Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charles V le Sage (suite)

Exerçant la direction effective du gouvernement durant la captivité de Jean II avec le titre de lieutenant du roi (1356-1360), le dauphin Charles se rend aussitôt en Normandie, où il prend les mesures nécessaires à sa défense, puis gagne Paris le 29 septembre 1356. Arrivé seul et sans troupes dans la capitale, il doit y convoquer aussitôt les états de langue d’oïl : ceux-ci sont dominés, d’une part, par le prévôt des marchands Étienne Marcel, désireux de soumettre la monarchie au contrôle d’une assemblée représentative, et, d’autre part, par l’évêque de Laon, Robert Le Coq, chef de la faction navarraise, désireux de placer le roi sous le contrôle de l’aristocratie. Au terme d’une double session (oct.-déc. 1356 et févr. 1357), le dauphin doit accepter une épuration du Conseil royal et la promulgation d’une « Grande Ordonnance » (mars 1357), qui veut imposer la stabilisation de la monnaie, la suppression de l’impôt, sauf le subside de guerre, et la subordination des officiers à un contrôle très strict.

Purement circonstancielle, l’approbation du prince Charles cache mal sa volonté de reprendre en main le gouvernement du royaume (discours aux Halles de Paris le 11 janvier 1358). En fait, la capitale lui échappe, l’opposition des partisans d’Étienne Marcel s’étant renforcée de celle des Navarrais, dont le souverain Charles le Mauvais, délivré par les bourgeois d’Amiens dans la nuit du 8 au 9 novembre 1357, est entré en armes dans la capitale le 30. Étienne Marcel croit alors pouvoir achever la mise en tutelle de la monarchie en s’appuyant sur les Jacques et en faisant assassiner aux côtés du dauphin, le 22 février 1358, deux de ses conseillers, les maréchaux de Champagne et de Normandie. Coiffé du chaperon mi-parti de bleu et de rouge du prévôt des marchands aux couleurs des révoltés, Charles est sauvé, mais n’oublie ni la peur ni l’humiliation qui lui ont été infligées. Ayant substitué, à son titre de lieutenant général celui de régent du royaume, il réussit à quitter la capitale le 25 mars pour présider à Senlis l’assemblée de nobles de Picardie et d’Artois, puis à Provins les états de Champagne, enfin à Compiègne les états dits « généraux ». Il peut ainsi rassembler des troupes qui lui permettent de rentrer en force dans la capitale le 2 août 1358, deux jours après l’assassinat d’Étienne Marcel. Un an plus tard, en mai 1359, il fait annuler par les états de langue d’oïl, réunis à Paris, toutes les concessions faites par la royauté depuis 1356.

Ainsi est mis fin à la crise révolutionnaire parisienne, mais non à la guerre étrangère, que seule la signature de la paix de Brétigny-Calais interrompt temporairement de 1360 à 1364. Ayant relevé son fils Charles de la régence en octobre 1360, au lendemain de sa libération, Jean II le rétablit dans cette fonction pour la durée de son absence lors de son départ pour l’Angleterre le 3 janvier 1364.

Après la disparition du souverain le 8 avril, le prince Charles est proclamé roi sans aucune contestation et sacré le 19 mai à Reims, trois jours après la défaite de Charles le Mauvais à Cocherel. Ayant reconnu Jean IV de Montfort comme seul duc de Bretagne par le traité de Guérande (avr. 1365), ayant liquidé la guerre navarraise par le traité de Pampelune (mai 1365), ayant rétabli la présence française en Flandre grâce au mariage de Marguerite de Flandre, la fille du comte Louis de Mâle, avec son frère Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, Charles V parvient, avec l’aide de Du Guesclin, à débarrasser le royaume de la présence des Grandes Compagnies en 1367, avant d’en chasser les Anglais entre 1369 et 1374 et de 1377 à 1380, peut-être à l’initiative de Louis d’Anjou.

Parallèlement à cette œuvre de reconquête et pour la soutenir politiquement et financièrement, Charles V entreprend de réorganiser le gouvernement royal, faisant appel dans son Conseil à des savants (Raoul de Presles, Nicole d’Oresme, Philippe de Mézières) et surtout à des juristes, tels les chanceliers Jean et Guillaume de Dormans et Pierre d’Orgemont, ou à des hommes issus de la noblesse haute ou basse, tels son conseiller intime Bureau de La Rivière, l’amiral de France, Jean de Vienne et surtout le connétable Bertrand du Guesclin*.

Il accroît en particulier le rôle des généraux conseillers sur le fait des aides, institués par les états de 1355 et que la royauté a groupés en collège en 1360. En déplacement constant pour veiller à la perception de la taille et des aides (l’extraordinaire) ainsi qu’à l’ordonnancement des dépenses, ces officiers supplantent rapidement les trois trésoriers, qui n’assumaient que la gestion des médiocres revenus du domaine (l’ordinaire). Au niveau des provinces, leur action est prolongée par celle des officiers du roi, agissant les uns dans le cadre des circonscriptions administratives et judiciaires traditionnelles (lieutenant général de bailli, lieutenants particuliers, procureurs et avocats du roi), les autres dans le cadre des circonscriptions financières nouvelles, dont les plus importantes sont les élections, gérées par les élus et par les receveurs, et les greniers à sel, administrés par les grenetiers.

Malgré ces progrès de l’administration royale, qui permettent en particulier de financer l’effort de guerre, l’autorité du souverain ne s’exerce pas également partout. Sans doute s’impose-t-elle avec force à Paris, que Charles V reprend vigoureusement en main après la crise de 1358 afin d’en faire sa capitale politique : le palais de la Cité, trop central, est abandonné pour l’hôtel Saint-Paul, plus périphérique ; la construction du donjon de Vincennes est achevée ; l’édification d’une nouvelle enceinte entreprise sur la rive droite par Étienne Marcel est menée à terme et renforcée par la construction de la bastille Saint-Antoine, qui protège Paris à l’est ; la « librairie » du roi, premier fonds de l’actuelle Bibliothèque* nationale, est installée au Louvre. Par contre, en province, la volonté du roi ne peut guère s’exercer à l’intérieur des grandes principautés territoriales, dont les chefs ont acquis une indépendance de fait presque totale (duché de Bretagne, comtés de Flandre et de Foix, et, à un moindre degré, duché de Bourbon et comté d’Armagnac). Il en est de même dans les domaines des provinces apanagées (Anjou, Berry, Bourgogne) : Charles V en confirme l’institution faite par son père au profit de ses frères cadets Louis, Jean et Philippe, dont il augmente parfois les biens territoriaux et qu’il autorise, au moins tacitement, à transformer leurs principautés en petits États dotés d’institutions centralisées à l’instar de celles de la monarchie.