Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Ceylan (suite)

La période de Kandy

Siège de la royauté indépendante de 1592 à 1815, dans un site admirable, Kandy est le dernier centre où se sont épanouies les traditions cinghalaises. Les édifices, au charme coloré, n’ont plus, néanmoins, la classe des constructions antérieures. Tous font une place importante au décor de bois sculpté (ancienne salle d’audience, temple de la Dent-Relique). La sculpture et la peinture acquièrent un caractère plus populaire, une certaine sécheresse et s’accommodent de diverses influences indiennes et occidentales ; mais les arts mineurs conservent une remarquable vitalité.


L’architecture

Porté par trois terrasses étagées, le stūpa (dāgāba) est d’abord hémisphérique, et ce n’est que tardivement que seront définis six types différents. Le yūpa octogonal du sommet fera place à une flèche conique évoquant l’empilement des parasols (viiie s.). Autour du stūpa apparaissent des retables (vāhalkaḍa) de plus en plus importants, des petites chapelles, des autels pour les offrandes. À l’intérieur, une chambre reliquaire, généralement à trois étages, au plafond soulagé par des vides de la maçonnerie, abrite les dépôts précieux. Certains stūpa comportent un soubassement carré, avec emmarchements ; d’autres s’enferment à l’intérieur d’enceintes de piliers et d’une muraille, sans doute associées à des toitures légères (Anurādhapura : Thūpārama ; Polonnaruwa : Thūpārama ; Vaṭadāgē). Pour les sanctuaires, la construction à étages, sur piliers, associant pierre et bois, joue un rôle important.

L’architecture de la première période ne liaisonne la brique qu’au mortier d’argile et assemble la pierre suivant des procédés de charpenterie. Au xie s., les monuments dravidiens élevés par les Cholas seront sans influence sur l’architecture locale, qui, dans la période de Polonnaruwa, revient aux compositions traditionnelles. L’utilisation du mortier de chaux lui permettra de réaliser de vastes salles voûtées pour les images monumentales (Laṅkātilaka). Constamment, l’architecture de Ceylan attache un prix particulier aux perspectives comme à la beauté et à la sobriété du décor.


La sculpture

C’est dans l’art du bas-relief et dans ses ensembles rupestres que la sculpture révèle ses qualités de distinction, de douceur et d’esprit. Après une première phase très indienne et un peu raide, elle connaît son âge d’or dans la période d’Anurādhapura, et les réalisations des viiie et ixe s. sont d’une qualité que ne retrouvera plus l’art de Polonnaruwa, déjà un peu maniéré, en dépit de la grandeur mesurée de certaines œuvres (« Parākrama Bāhu » de Polonnaruwa). Sauf dans l’art du bronze, très libre, la ronde-bosse paraît souvent hiératique, et une tendance à la stylisation s’impose à partir du xiiie s. pour aboutir à l’art conventionnel de la période de Kandy, la vie se réfugiant alors dans la sculpture sur bois et dans l’art des ivoiriers.


La peinture

L’élégance de l’art du bas-relief se retrouve, alliée à un graphisme très sûr, dans les célèbres peintures de Sīgiriyā, proches de l’art d’Ajaṇṭā*, et dans celles des chambres reliquaires. Les unes et les autres témoignent de la qualité des œuvres de la période d’Anurādhapura, comme les « fresques » deTivaṅka caractérisent l’art de Polonnaruwa. La période de Kandy se fait moins raffinée, mais, très active, pleine de verve, elle donnera à sa production la saveur de l’imagerie.

J. B.

➙ Inde / Thaïlande.

 A. K. Coomaraswamy, Medieval Sinhalese Art (Broad Campden, 1908 ; 2e éd., New York, 1956). / S. Paranavitāna, The Stūpa in Ceylon (Colombo, 1946) ; Art and Architecture of Ceylon (Colombo, 1954). / D. T. Devendra, Classical Sinhalese Sculpture, c. 300 BC to 1 000 AD (Londres, 1958). / N. Wijesekera, Early Sinhalese Sculpture (Colombo, 1962). / H. Mode, Die buddistische Plastik auf Ceylon (Leipzig, 1963). / D. B. Dhanapala, Peintures de temples et de sanctuaires à Ceylan (Flammarion, 1964).

Cézanne (Paul)

Peintre français (Aix-en-Provence 1839 - id. 1906).



Introduction

Il n’est sans doute aucun artiste moderne qui ait été aussi méprisé par la grande masse de ses contemporains pour devenir ensuite un inspirateur commun à tant de courants divers durant un demi-siècle, et dont l’œuvre ait suscité de pareilles difficultés d’interprétation. Parfois taxée de besogneuse platitude, elle est pour la plupart des « connaisseurs », en dépit de ses maladresses réelles ou apparentes, d’une richesse et d’une plénitude exceptionnelles.

Moins bien reçue encore, de son temps, que celle des autres impressionnistes (au sens large du terme), cette œuvre édifie progressivement, sans les ruptures violentes qui suivront, un rapport nouveau de la nature et du fait pictural, premier en date des deux grands pôles qui orienteront le xxe s., le second étant représenté par la contestation culturelle du dadaïsme. Mis à part quelques académies du temps de ses études de dessin, Cézanne, dès ses débuts et un peu à la manière de Daumier*, s’évade de la représentation traditionnelle à la fois en transgressant certains des principes de la perspective « scientifique » instituée par la Renaissance et en fuyant le « fini » des académistes de son époque. Il entendra, selon les propos qu’ont recueillis ses divers interlocuteurs, réaliser dans son art une « harmonie parallèle à la nature » et « faire de l’impressionnisme quelque chose de solide et de durable comme l’art des musées ». Cette répugnance à l’égard de l’aspect « périssable » de l’œuvre d’un Monet* ou d’un Pissarro* nous met au cœur des conflits internes qui caractérisent la personnalité de Cézanne et dont on ne peut douter qu’ils aient déterminé non sa vocation de peintre, qu’une probable « sublimation » ne suffit pas à expliquer, mais du moins le cours de son œuvre et sa fécondité.

On s’accorde à voir en Cézanne un écorché vif, un immature affectif « vivant en retrait de la société ou lui manifestant malencontreusement son agressivité » (Dr Gaston Ferdière). Désarmé devant les tracas quotidiens et la difficulté des rapports humains, toujours insatisfait aussi, il choisit la fuite en de perpétuels changements de résidence. Il cherche des refuges et, son mariage n’ayant guère été une réussite, déclare dans sa vieillesse : « Je m’appuie sur ma sœur Marie, qui s’appuie sur son confesseur, qui s’appuie sur Rome. » Mais, jaloux de sa liberté (« personne ne mettra le grappin sur moi »), c’est encore dans le travail solitaire qu’il trouvera le meilleur réconfort : par-delà les incertitudes longtemps affichées et les crises de découragement (toiles détruites ou laissées inachevées), il y exercera une volonté qu’au vu du développement entier de son œuvre on peut juger lucide et inflexible. Rebelle aux théories et n’empruntant, aux peintres qu’il admire, rien qui ne soit conforme à son authentique sentiment intérieur, il passera de l’expression provocante de sa subjectivité à des synthèses successives qui lui permettront, en reprenant contact avec la réalité sensible puis en la dépassant, de résoudre ses obsessions dans un parti créateur.

Il est commode de distinguer quatre phases dans cette évolution, mais sans perdre de vue que la dialectique qui s’y dessine d’étape en étape admet maints retours sur elle-même et qu’elle est souvent présente dans la dualité même de telle ou telle œuvre prise en particulier.