Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Castille (suite)

En troisième lieu, la surface cultivée n’est soumise qu’à une exploitation très extensive. L’élevage et la culture s’étant trouvés dissociés du fait de l’évolution historique, la terre des petits paysans manque de fumure ; aussi, le système de l’« año y vez » s’est-il imposé. Il consiste à laisser la terre se reposer en jachère labourée généralement un an sur deux.

Enfin, les techniques agricoles sont demeurées souvent archaïques : on peut encore voir le paysan labourer avec l’araire tiré par des mules ; la fumure est rare, l’élevage, orienté vers la production d’agneaux de boucherie et de lait de brebis, étant une activité toujours secondaire ; les engrais sont peu employés ; la récolte se fait encore à la faux, le dépiquage avec un chariot traîné par une mule sur l’aire à battre, et le vannage au vent. Les rendements sont donc faibles. Ils sont compris entre 8 et 12 q de blé à l’hectare en Vieille Castille, où les semailles sont souvent retardées par des pluies tardives à l’automne ; les gelées printanières y sont fréquentes, et surtout la sécheresse précoce limite la croissance des épis.

La culture du blé reste la base du système : les céréales couvrent même plus de 80 p. 100 du sol cultivé en Vieille Castille, où elles sont presque une monoculture, ainsi que dans certains secteurs de Nouvelle Castille (La Sagra tolédane). L’olivier, qui supporte mal les rigueurs hivernales, n’est abondant qu’au sud du Tage, notamment en Manche occidentale et méridionale. La vigne, autrefois partout présente, n’est plus cultivée aujourd’hui que dans deux régions : le vignoble du Duero produit, à côté de vins de consommation courante, des crus réputés (vins blancs de Tierra del Vino et de Medina, vins rouges de Toro) ; celui de la Manche, qui a connu un grand développement autour de La Solana, Manzanares, Tomelloso, Daimiel et surtout Valdepeñas après la crise du phylloxéra en France et grâce aux voies ferrées, est un vignoble de masse.

Cependant, cette agriculture connaît une certaine modernisation : la motorisation et la mécanisation se développent, permettant des labours profonds ; l’apport d’engrais chimiques, l’utilisation des herbicides (parfois répandus par avion) ont sensiblement amélioré les rendements (de 15 à 20 q à l’hectare). Aussi, la jachère peut-elle être remplacée par des cultures fourragères. Mais ces transformations ne sont possibles que dans les grandes propriétés, car les petites exploitations ne peuvent investir. Or, au nord du Tage, la petite propriété domine largement : les deux tiers des propriétaires de Vieille Castille possèdent moins de 5 ha. Sans doute, les exploitations sont-elles plus grandes, mais le quart d’entre elles couvre de 30 à 100 ha, dont la moitié au moins est en jachère. Enfin, les terres sont divisées en de multiples parcelles de moins de 1 ha : la modernisation suppose donc un remembrement préalable.

La situation des vignerons n’est guère meilleure : morcelé en petites propriétés, le vignoble de Vieille Castille souffre des conditions climatiques peu favorables, et les rendements sont faibles (de 5 à 12 hl à l’hectare). Les années de grosse production, les cours, fixés par les grands propriétaires qui assurent la fabrication du vin, s’effondrent. Les petits producteurs tentent de lutter en se groupant en coopératives, mais subissent la concurrence du vignoble de la Manche, mieux placé. Pourtant, ce dernier est aussi divisé en de nombreux petits propriétaires soumis aux grandes maisons, qui ont accaparé la vinification et la commercialisation.

Au total, les récentes transformations ne font qu’accuser les traditionnelles inégalités sociales, et bien des petits paysans quittent la terre pour la zone cantabrique ou Madrid.

En dehors de Madrid*, en effet, les villes castillanes n’ont eu, jusqu’à une date récente, aucun dynamisme susceptible d’attirer la main-d’œuvre. Beaucoup se sont assoupies après avoir connu un rayonnement de plus ou moins longue durée, dont elles conservent le souvenir dans leurs richesses architecturales, grâce auxquelles le tourisme leur redonne quelque vie : vieilles places fortes (Ávila, Ségovie), anciennes capitales (Tolède, Burgos), anciennes résidences royales (Aranjuez), etc. La plupart des villes ne sont que des marchés ruraux où toute l’activité est centrée sur la « Plaza Mayor » (où se tiennent régulièrement les foires) et les rues à « soportales » (arcades) qui y accèdent. À ces fonctions commerciales, les capitales provinciales ajoutent la fonction administrative.

Cependant, un effort récent d’industrialisation a fait naître des activités nouvelles dans certaines de ces villes. Le Duero, en Vieille Castille, et le Tage, en Nouvelle Castille, par leurs ressources hydro-électriques fournissent l’énergie nécessaire. Valladolid (236 000 hab.) s’est ainsi dotée d’une métallurgie de l’aluminium, de constructions automobiles (Renault) et d’usines chimiques ; à Burgos (120 000 hab.) se sont installées des usines textiles et chimiques ainsi que des papeteries. La proximité de Madrid a, en revanche, nui à l’industrialisation des villes de Nouvelle Castille : seules Guadalajara (32 000 hab.) et Alcalá (25 000 hab.) disposent d’un polygone industriel. Si Puertollano (54 000 hab.) est devenue le centre d’un puissant complexe pétrochimique, alimenté par oléoduc depuis Málaga, elle le doit à une décision politique tendant à réanimer un ancien centre minier qui exploitait des schistes bitumineux et à constituer un pôle de développement dans l’une des régions les plus pauvres de l’Espagne.

R. L.


L’histoire


La naissance de la Castille

Le duché de « Cantabria », qui réunit sous les Visigoths les provinces actuelles de Santander et du Pays basque, les régions septentrionales de Palencia et de Burgos ainsi qu’une partie de la Navarre, n’est pas totalement dominé par les Arabes, qui ne réussissent pas à occuper la zone montagneuse située au-delà du bassin supérieur de l’Èbre, où les habitants conservent leur organisation, leurs lois et leurs coutumes. Alphonse Ier le Catholique, duc de « Cantabria », époux d’une fille de Pélage et roi des Asturies à partir de 739, profite de la famine et des guerres civiles opposant Arabes et Berbères pour constituer entre son petit royaume et les territoires musulmans une sorte de glacis servant de barrage à l’invasion. À partir de 800, la rive gauche de l’Èbre commence à être peuplée et colonisée par des hommes venus de l’autre côté des montagnes ; menacés par les attaques musulmanes, ces derniers progressent avec prudence et marquent leur passage de châteaux forts (castillos), ce qui donne à la région le nom qu’elle porte toujours (Castilla) et qui, en 800, apparaît pour la première fois dans un document. La ligne de l’Èbre est franchie pendant le règne d’Ordoño Ier (roi des Asturies [850-866]), et la frontière s’établit sur la chaîne de montagnes qui sépare les vallées de l’Èbre et de l’Arlanzón, fleuve sur les rives duquel la ville de Burgos est fondée en 884 par le comte Diego Rodríguez. Sous García Ier (910-914), fils d’Alphonse III le Grand (866-910), les chrétiens atteignent le Douro.

Pendant toute cette époque, les territoires castillans sont administrés par des comtes qui dépendent de la couronne des Asturies, mais qui jouissent de l’autonomie et qui assurent leur propre défense contre l’envahisseur musulman.