Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charles Ier d’Anjou (suite)

En 1259, il se tourne vers l’Italie, où il se constitue une petite principauté autour de Coni. En 1262, le pape Urbain IV lui offre l’inféodation du royaume de Sicile pour échapper à la politique d’encerclement que mène contre lui Manfred, fils bâtard de Frédéric II. Charles d’Anjou est élu aussitôt sénateur à vie de Rome en août 1263. Retardé par un complot antiangevin ourdi en Provence et qu’il fait échouer, il décide de gagner rapidement Rome par la voie maritime en mai 1265. Décoré des insignes de sénateur de la ville le 21 juin, investi du royaume de Sicile le 28, il se trouve pourtant dans une situation difficile, car l’argent et les hommes lui manquent. Avec l’appui du nouveau pape Clément IV, qui consent à hypothéquer les églises romaines et les vases sacrés de sa chapelle, il peut emprunter au total 350 000 livres tournois aux banquiers guelfes de Sienne et de Florence en attendant la rentrée difficile de la décime triennale levée sur l’Église de France. En même temps, la signature d’un traité le 5 août 1265 avec le marquis d’Este, de Mantoue et de Ferrare complète le réseau d’alliances qu’il s’est créé en Italie du Nord depuis mai 1264. Concentrée à Lyon le 1er octobre 1265, son armée gagne sans difficulté, par la Lombardie et la Romagne, Rome, où elle entre quelques jours après le couronnement de son chef comme roi de Sicile le 6 janvier 1266. Dès le 20, elle en repart. La conquête du royaume est rapide : Charles d’Anjou défait et tue Manfred à Bénévent le 26 février, entre à Naples le 7 mars et obtient rapidement la soumission totale du pays, qu’il administrera dans le respect de ses coutumes et de ses institutions. Se conformant aux termes de l’accord conclu avec la papauté, il renonce à la sénatorerie de Rome en mai 1266 et accepte que soit réuni en l’honneur de l’Église un grand parlement des villes du nord de l’Italie qui témoigne en fait de sa propre puissance.

Sollicité par ailleurs, le 15 janvier 1267, par le pape d’intervenir en Toscane, il occupe Florence le 18 avril et devient podestat de cette ville ainsi que de Prato et de Pistoia ; mais, ne pouvant négocier avec Pise et Sienne, il doit assiéger Poggibonsi (15 août 1266 - nov. 1267). En fait, cette intervention a été rendue nécessaire par la reconstitution de la ligue gibeline toscane à l’automne 1266, elle-même liée à la tentative faite par le dernier des Hohenstaufen, Conradin, pour reconquérir la Sicile. Dès l’arrivée de celui-ci à Vérone, le 21 octobre 1267, deux soulèvements se produisent dans la péninsule, dirigés respectivement contre Clément IV et contre Charles d’Anjou, qui perdent presque aussitôt le premier le contrôle de Rome (qui s’est donné en juillet un sénateur gibelin, Henri de Castille), le second celui de la Sicile.

Vainqueur à Tagliacozzo le 23 août 1268 de Conradin, qu’il fait décapiter le 29 octobre suivant, Charles d’Anjou ne termine la reconquête de son royaume que le 27 août 1269 (capitulation des Sarrasins de Lucera). Chassant alors de leurs postes et de leurs terres les grands feudataires qui l’ont trahi en 1268, il fait appel à des Français et à des Provençaux, qu’il charge d’administrer le royaume avec une efficacité financière accrue.

Dès lors il entreprend de faire de la Sicile le centre d’un vaste empire méditerranéen. Détenant déjà dans son bassin occidental la Provence et le Piémont, il tente d’abord d’imposer son autorité en Italie centrale. Proclamé le 17 avril 1268 vicaire impérial en Toscane, où Sienne et Pise se placent sous sa protection en 1270 et en 1272, redevenu sénateur de Rome après Tagliacozzo, il réussit enfin à placer la totalité des États pontificaux sous son contrôle lorsqu’il fait élire pape le 22 février 1281 un Français, Martin IV, qui nomme recteurs (gouverneurs) de ses provinces des officiers angevins. Il se heurte pourtant à la reconstitution en Italie du Nord du parti gibelin, qui met ses espoirs en Rodolphe de Habsbourg, roi des Romains en 1273.

En guerre avec Gênes depuis cette date, il doit évacuer la Lombardie et le Piémont, mais y gagne l’alliance avec Venise, qui favorise sa politique orientale antibyzantine et antigénoise. La base juridique en est les traités de Viterbe des 24 et 27 mai 1267, conclus respectivement avec le prince d’Achaïe, Guillaume de Villehardouin, et l’empereur latin de Constantinople Baudouin II de Courtenay, dont les héritages (principauté et titre impérial) devaient passer finalement à Charles d’Anjou ou à ses descendants par le biais des mariages de Philippe et de Béatrice d’Anjou avec les enfants de ses partenaires.

Allié en outre au roi des Serbes et au tsar des Bulgares, en négociation avec le khān mongol et le sultan mamelouk d’Égypte, Charles d’Anjou peut, dès lors, prendre à revers les Byzantins. Maître, d’ailleurs, de Corfou depuis 1266, prince d’Achaïe dès 1267, il retarde son expédition orientale pour participer à la huitième croisade de Saint Louis, qu’il détourne peut-être vers Tunis pour s’assurer la maîtrise du détroit de Sicile et qui lui vaut d’importants privilèges commerciaux sanctionnés par la paix de Tunis du 1er novembre 1270. Mais, dès février 1270, il occupe Durazzo et, le 21 février 1272, il est proclamé roi d’Epire. Devenu roi in partibus de Jérusalem par rachat des droits contestables de Marie d’Antioche le 15 janvier 1277, il fait occuper Saint-Jean-d’Acre le 7 juin suivant et administrer son nouveau royaume par Roger de San Severino.

Maître, désormais, d’un immense empire maritime, il lèse les intérêts de Gênes et de Pierre III d’Aragon, héritier des droits des Hohenstaufen sur la Sicile par suite de son mariage en 1262 avec Constance, fille de Manfred. Brusquement, un incident, les « Vêpres siciliennes », rixe dégénérant en un massacre de tous les Français résidant à Palerme (30 mars 1282), fournit l’occasion d’une révolte antifiscale aux Siciliens : ainsi est facilité le débarquement à Trapani, le 30 août 1282, des troupes aragonaises de Pierre III.

N’ayant pu reconquérir l’île, Charles d’Anjou veut porter la guerre en Espagne, mais il meurt le 7 janvier 1285, avant que n’ait débuté la croisade d’Aragon sous la direction de son neveu le roi de France Philippe III le Hardi.

P. T.

➙ Anjou / Capétiens / Provence / Sicile.