Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

changement social (suite)

La qualification des causes comme « endogènes » ou comme « exogènes » apparaît donc aussi relative que la distinction entre les « idées qui mènent le monde » et les « forces de production qui gouvernent le développement des sociétés ». Plutôt que l’identification des causes ou des facteurs, c’est l’analyse du processus causal qui ouvre les voies à la recherche positive. Cette analyse reste, pour le moment, très sommaire, et les quelques échantillons que nous allons examiner ne sont proposés qu’à titre d’exemples et d’ébauches très insuffisantes.

Pour bien marquer la différence entre le point de vue causal et le point de vue diachronique, partons d’une hypothèse qui a joui longtemps d’une grande faveur. Plusieurs sociologues américains avaient été frappés de ce qu’ils appelaient le « retard culturel » (cultural lag). Ils avaient observé que les croyances, les sentiments, les valeurs changent moins vite que les techniques de production. Ce thème était d’ailleurs au centre de la conception de la vie morale défendue par Durkheim. Tandis que nos sociétés ont modernisé leurs outils, elles en restent, en ce qui concerne les rapports d’autorité, la conception de la solidarité et de la cohésion du groupe, à un stade archaïque. La société industrielle repose sur une sorte d’« individualisme institutionnel », c’est-à-dire sur la contribution de chacun sur la base de la réciprocité ; et pourtant nous continuons à nous montrer, en matière morale au moins, intolérants à l’égard de l’originalité et de l’innovation.

Tant que nous nous contentons d’enregistrer ce retard ou encore d’observer les différentes vitesses d’évolution des multiples activités ou institutions, il n’y a dans notre démarche rien qui ressemble à une recherche causale. Mais nous pouvons faire cette hypothèse — d’ailleurs très insuffisante — que le cultural lag a quelque chose à voir avec la manière dont est constitué, acquis et transmis l’héritage culturel. Nous chercherons à lier ce retard aux formes de l’apprentissage dans la famille, au système d’éducation, à l’importance de la formation que l’individu reçoit sur le tas, à l’impact sur lui des mass media. Nous pouvons même chercher à saisir les liaisons entre ces différentes variables qui, dans notre hypothèse, produisent globalement le « retard » : par exemple, on peut imaginer un type de socialisation que nous appellerons traditionnel, dans lequel les mass media et l’école sont moins importants que la famille et le métier, ou, inversement, un type « moderne », où les fonctions essentielles soient remplies par l’école et les mass media ; ou même encore, on pourra comparer à l’intérieur même du type moderne, selon l’origine sociale des individus, le poids respectif de ce qui est appris à l’école et de ce qui est appris devant le récepteur de télévision.

Nous sommes sortis de la pure diachronie pour repérer dans la succession temporelle quelques moments critiques. Quant à l’étude méthodique de ces moments, il faut, pour la tenter, soulever quelques-unes des questions évoquées par le fameux arrow scheme (schéma en forme de flèche). Supposons deux séries de phénomènes A et B. Dans la série A, reconnaissons des moments t0, t1, ... tn. Dans la série B, distinguons Pour nous faciliter la tâche, supposons un synchronisme entre les deux séries d’événements, et demandons-nous les relations que l’événement, par exemple t0, soutient avec les autres événements dans la série A et dans la série B. On peut imaginer un déroulement linéaire avec une indépendance complète des deux séries. Par déroulement linéaire, il faut entendre que le changement intervenu dans une variable en t0 se transmet de manière constante en t0, t1, ... tn. On peut imaginer aussi que la variation observée en t0 ne se transmet qu’en t2 ; nous nous trouvons en présence d’un phénomène de retard. Sortons maintenant de l’hypothèse d’indépendance entre les deux séries. On peut imaginer que la variation constatée en t0, qui ne s’est pas transmise en t1, se transmet en et fait retour à la série A sous forme d’une variation La prise en considération de ces retards, puis de ces allers et retours entre les séries donne une vue de plus en plus adéquate du processus de changement, dont elle permet de lier les étapes à quelques variations critiques. Une des manières de compliquer l’hypothèse, au lieu de s’installer dans un schéma de déroulement uniforme, c’est de considérer qu’à chaque moment du processus plusieurs éventualités, dont la probabilité est mesurable, sont susceptibles de se produire. Reste alors à se demander si les séries des événements pris en compte font système, quelle sorte de cohérence ces événements ont entre eux, dans quelle mesure et à partir de quel moment ils affectent la loi de variation sur laquelle est construit le développement des séries.

F. B.

 E. Durkheim, les Règles de la méthode sociologique (Alcan, 1894 ; rééd., P. U. F., 1960). / H. Bergson, l’Évolution créatrice (Alcan, 1907 ; rééd., P. U. F., 1960). / E. Halévy, Histoire du peuple anglais au xixe siècle, t. I et III (Hachette, 1912 et 1923). / J. A. Schumpeter, Business Cycle (New York, 1939 ; 2 vol.). / F. von Hayek, Scientism and the Study of Society (Glencoe, Illinois, 1952 ; trad. fr. Scientisme et sciences sociales, Plon, 1953). / K. Lewin, Group Decision and Social Change, in E. E. Maccoby (sous la dir. de), Readings in Social Psychology (New York, 1958). / N. J. Smelser, Social Change in the Industrial Revolution (Londres, 1959). / W. W. Rostow, The Stages of Economic Growth (Cambridge, 1960 ; trad. fr. les Étapes de la croissance économique, Éd. du Seuil, 1960). / E. M. Rogers, Elementos del cambio social en America latina (Bogotá, 1966). / H. Mendras, la Fin des paysans (S. E. D. E. I. S., 1967). / P. H. Chombart de Lauwe (sous la dir. de), Aspirations et transformations sociales (Anthropos, 1970). / G. Balandier, Anthropo-logique (P. U. F., 1974).

Chang-hai

En pinyin Shanghai, la plus grande ville de Chine (environ 10 millions d’habitants), près du Yangzi (Yang-tseu) et de la mer de Chine orientale.