Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chanson (suite)

Suspect pendant l’occupation allemande, malgré le succès des chansons « swing » de Raymond Legrand, qu’interprète Irène de Trébert, le jazz influence de nouveau la chanson après la guerre ; Yves Montand chante certaines œuvres en un style sec, net, tendu (et parfois des blues ou des boogies). Après lui, Charles Aznavour et Gilbert Bécaud (surnommé « Monsieur 100 000 volts » en 1954) s’inspirent du jazz parfois avec frénésie.

Entre 1961 et 1965, une troisième vague, issue du rhythm and blues, déferle sur la France avec la mode du yé-yé, puis celle de la pop music, d’origine anglo-américaine.

Dans les années 70, on peut retrouver l’influence du jazz dans des répertoires aussi divers que ceux de G. Brassens, A. Sylvestre, C. Magny, C. Nougaro ou Barbara.


Le triomphe des auteurs-compositeurs

Le régime de Vichy suscite quelques médiocres chansons de propagande comme Maréchal nous voilà (André Montagard - Charles Courtioux). La Résistance intérieure ne crée pas d’œuvres nouvelles, mais la radio de la France libre, émettant de Londres, diffuse de savoureux pastiches de Pierre Dac sur des airs à la mode (la Défense élastique) et fait connaître l’admirable Chant des partisans (M. Druon - J. Kessel - A. Marly).

Avec la Libération, la chanson va de nouveau changer.


Une nouvelle chanson populaire

Tout en gardant son intérêt pour les vedettes révélées par les années 30 et pour les genres traditionnels comme la valse musette (le Petit Vin blanc), le public est tout de suite attentif à de nouvelles voix, celles de Pierre Dudan (le Café au lait au lit), de Georges Ulmer (Pigalle) et surtout d’Yves Montand.

Interprète, Y. Montand sait apprécier le talent des auteurs, et c’est grâce à lui que Francis Lemarque est bientôt connu du grand public (À Paris). Par la suite, Lemarque mène une brillante carrière en interprétant lui-même ses œuvres dans une tonalité populaire jamais vulgaire (les Routiers).

Yves Montand et Francis Lemarque créent ainsi un nouveau style de chansons populaires dont la poésie, simple et savoureuse, est très directe.

Yves Montand

D’origine italienne (sa famille avait émigré pour fuir le fascisme), Ivo Livi (Monsummano, Italie, 1921) prend le pseudonyme d’Yves Montand. Il commence à chanter en amateur dès 1938. Pendant la guerre, il travaille dans la métallurgie, puis il monte à Paris, où il débute à l’ABC dans un répertoire de style « cow-boy ». Sur les conseils d’Édith Piaf, il s’oriente ensuite vers un répertoire plus équilibré, plus « engagé », où le travailleur devient un héros de chansons : il en chante les joies et les peines (Luna-Park, la Grande Cité). Ce nouveau style très scénique s’inspire du jazz et, en même temps, renoue avec la tradition folklorique.


Guitare et poésie

À la suite de Francis Lemarque, la chanson va bénéficier dans les années 50 d’une étonnante série d’auteurs-compositeurs qui, s’accompagnant le plus souvent d’une guitare, apportent à la chanson une exigence nouvelle de qualité. Stéphane Golmann, Félix Leclerc (venu du Canada), Georges Brassens, Guy Béart, Jacques Brel (venu de Belgique), Léo Ferré, Gilbert Bécaud, Charles Aznavour s’imposent, parfois en quelques mois, comme de grandes vedettes.

Ils confirment une modification du goût du public ; les qualités vocales de l’interprète ne constituent plus l’essentiel de la valeur de l’artiste (comme c’était souvent le cas au temps du caf’conc’) ; c’est la chanson elle-même, c’est le répertoire tout entier (parfois le personnage créé) qui retiennent l’attention. Le micro, le développement de la radio et du disque ont facilité cette mutation, mais aussi le souci de l’authenticité et une exigence plus grande de qualité. En bénéficieront aussi Jean-Claude Darnal, René-Louis Lafforgue et de nouvelles voix féminines : Mick Micheyl, Nicole Louvier, Marie-Josée Neuville. Tous écrivent les chansons qu’ils interprètent.

Georges Brassens

Né à Sète en 1921, envoyé à Berlin par le S. T. O., il collabore après la guerre au Libertaire, journal anarchiste. Il écrit aussi des chansons. Sur les instances du chansonnier Jacques Grello et de la chanteuse Patachou, il se décide à les interpréter lui-même (1952), et un prix Charles-Cros en 1954 récompense le Gorille, la Mauvaise Réputation, le Parapluie, etc.

Brassens s’impose rapidement comme le plus grand auteur-compositeur de l’époque ; sa gloire devient comparable à celle de Béranger. L’Académie française lui décerne son grand prix de Poésie en 1967.

Par une alliance heureuse de poésie, de verve et de non-conformisme, son œuvre est propre à séduire les Français ; il passe de la vigueur rabelaisienne (le Pornographe) à une grande délicatesse d’expression (les Sabots d’Hélène) ; son drapeau noir est semé de myosotis. Anticlérical, il intéresse les chrétiens ; individualiste, il chante l’amitié ; parfois misogyne, il écrit aussi de belles chansons d’amour. C’est la riche complexité d’un poète dont l’humanité est toujours perceptible (Chanson pour l’Auvergnat).

D’une grande habileté technique, ses chansons retrouvent aussi la tradition folklorique (À l’ombre du cœur de ma mie) et il a redonné le goût de la rigueur à la chanson contemporaine.


Le style rive gauche

Rendus populaires par les grands moyens de diffusion, ces auteurs-compositeurs élaborent leurs œuvres dans les cabarets qui s’ouvrent après la Libération.

À la fin du xixe s., la chanson littéraire avait abandonné le Quartier latin pour Montmartre, où les chansonniers avaient su créer un style très particulier. À partir de 1945, avec la création du Tabou, la jeune chanson revient sur la rive gauche de la Seine, parfois dans des caves, parfois en d’anciens bistrots. Ces cabarets prolifèrent pendant la belle époque de Saint-Germain-des-Prés : la Rose-Rouge, le Quod libet, l’Échelle de Jacob, l’Écluse, créés de 1947 à 1949, puis l’École buissonnière, la Colombe, le Cheval d’or, la Contrescarpe, le Port du salut, Chez Moineau, etc. Par la suite, le mouvement essaime sur la rive droite, avec Milord l’Arsouille, animé par Francis Claude, et les Trois-Baudets, de Jacques Canetti.