Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

César (Jules) (suite)

Pharnace, fils du grand Mithridate, entreprend de renouveler les exploits paternels : il attaque les rois de Cappadoce et de Petite Arménie. Mais ceux-ci ont fait leur soumission à Rome : le légat Cneius Domitius Calvinus attaque Pharnace, mais se fait battre à Nicopolis (déc. 47). César vient à son tour, réunit des troupes, écrase ses adversaires à Zela et écrit, désinvolte : Veni, vidi, vici (Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu) [2 août 47].

L’hiver suivant, il est en Afrique, où se sont réfugiés de nombreux républicains. À l’issue d’une campagne difficile, il les massacre en grand nombre à Thapsus (6 avr. 46). Quelques-uns se suicident, dont Caton d’Utique.

Les pompéiens se sont alors regroupés en Espagne, sous Cneius Pompeius, fils du grand Pompée, et à la faveur de désaccords entre les césariens. À Munda, au sud de Cordoue, César en vient à bout en un combat ultime, mais sans pitié (17 mars 45).

La guerre civile est alors terminée. César n’a plus qu’un an à vivre : en quelques mois, il transformera la république romaine en un empire.


Politique intérieure

Dans l’intervalle des campagnes, son pouvoir politique s’est fortifié. César a été soutenu par ses partisans, s’est acquis de nouveaux honneurs, même en son absence de Rome. Il est de nouveau dictateur, puis consul pour cinq ans, dictateur pour dix ans, consul pour dix ans, préfet des mœurs pour trois ans (nouvelle tâche créée pour lui, puisque, étant consul, il ne pouvait légalement pas être censeur). Ne pouvant, patricien, devenir tribun de la plèbe, il s’est fait déclarer, comme les tribuns, inviolable et sacré, et s’est arrogé le droit de les déposer. Acclamé imperator, c’est-à-dire général victorieux, à l’issue de ses campagnes, il est devenu, après Munda, imperator dans un nouveau sens du mot, en tant que détenteur de l’imperium, toute-puissance politique, et ce titre s’accole habituellement à son nom.

Ainsi, maître de tout et de tous, il poursuit les réformes et la politique intérieure déjà amorcées dans l’intervalle de ses campagnes ou même au cours de celles-ci. Car, toujours par monts et par vaux, il travaille en voyage. C’est en cours de route qu’il écrit plusieurs de ses œuvres. Il s’entoure d’un secrétariat de plus en plus nombreux, de même qu’il confie des fonctions inédites à ses fidèles. C’est ainsi que s’esquisse le système des bureaux impériaux, parallèles aux magistratures d’origine républicaine. D’intrigant politique, César est devenu homme de guerre, puis administrateur et réformateur. Il se révèle tout aussi brillant dans cette dernière tâche.

D’abord, la sécurité : après les désordres de la guerre civile, César et l’État seront respectés grâce à la loi de majesté. Une lex de vi décourage la violence dans la rue. Les associations sont supprimées en grand nombre.

Ensuite, sous une apparence de réconciliation, d’amnistie et de ralliement, César revient à la politique de recherche de la popularité, c’est-à-dire de démagogie. Son despotisme égalitaire tend à abaisser la noblesse sénatoriale et les hommes d’affaires, mais favorise tous les autres. Il fait grâce aux pompéiens, en libérant les prisonniers, en laissant entrer ceux qui ont fui, en donnant des fonctions à quelques-uns. Cicéron se fait pardonner sa longue bouderie. La clémence ne s’étend quand même pas à tous : il s’agit d’un choix savamment dosé. César relève les statues de Pompée, mais aussi de Sulla. Les fils des proscrits de Sulla cessent d’être inéligibles. Les exilés politiques sont rappelés. Les soldats, eux, outre leur part de butin, bénéficient de lots dans des colonies dont les sites sont bien choisis, car ce sont ceux de grandes villes ou de futures grandes villes : Séville, Narbonne, Arles, Corinthe. Au peuple de Rome, César cherche à procurer du travail et propose des terres à ceux qui veulent quitter la ville. Il limite à 150 000 les participants aux distributions publiques, mais étend les limites de la ville, qu’il gratifie de nouveaux monuments : Saepta Iulia ; nouveau Forum, avec basilique, temple de Venus Genitrix et bibliothèque, la première bibliothèque publique de Rome. Il fait davantage encore pour les provinciaux. Il distribue le droit latin, et il l’accorde notamment à la Sicile. Il en est de même du droit de cité, dont la Cisalpine bénéficie. Les abus des sociétés financières sont réprimés, et les impôts directs ne sont plus affermés (on a pensé que ce pouvait être une des causes de sa chute !). La lex Iulia municipalis accorde une appréciable autonomie aux colonies et aux municipes. Il s’amorce ainsi une décentralisation de l’État, comme pour rapprocher le monde romain du type hellénistique de la confédération des villes. Sur le plan religieux, même, César se garde bien de proscrire les religions exotiques. Il laisse les peuples soumis pratiquer le culte de Mithra ou d’Isis. Les mystes de Bacchus reçoivent, eux aussi, la permission de célébrer les bacchanales au grand jour. César est tolérant même à l’égard des Juifs, pourtant adversaires de tout le paganisme classique : les synagogues sont autorisées à fonctionner, et le grand prêtre de Jérusalem est habilité à percevoir la taxe d’entretien du Temple.

Parmi ces dispositions, souvent destinées à rallier les populations, on remarque des vues quasi prophétiques et des réformes de valeur durable. César esquisse quelques traits de la géographie politique de l’Europe : il est le premier à assigner, de sa propre autorité, le Rhin comme frontière naturelle à la Gaule, et il inaugure l’unité de l’Italie. Il dote le monde du calendrier julien, que l’on utilise toujours. Il pratique une politique économique évoluée : en décongestionnant Rome, ville de fainéants, au profit d’un retour à la terre ; en imposant des taxes douanières à l’entrée des denrées, non à leur sortie, comme c’était l’usage antique ; en restaurant une monnaie saine et en adoptant l’étalon-or. Il accorde aux anciens combattants des emplois réservés, découvre, de beaucoup le premier, « la notion d’incompatibilité appliquée aux fonctions électives ; un minimum de moralité imposé aux élus ; dans les compétitions électorales, le bénéfice de l’âge » (Jérôme Carcopino). Il favorise les familles nombreuses. Il organise — conception combien moderne — la propagande politique, en prescrivant l’affichage des comptes rendus des séances du sénat, comme il a publié au jour le jour ses communiqués de guerre. Enfin, il révolutionne l’instrument du travail intellectuel en adoptant le codex, ancêtre du livre actuel, à la place du rouleau, volumen. Tout cela fait de César « un des plus puissants démiurges qu’ait façonnés l’histoire des hommes » (J. Carcopino).