Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Castille (suite)

Jean II (1406-1454), beaucoup plus amateur d’art et de lettres que de politique, n’exerce pas véritablement ses pouvoirs. Pendant sa minorité, la régence est confiée à Ferdinand de Antequera, puis à Catherine de Lancastre ; le roi laisse ensuite le royaume entre les mains de son favori, le connétable Álvaro de Luna. Celui-ci met tout en œuvre pour contrecarrer les plans de la noblesse, qui ensanglante le pays par les guerres civiles qu’elle suscite.

Henri IV l’Impuissant (1454-1474), plus faible encore que son père, après avoir répudié Blanche de Navarre, épouse Jeanne de Portugal, qui lui donne un enfant que la rumeur publique, la noblesse et certains chroniqueurs déclarent illégitime. Il se voit contraint à déshériter Jeanne (à qui l’on a donné le sobriquet de « la Beltraneja », du nom de son père présumé Beltrán de la Cueva) au profit de son propre frère Alphonse. Comme il se rétracte par la suite, la guerre éclate. Alphonse meurt, et la couronne est offerte à sa sœur Isabelle, qui se refuse à l’accepter du vivant de son frère. Le traité de Guisando (1468) stipule qu’à la mort d’Henri IV Isabelle lui succédera. Malgré l’opposition de la noblesse et d’Alphonse V de Portugal, Isabelle, qui épouse, en 1469, l’héritier d’Aragon Ferdinand, est proclamée reine de Castille et de León à Ségovie (1474) ; elle garde sa couronne après les victoires de Toro (1476) et d’Albuera (1479) et le traité d’Alcáçovas, conclu avec le Portugal (1479). Jeanne est envoyée dans un couvent de Clarisses à Coimbra.


La réalisation de l’unité espagnole

Bien que l’économie soit en plein essor, grâce à l’augmentation de la production de la laine, favorisée par la protection qu’accordent les rois à l’élevage, et que la flotte soit l’une des premières de l’Occident, le royaume castillan, à l’avènement d’Isabelle et de Ferdinand, est dans une situation difficile. En effet, l’autorité royale a perdu tout son prestige, et même sa dignité, la noblesse est révoltée, les gouverneurs des différentes places fortes ne se soumettent à aucune discipline, les campagnes sont infestées de bandits et partout sont commis des délits de toutes sortes.

En 1479, à la mort de Jean II d’Aragon, son fils Ferdinand hérite de son royaume. Il ne reste plus alors que trois entités politiques indépendantes : le Portugal, la Navarre et le royaume musulman de Grenade, que les « Rois Catholiques » vont s’employer à reconquérir afin de réaliser l’unité de toute la Péninsule.

Ferdinand occupe la Navarre en 1485 et l’annexe en 1512, ne laissant à la famille d’Albret que la Basse-Navarre. Pour tenter d’unir le Portugal au reste de la Péninsule, les « Rois Catholiques » marient Isabelle avec Alphonse V de Portugal, puis avec Manuel Ier et Marie avec ce dernier après la mort de l’infante Isabelle. L’entreprise la plus importante est la guerre de Grenade, qui dure dix ans (1481-1492) et vise à libérer définitivement le pays de la domination musulmane. Les souverains se servent habilement des dissensions existant entre le sultan Muley-Hacén (Abū al-Ḥasan ‘Alī), son fils Boabdil (Abū ‘Abd Allāh) et son frère al Zagall (al-Zarhall). C’est à la suite de la tentative de recouvrement de l’impôt que les Maures ouvrent les hostilités par la prise de Zahara (1481), à laquelle les Castillans ripostent par la conquête d’Alhama (1482), clé des communications avec Málaga. Un an plus tard, Boabdil, proclamé roi avec l’aide des Abencérages (Banū Sirādj), est fait prisonnier à Lucena et est contraint à se reconnaître vassal de la Castille. Boabdil refusant de livrer Grenade, le siège est mis devant cette ville en 1491 et, le 2 janvier 1492, Isabelle et Ferdinand entrent à l’Alhambra.

Le royaume des « Rois Catholiques » s’étend même au-delà des mers, puisque c’est à cette époque que se poursuit la conquête des Canaries, entamée sous Henri III et concrétisée par la mainmise sur la Grande Canarie, Palma et Tenerife, et que c’est en 1492 que le Génois Christophe Colomb* découvre l’Amérique pour le compte de la Castille.

Dans le domaine intérieur, les mesures qui sont prises tendent à mettre fin aux désordres féodaux.

Les « Rois Catholiques » entreprennent la réforme des clergés séculier et régulier avec l’aide du cardinal Francisco Jiménez de Cisneros (1436-1517). Le choix des membres du clergé est minutieusement fait, et les souverains s’opposent à la nomination d’étrangers à des postes élevés. Afin de réaliser l’unité spirituelle, ils s’efforcent d’éviter toutes sortes de contamination par d’autres croyances religieuses en utilisant la seconde Inquisition, chargée de protéger l’Église catholique contre les hérésies. Le 31 mars 1492, un édit somme les Juifs de se faire baptiser ou de quitter l’Espagne dans un délai de quatre mois. On évalue à 35 000 ou à 36 000 le nombre de familles qui abandonnent alors le pays.

Les finances sont réorganisées, et l’administration de la Justice révisée. La législation du royaume est unifiée.

Les guerres, l’émigration en Amérique, le désir d’aventures et l’attrait qu’exerce l’Église provoquent une certaine désaffection des Espagnols pour l’agriculture. Les souverains favorisent la Mesta — puissante association de producteurs de laine qui est née en 1273 et qui ne disparaîtra qu’en 1836 —, en lui permettant de faire transhumer ses troupeaux sur les terres cultivées, ce qui est préjudiciable aux agriculteurs.

La marine est déjà l’un des atouts de la maison castillane, et elle se développera encore davantage sous Charles Quint et au début du règne de Philippe II.

Isabelle, qui n’a pas uni véritablement la Castille à l’Aragon, que détient son mari, lègue ses possessions à sa fille Jeanne la Folle (1498-1516). Mais, à la mort de Ferdinand, Charles Quint dépossède sa mère (1516) et constitue ainsi définitivement le royaume d’Espagne. Désormais, la Castille va donc suivre le destin historique de la nation tout entière.