Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

cartographie (suite)

Parmi les spécialités classiques se place la géodésie, dont on a vu ci-dessus qu’elle cherchait essentiellement à résoudre les problèmes posés par le géoïde qu’est la planète Terre. Ce géoïde est un volume aplati aux pôles et renflé à l’équateur, et dont la connaissance exacte a demandé la mise en œuvre de procédés très particuliers. Bien que la circonférence équatoriale ait été assez correctement évaluée à 39 690 km (au lieu de 40 000 km) par Eratosthène en 235 av. J.-C. à l’aide du gnomon de Syène et de l’obélisque d’Alexandrie, ce n’est qu’au xviiie s. que les missions de Pierre Louis Moreau de Maupertuis en Laponie (1736-1737) et de Pierre Bouguer au Pérou (1735-1744) confirmèrent l’hypothèse de l’aplatissement émise par Newton : à l’arc de 1° en Laponie correspondait une longueur au sol de 57 420 toises, tandis qu’au Pérou elle atteignait seulement 56 750 toises. Par ailleurs, les mesures des inégalités superficielles, montagnes ou fosses marines, doivent être rapportées à une surface de référence qu’on a calculée de façon qu’elle enveloppe au mieux le géoïde : c’est l’ellipsoïde, dont les dimensions varient légèrement suivant les auteurs. Successivement, l’Allemand Friedrich Wilhelm Bessel (1784-1846), en 1841, l’Anglais Alexander Ross Clarke (1828-1914), en 1880, l’Allemand Robert Helmert (1843-1917), en 1901, proposèrent des rayons équatoriaux voisins de 6 378 200 m. L’ellipsoïde international de l’Américain John Fillmore Hayford a, depuis 1909, un rayon équatorial de 6 378 388 m et un rayon polaire de 6 356 912 m. Ce n’est qu’en 1960 que le satellite américain « Tiros I » put envoyer d’une altitude de 800 km, sur nos écrans de télévision, des images confirmant visuellement la courbure terrestre. Mais surtout il marquait le début d’un renouvellement des méthodes géodésiques. En effet, les satellites évoluant à un millier de kilomètres de la Terre peuvent servir de repères qui sont vus simultanément d’un continent à l’autre. Alors que les visées que permet la lunette de théodolite, installée sur une éminence, ne dépassent guère une trentaine de kilomètres, des photographies d’un satellite prises à partir de points terrestres éloignés de 2 000 km peuvent être utilisées pour déterminer les positions relatives de ces derniers. C’est ainsi que les difficiles rattachements de la France à l’Algérie par la Sicile, Pantelleria et la Tunisie en 1876, et par l’Espagne et le Maroc en 1879 ont pu être vérifiés à l’aide d’ « Echo I » à partir d’Agde et d’Ouargla.

Qu’on utilise un appareil classique ou un satellite, les rattachements d’îles ou de continents se font dans le cadre d’une vaste trame de liaisons courbes entre stations de mesure : il s’agit de réseaux de triangulation qui consistent en une mise en place sur l’ellipsoïde de référence de points fondamentaux et géodésiques, formant les sommets de grands triangles sphériques. Avec le nivellement, ou ensemble des opérations conduisant à la détermination des différences d’altitude, et avec le calcul des projections, la triangulation constitue l’essentiel du travail des ingénieurs géodésiens.

Comme on l’a déjà mentionné, les projections, qui sont des systèmes de correspondance entre l’ellipsoïde courbe et la carte plane, s’efforcent non pas de supprimer les altérations, mais de les choisir en fonction de la destination de la carte. Il en existe plus de deux cents, mais qui se répartissent en trois groupes essentiels : celles qui sont calculées pour conserver les angles et qu’on qualifie de conformes ; celles qui conservent les rapports de surface et qui sont appelées équivalentes ; celles qui n’ont aucune de ces deux qualités. Une projection ne peut être à la fois conforme et équivalente. Pour tous les travaux demandant un repérage précis sur le terrain, qu’il s’agisse de navigation, de topographie ou de génie civil, on utilisera des projections conformes. Pour des comparaisons géographiques entre régions de basses et de hautes latitudes, on choisira des projections équivalentes. Ce serait évidemment commettre une grossière erreur que de chercher à déterminer la direction de la route la plus courte entre Paris et Sydney à l’aide d’une équivalente de Mollweide ou de vouloir comparer les deux surfaces forestières d’Amazonie et de Sibérie sur une Mercator conforme.

Les réseaux géodésiques de triangulation peuvent être plus ou moins serrés : on en distingue des densités de quatre ordres. Quand on se place à l’intérieur des réseaux de quatrième ordre, on entre dans le domaine de la topographie. Toutes les opérations topographiques se résument à des mesures d’angles, de distances et de dénivellations. Elles se pratiquent à l’aide d’appareils de visées optiques (alidade sur planchette, lunette de niveau, etc.) qui sont dirigés vers des mires ; mais ces appareils sont de plus en plus remplacés par des telluromètres, qui enregistrent les temps de réflexion d’ondes envoyées sur les points à déterminer. Leur principe s’apparente à celui du sonar utilisé pour les relevés des fonds marins.

La topographie est relayée et complétée par la photogrammétrie, ou science appliquée qui a pour objet de tirer des mesures précises de photographies aériennes ou terrestres. Les premiers essais d’exploitation de photographies semblent dus au capitaine du génie Aimé Laussedat (1819-1907), qui, en 1852, employa ce procédé pour relever les fortifications françaises. Ce n’est qu’en 1901 que l’Allemand Carl Pulfrich (1858-1927) mit au point les mesures stéréoscopiques, c’est-à-dire sur vues en relief, grâce à son appareil « stéréorestituteur » pour clichés terrestres. Le développement de l’aviation pendant et après la Première Guerre mondiale allait naturellement accélérer les progrès de la prise de vue aérienne, et, aujourd’hui, la plupart des cartes sont dressées par « stéréorestitution ». Cette opération consiste à effectuer, à partir de couples de photographies verticales permettant la vue en relief, une série de corrections afin d’extraire de ces documents une planimétrie et une altimétrie rigoureuses. Pour en comprendre l’intérêt et la difficulté, il faut rappeler que les photographies sont des vues perspectives affectées de nombreuses distorsions : outre le déplacement apparent des sommets vers l’extérieur des clichés, dû à l’effet de perspective, les objectifs de la caméra et l’humidité de l’atmosphère déforment le trajet des rayons lumineux, les films de prise de vue peuvent se bomber ou être inclinés, etc. À l’aide d’un « stéréorestituteur » classique et après établissement d’un canevas de préparation, le dessin d’une « stéréominute » d’un huitième de feuille au 1/50 000 demande environ un mois de travail. En associant un « stéréocomparateur » à un « photonumériseur » et à un ordinateur, les ingénieurs d’IBM réussissaient, dès 1965, à obtenir automatiquement l’altimétrie d’une carte en courbes de niveau en moins de soixante minutes (DAMC systems).