manque de terres disponibles, la crise des fortunes nobiliaires, qui, dans de nombreuses régions, alourdit encore le coût de l’équipement, la capacité, désormais reconnue aux descendants d’un chevalier, de, prétendre au bénéfice de ce rite, de pouvoir le transmettre à ses héritiers tout en jouissant soi-même des mêmes droits que ceux qui étaient accordés aux adoubés (chartes royales concédées aux gens d’Oppenheim en 1226, 1269 et 1275), tous ces faits incitèrent de nombreux fils de chevaliers à retarder leur adoubement et même à rester damoiseaux ou écuyers à partir de 1235-1240. Mais cette renonciation à regret introduisit au sein « de la classe aristocratique un élément non négligeable de discorde et de ségrégation » à l’heure même où la transformation de la classe chevaleresque en caste alimentait contre elle un courant d’hostilité chez ceux qui se trouvaient à jamais exclus de ses privilèges. Mais peut-on encore parler de chevalerie ? Mieux vaudrait, selon une expression de Guy Fourquin, la qualifier de « chevalerie noblesse » : elle perdait son caractère de « classe d’initiés », mais « restait, par contre, et restera toujours une classe de genre de vie » fière de son passé, de ses armoiries, jalouse de ses privilèges et dont l’idéal, essaimé dans tous les territoires où combattirent et où s’implantèrent les guerriers francs, notamment à la faveur des croisades (États latins du Levant), avait ou devait inspirer les ordres de chevalerie : Templiers, hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, chevaliers Teutoniques, chevaliers Porte-Glaive, etc. Mais, dans le même temps, sous l’influence des romans de chevalerie et des romans courtois, les chevaliers laïques songeaient de moins en moins à atteindre un suprême degré de perfection morale qu’à réaliser des exploits mêmes extravagants pour l’amour de leur dame. Ainsi s’achevait la dégénérescence d’une institution réduite à n’être plus, depuis la fin du Moyen Âge, qu’un degré de la noblesse.

Adoubement

Cérémonie d’initiation destinée à « faire un chevalier » selon un rite précis, dont la mention n’apparaît dans les documents que dans la seconde moitié du xve s., l’adoubement débutait par la remise des armes (épée, lance, éperons, haubert, heaume et bouclier) au jeune impétrant par un chevalier plus ancien qui lui servait de parrain. Presque toujours, celui-ci lui assenait aussitôt du plat de la main un grand coup sur la nuque et sur la joue : la « colée », ou « paumée », que les Allemands qualifiaient d’« adoubement » (d’un verbe germanique qui signifiait « frapper »). Le terme d’adoubement finit par s’appliquer à l’ensemble de la cérémonie, qui s’achevait par une fête. Étant monté en selle, en général d’un seul bond et sans éperons, le nouveau chevalier s’efforçait de transpercer d’un seul coup de lance un mannequin de bois protégé par un solide bouclier ; le mannequin, placé sur un pivot, tournoyait sur lui-même s’il n’était pas frappé en plein cœur et lançait une lourde masse sur la nuque du chevalier maladroit, ainsi couvert de honte. Un tournoi, un grand festin, les tours des jongleurs, la lecture de chansons de geste terminaient généralement la cérémonie.

En fait, son rite essentiel restait la colée, qui avait peut-être moins pour objet de commémorer l’entrée en chevalerie que de transmettre, par un contact direct entre le corps de l’adoubeur et celui de l’adoubé, l’« influx » chevaleresque du premier.

Éducation du chevalier

L’art difficile de la guerre nécessite un long apprentissage, que le père peut donner à son fils, mais qui est le plus souvent le fait d’un riche parrain laïque auquel les parents confient le jeune postulant dans l’espoir que celui-là pourvoira à son équipement et peut-être même lui concédera un fief nourricier.

Laissé aux mains des femmes jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de raison (sept ans), l’enfant est, pendant cinq ans environ, initié par son père aux premiers secrets de l’équitation, de l’escrime et de la chasse. Il est ensuite confié en général à son suzerain immédiat, dont il devient l’un des nourris. Qualifié de damoiseau s’il est de noble race ou de varlet si sa naissance est moins illustre, il doit d’abord remplir au service de son maître d’humbles besognes domestiques : l’aider dans sa toilette et dans sa vêture ; soigner, dresser, harnacher et présenter ses chevaux ; servir et découper les mets à table ; préparer les armes de chasse et dresser les chiens et les faucons qui traqueront le gibier ; enfin et surtout entretenir les armes guettées par la rouille, vérifier la résistance de chacun des éléments de la cotte de mailles, s’assurer de la taille et du fil des armes offensives. Par là débute l’éducation véritable du futur chevalier, qui la parfait en suivant son maître jusqu’aux abords du champ de bataille, où, théoriquement, il doit se contenter de porter son écu — d’où son titre d’écuyer — et de tenir des armes de rechange à sa disposition, mais où il lui arrive très souvent de participer personnellement au combat si les circonstances le commandent. Au bout d’un laps de temps assez variable, mais qui a eu tendance à s’allonger de trois à neuf ans entre le xie et le xiiie s., le jeune guerrier âgé de quinze à vingt ans est enfin reconnu apte à entrer en chevalerie par l’adoubement. Sa vie d’homme commence.

P. T.

➙ Courtoise (littérature) / Féodalité / Noblesse / Vassalité.