Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chawqī (Aḥmad) (suite)

Comme dramaturge, Chawqī est aujourd’hui totalement dépassé. Et pourtant, dans l’histoire du théâtre arabe, il aura marqué un tournant décisif. Ses drames en vers ou en prose se ressentent certes de l’influence de Hugo, mais Chawqī a su, par le choix du sujet, leur imprimer un caractère nettement égyptien : le Meurtre de Cléopâtre (1929) et Cambyse (1931) évoquent non pas simplement deux événements de l’ancienne Égypte, mais aussi la tragédie d’une nation courbée sous l’envahissement ou impuissante à demeurer libre ; dans ‘Alī Bey le Grand (‘Alī bak al-Kabir, 1932), c’est l’effort héroïque d’un homme qui se voue à la libération de son peuple ; par le souvenir littéraire qu’ils évoquent, les drames de Madjnūn et Laylā (1931) et de la Princesse d’Andalousie sont la traduction scénique de deux épisodes fort célèbres du Moyen Âge arabe. Dans ce théâtre, les personnages tendent beaucoup plus à être des symboles que des incarnations historiques ; sur bien des points, ils rappellent ceux de Hugo par leur sublimité schématique et leur éloquence. L’accueil fait à ces œuvres, sans chaleur au début, s’est teinté d’enthousiasme vers 1932, lors des reprises faites en l’honneur du vieux poète. Mais nul ne s’y est vraiment trompé, et ces drames, conçus pour un public de double culture, ne suscitent plus aujourd’hui qu’une curiosité d’estime. À Chawqī, toutefois, revient le mérite d’avoir dégagé le théâtre égyptien des voies périlleuses d’une simple adaptation.

Chawqī s’est essayé avec succès dans le poème en prose, rythmé et assonancé, et ses Marchés de l’or (Aswāq al-dhahab, 1932) se lisent encore avec agrément. C’est toutefois dans les quatre volumes de vers réunis sous le titre d’Al-Chawqiyyāt (1925-1943) qu’est à rechercher l’incomparable talent de ce poète malheureusement inégal. Ici encore, tout en restant dans la tradition arabe, le novateur chez lui s’impose et interdit tout retour en arrière. Chawqī use des mètres classiques sans s’interdire les hardiesses révolutionnaires ; il se soumet à la règle des compositions monorimes, mais il n’exclut pas le recours à la construction strophique. Ses poèmes, d’une longueur rarement atteinte par les vieux maîtres, révèlent chez lui une incontestable maîtrise de l’instrument poétique. Sa langue est riche, à la fois classique et modernisée, souvent un peu trop noble, mais d’un éclat et d’un art qui l’égalent à celle des plus grands. Certaines odes, comme celle qui fut lue au Congrès des orientalistes, sont des ensembles d’allure épique à la manière de Hugo dans la Légende des siècles. S’il est difficile de tressaillir d’enthousiasme aux poèmes d’inspiration officielle en l’honneur des hommes en place, en revanche on cède à l’élan qui emporte les pièces où palpite l’amour de Chawqī pour la terre égyptienne et où celui-ci dit sa reconnaissance envers certains de ses chefs, comme Muṣṭafā Kāmil. Le lyrisme personnel revêt chez Chawqī des aspects d’autant plus délicats qu’ils n’éclatent pas en romantique déchaînement, mais en notations discrètes, où le sentiment vaut parfois par l’informulé. En poésie, Chawqī est l’homme des ruptures, des refus qu’on décide par clairvoyance et des abandons auxquels on cède par nécessité. Même dans sa regrettable poésie officielle, il parvient à des renouvellements thématiques inconcevables chez les maîtres du Moyen Âge. Que dire de son inspiration lyrique, tout imprégnée de cosmopolitisme littéraire, délivrée des servitudes ancestrales et des épanchements d’une sensibilité encore tributaire de l’« esprit courtois » ? Avec lui, c’est tout un monde nouveau qui pénètre le lyrisme d’expression arabe ; l’univers physique s’élargit et fait leur place à des paysages inconnus ; l’amour de la terre natale se transmue en culte de la patrie ; la fierté éprouvée à l’égard des grands ancêtres inclut le respect pour l’œuvre d’étrangers comme Shakespeare et Verdi. Sans doute, bien des hasards ont présidé à ces ruptures et à ces annexions. Mais la réalité demeure, et, après Chawqī, un retour aux frontières anciennes est inconcevable. L’œuvre de Chawqī nous apparaît comme un adieu adressé à un idéal littéraire définitivement aboli.

R. B.

 H. Pérès, Aḥmad Šawqī (trad. du manifeste autobiographique de Chawqī en tête de son premier recueil de vers [Le Caire, 1898], dans Annales de l’Institut d’études orientales d’Alger, 1936). / K. Brockelmann, Geschichte der Arabischen Literatur (Supplementband, III, 21) [Leyde, 1940-1942]. / M. Mandūr, Conférences sur l’œuvre de Chawqī (Le Caire, 1955). / J.-M. Landau, Studies in the Arab Theater and Cinema (Philadelphie, 1958 ; trad. fr. Études sur le théâtre et le cinéma arabes, G.-P. Maisonneuve, 1965). / S. Achtar, Chawqī en Espagne (Damas, 1959).

chemin de fer

Moyen de transport terrestre dans lequel les véhicules moteurs ou remorqués roulent sur un chemin particulier constitué d’éléments métalliques profilés qui assurent également le guidage des roues.



Naissance, développement et évolution technique


Les origines

Les chemins de fer sont nés des recherches faites pour assurer aux véhicules traînés ou remorqués une direction déterminée et une résistance plus faible au roulement. C’est dans les mines, au milieu du xvie s., que se situe la première forme du guidage des véhicules. Pour transporter de lourdes charges dans des espaces souterrains et resserrés en évitant de heurter les parois des galeries, les roues des chariots sont guidées au moyen de rails de bois. Ces « chemins à rails » sortent rapidement des galeries souterraines pour acheminer les marchandises vers les voies navigables. L’emploi des rails, entraînant une diminution de la résistance au roulement des véhicules, présente, par rapport aux routes de l’époque, de grands avantages qui s’accentuent encore lorsque, dans la seconde moitié du xviiie s., apparaissent les rails métalliques et le cerclage des roues. La voie ferrée attire alors l’attention des ingénieurs et des transporteurs, qui commencent à construire des sections d’embranchement pour assurer la liaison avec les canaux et les cours d’eau. Tant que les chevaux furent la seule source motrice utilisée, ces liaisons restèrent toujours limitées à des lignes d’intérêt local. L’apparition de la machine à vapeur devait en modifier profondément l’exploitation. Le 21 février 1804, la première locomotive du monde, conçue par le Gallois Richard Trevithick (1771-1833) et réalisée avec la collaboration de son cousin Andrew Vivian, accomplit son premier trajet sur la ligne reliant les forges de Penydarran, dans le Pays de Galles, à Abercynon, localité située sur le canal du Glamorganshire. L’application de la machine à vapeur aux chemins de fer est accueillie avec une certaine réserve, et il faut attendre que Christopher Blackett et William Hedley (1770-1843), après avoir entrepris les premiers essais d’adhérence en 1813, parviennent à la conclusion que, convenablement chargées, les roues lisses peuvent parfaitement convenir à la remorque des plus lourdes charges pour que les chemins de fer adoptent leur forme définitive. Mais c’est seulement en 1829, après la brillante victoire que remporta The Rocket (« la Fusée ») de George Stephenson (1781-1848) au concours de Rainhill (6-14 oct. 1829), organisé précisément pour trancher la question vapeur ou chevaux, que la locomotive devient l’instrument incontesté de la traction ferroviaire.