Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Celtes (suite)

La civilisation des Celtes de l’Antiquité

La cellule essentielle est la tribu, qui prétend descendre d’un ancêtre commun et groupe un ensemble de familles qui vit dans les mêmes lieux ; la tribu se soumet à un chef, un roi, qui n’est autre que le maître d’une puissante famille, dans laquelle le pouvoir se perpétue. Cela, sauf s’il y a conflit avec d’autres familles puissantes qui ont soit des prétentions au pouvoir monarchique, soit le désir de partager le pouvoir dans un cadre oligarchique : c’est ce qui fait à peu près disparaître la royauté dans la Gaule du temps de César, où siègent des assemblées politiques d’hommes libres. Entre tribus, la rivalité et la méfiance règnent. Portés aux palabres, les Celtes envoient beaucoup d’ambassades, qui pratiquent habilement la duplicité et le chantage pour préparer la voie aux expéditions militaires. À l’intérieur de la tribu, le régime de la clientèle lie l’inférieur à son supérieur dans la hiérarchie sociale, sous les armes comme dans la vie civile.

La tribu est très attachée à son terroir, et la propriété est en partie collective. Les villages se dispersent, reliés par des chemins à disposition rayonnante entre eux et à l’oppidum, place forte, à la fois forteresse-refuge pour la guerre et lieu de rencontre épisodique. Les oppida se multiplient surtout à partir du iie s. av. J.-C., en raison des luttes entre cités et de la menace des peuples voisins (Germains). À l’abri de leurs murailles de pierres renforcées d’une charpente interne de bois (murus gallicus), il s’établit peu à peu des agglomérations permanentes artisanales et commerçantes. L’oppidum de Clickhimin, exploré récemment dans les îles Shetland et occupé par des Celtes du ive au ier s. av. J.-C., comporte des habitations à étages, à pans de bois, adossées à la paroi intérieure du rempart. Cela correspond aux descriptions des récits épiques, qui ajoutent que les constructions étaient ornées de crânes de bêtes. Des têtes humaines peuvent aussi servir de décor..., car la guerre primitive des Celtes est considérée comme une chasse aux têtes. On coupe les têtes des ennemis tués et on les cloue au mur ou sur les poutres, ou bien encore on les expose dans des niches appropriées (oppidum de Roquepertuse). On les conserve dans de l’huile de cèdre, car l’âme de l’ennemi mort demeure en son chef. De ces têtes coupées, qui se retrouvent dans l’art plastique (sculptures d’Entremont), il n’est plus question au temps de César.


Les guerriers

L’art de la guerre était fort en honneur chez les Celtes : l’armée se recrutait comme dans la féodalité médiévale, chacun faisant appel à ses parents et à ses fidèles. Les nobles combattaient à cheval, sur des montures qui furent les premières à être ferrées. On employait aussi le char, peut-être armé de faux : les chefs se faisaient inhumer en armes sur leurs chars de guerre. Bien que pourvus de boucliers ornés d’emblèmes, les guerriers se battaient volontiers à peu près nus. Ils employaient la grande épée, ou glaive, et le javelot, se coiffaient de casques métalliques qui, contrairement à la tradition, étaient loin d’être toujours ornés de cornes, sonnaient le combat au moyen d’une trompette à tête d’animal (carnyx) et lançaient sur l’ennemi des chiens armés d’une cuirasse de pointes. Après le combat, le partage du butin était l’occasion de banquets qui leur ont valu la réputation d’ivrognes invétérés. Quand ils n’étaient pas en guerre, les Celtes s’engageaient comme mercenaires, et on les appréciait dans les pays méditerranéens. Ils ont laissé la trace de leur présence jusqu’en Égypte lagide, où ils s’hellénisèrent.


Les druides et la religion

Apparu tardivement (iie s. av. J.-C.), le clergé des druides s’est distingué par son autorité en matière civile, sa science ésotérique et sa croyance en la puissance de l’au-delà, qui l’a fait, dès l’Antiquité, comparer aux pythagoriciens. Il représentait la seule autorité supratribale, ce qui lui donnait le pouvoir d’arbitrage entre tribus : les druides ont été hostiles à l’effusion du sang, de même qu’ils ont dû contribuer à épurer la religion d’une tradition de rites sanglants. Auprès de chaque chef se trouvait un druide-conseil, et la jeune noblesse s’éduquait au contact de ce clergé instruit ; le monde celte lui doit sans doute l’attachement à ses vertus morales guerrières.

Les druides se transmettaient oralement leur savoir, qu’ils entouraient de mystère, le confiant seulement à une minorité, une élite. L’influence acquise tant par cette autorité culturelle que par les pratiques de la religion (divination) sur l’aristocratie des chefs celtes valut au druidisme l’hostilité de Rome, qui voyait en lui le gardien du nationalisme celte. Très organisés, les druides avaient des réunions annuelles à un échelon plus que régional, et ils y élisaient les plus éminents d’entre eux. La forêt des Carnutes (Orléanais) et l’île de Mona (Anglesey) furent de célèbres lieux d’assemblée. Les druides ont utilisé à leur profit les monuments mégalithiques, à tel point qu’on les avait d’abord attribués à leur époque. Sépultures impressionnantes de l’âge préhistorique, dolmens et allées couvertes devinrent ainsi des lieux sacrés des Celtes. En général, les sanctuaires étaient de simples lieux de réunion dans les clairières des forêts ou sous un grand arbre, sans être représentés par des édifices.

Les cogitations mythologiques et cosmogoniques des druides ont enrichi la religion celtique en se superposant à des éléments antérieurs, disparates, réunis au cours de la période de Hallstatt. Il en est résulté une religion pourvue de traits communs à l’ensemble du celtisme, mais aussi d’une vaste variété de dieux locaux. Sous le nom unique de Teutatès, « dieu de la tribu », se cachent des divinités diverses. De ce panthéon dispersé se détachent quelques silhouettes originales et familières : Rhiannon-Epona, déesse-jument, ou le dieu au maillet, ou Cernunnos, divinité cornue, silhouettes conservées par la statuaire d’époque romaine, car les idoles celtiques étaient de bois. Le caractère exact des divinités est assez insaisissable et controversé. Les Anciens avaient, les premiers, cherché des assimilations au panthéon gréco-romain, mais sans prendre garde à la mythologie druidique, peut-être trop secrète. On arrive aujourd’hui à entrevoir les mythes à l’état de survivances dans certaines cérémonies du folklore français. Mais le domaine gaulois semble avoir eu une mythologie peu riche. Au contraire, les récits irlandais et gallois du Moyen Âge se font l’écho d’une foule de mythes antiques, malgré les déformations inspirées par le christianisme et le recul du temps. Récemment, J. Markale s’est essayé à déchiffrer ces textes pour en extraire les éléments anciens, puis pour séparer le mythe du contexte historique original. Ici, nous nous éloignons de la religion pour aborder un art d’enjoliver le passé, assez propre aux Celtes et qui a inspiré à leurs poètes des œuvres qui cachent sous des symboles les épisodes violents d’une histoire réelle — inondations, migrations, invasions et avatars politiques —, enjolivent les catastrophes et héroïsent les guerriers du passé. C’est là le travail d’une civilisation de bavards, de mystiques, de rêveurs, dont les entreprises guerrières ont souvent échoué, mais qui s’en sont consolés en les narrant plus tard comme des succès.