Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

agglomération urbaine (suite)

Très vite, on s’est aperçu que ces définitions de la ville étaient insuffisantes. Avec l’apparition des moyens de transport collectifs ou individuels rapides, l’habitude s’est souvent prise d’aller s’installer loin des centres, dans des zones purement rurales : l’être urbain cesse de se caractériser par la continuité. Et le sens des mots s’est transformé : on en est venu à parler d’agglomération urbaine pour désigner des ensembles dont la population n’est pas toute agglomérée au même lieu.

L’espace urbain comprend alors une zone occupée de manière continue par des constructions, puis un espace de banlieue externe qui comporte des noyaux bâtis de manière dense, des zones de construction diffuse, mais aussi des parcs, des aires de détente, des installations annexes de la grande ville, des cultures de plein champ. On a bien affaire là à une banlieue au sens ancien du terme (celui de zone rurale transformée par la proximité de la ville), mais cette banlieue est mêlée d’une manière intime aux zones résidentielles, si bien qu’il n’est plus possible, comme dans le passé, de faire passer entre les deux les limites de l’espace urbain.

Les règles de délimitation des villes aujourd’hui en application dans la plupart des pays du monde traduisent une évolution analogue des réalités. Aux États-Unis, on parle d’aire métropolitaine pour désigner l’agglomération, au sens français contemporain (S. M. A. : standard metropolitan area). Mais l’expression est plus souple que la nôtre et moins contestable dans son principe.

L’élargissement prodigieux des zones ainsi occupées par des populations aux genres de vie urbains crée autour de la ville une zone suburbaine et, au-delà, des aires « rurbaines », dont la population est constituée en majeure partie de non-agriculteurs, mais est trop diffuse pour qu’on puisse parler de villes. On trouve enfin la vraie campagne là où les cultivateurs sont en majorité. Ainsi est-il apparu nécessaire de définir, au-delà des agglomérations urbaines, des périmètres correspondant aux aires rurbaines. C’est ce à quoi correspondent en France les zones de peuplement industriel et urbain (Z. P. I. U.), qui couvrent un quart du territoire national et regroupent, avec les agglomérations urbaines, plus des trois quarts de la population totale.


Vie et fonctions

L’agglomération ainsi définie ne correspond pas à une zone uniformément urbanisée. On peut y retrouver plusieurs anneaux concentriques (on en décrit fréquemment quatre ou cinq). Mais on a parfois tendance à mélanger les critères historiques, les critères d’occupation du sol et ceux qui sont fondés sur les fonctions économiques dominantes. L’histoire complexe des villes européennes, l’évolution des styles et des goûts y rendent particulièrement sensibles les discontinuités et la succession des époques de construction. Ailleurs, dans le monde anglo-saxon, la stabilité plus grande des goûts n’aboutit pas à des contrastes aussi nets : la prédominance des maisons individuelles, de brique en Angleterre, de bois avec la charpente simplifiée que constitue le balloon frame en Amérique du Nord, rend plus malaisée la distinction des zones d’après des critères de paysage. L’étude des densités conduit là aussi à établir une zonation, mais celle-ci est plus simple que dans les cas précédents. On a de la peine à distinguer plus de trois anneaux : celui des constructions serrées et hautes des quartiers d’affaires du centre ; celui de l’occupation continue par des maisons individuelles ; celui de l’urbanisation partielle.

Dans les villes préindustrielles, la répartition des zones de vie collective active était assez variée. Certains quartiers concentraient tout un secteur d’activité dans leurs limites : ainsi en allait-il souvent des commerces, tassés dans des souks, des fondouks, quelques rues commerçantes ou une place du marché. Les fonctions de direction administrative étaient l’apanage des alentours du palais, comme celles d’administration religieuse l’étaient des alentours de la cathédrale. Mais cette spécialisation n’aboutissait pas toujours à dessiner une opposition nette entre un cœur et des espaces périphériques. Les zones d’activité se regroupaient parfois en un noyau cohérent, mais ce n’était pas une règle absolue. La superficie des villes était limitée, les constructions étaient comprimées dans le périmètre étroit des murailles que les besoins de défense avaient fait édifier. Les déplacements n’étaient jamais longs, et les fonctions centrales pouvaient se répartir entre plusieurs quartiers sans que cela entraîne de gêne.

La croissance de la population urbaine, le besoin d’un espace élargi pour habiter ou pour se détendre rendent plus intenses toutes les formes de compétition pour l’usage du sol. Dans le courant du xixe s., on voit s’accentuer la concentration des activités collectives dans un quartier central, sur le modèle de la Cité de Londres. Au-delà, les zones d’habitation ne comportent que le minimum des équipements collectifs nécessaires à la vie : écoles, terrains de sports parfois. Les villes anglaises demeurent, dans l’immense majorité des cas, organisées sur ce modèle.

L’espace urbain est alors réparti entre deux modes d’utilisation : celui des quartiers centraux et celui des zones d’habitation. Celles-ci présentent toutes certains caractères communs : ceux qui y résident n’y travaillent pas ; ils vont quotidiennement dans le centre, où se trouvent les bureaux, les magasins et, souvent aussi, les usines. La plus grande partie de la superficie de l’agglomération n’abrite durant la journée que des ménagères, des vieillards et des enfants.

Ce sont précisément des rythmes qui définissent la vie en banlieue pour le sociologue : la ville du xixe s. et du début du xxe s. n’admet donc, comme division écologique fondamentale, que l’opposition entre les zones centrales et les espaces d’habitations, qui sont tous des banlieues. Les distinctions plus fines qu’apporte l’analyse du paysage, comme celles qu’autorise l’étude de la composition des populations fournissent des nuances au tableau d’ensemble de la ville, mais les subdivisions qu’elles autorisent se situent dans un continuum.

On comprend mieux dès lors pourquoi s’impose la notion large d’agglomération. Au-delà des apparences du paysage, au-delà des distinctions qui sont nées de l’histoire de la ville, une unité existe, qui naît de la prédominance des migrations de travail : c’est en fonction de la géographie de l’emploi que l’on dessine désormais les limites de l’espace urbain.