Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Carthage (suite)

Après 480 av. J.-C., les artistes carthaginois, coupés de la Grèce, délaissent l’art figuratif. Au tophet, au sud de la ville, les silhouettes humaines sculptées sur les cippes sont de plus en plus schématiques et se transforment en « signes » géométriques au début du ive s. av. J.-C. : les « bouteilles » ont le col et la panse rectilignes ; Tanit, parèdre de Baal Hammon promue Dame de la cité, est invoquée par un triangle surmonté d’une droite et d’un cercle. Le croissant lunaire aux cornes abaissées domine ces emblèmes, qui décorent désormais des stèles à fronton triangulaire de style grec, substituées aux naos et aux trônes. La conception équilibrée et sobre de ces compositions correspond à l’esthétique classique, mais leur transcription linéaire, originale, est l’expression du génie mystique, imbu de la transcendance divine, des Puniques. Cependant, dès la fin du ve s. av. J.-C., Carthage a repris pied en Sicile, et, après chaque victoire, artistes et œuvres d’art insulaires débarquent dans la cité. Un temple de style grec y est construit en l’honneur de Déméter vers 396 av. J.-C. L’hellénisme va de nouveau dominer les arts, mais un hellénisme provincial, désuet. L’industrie du bronze commence à produire des objets de luxe : œnochoés de style étrusque, rasoirs en forme de hache à col de cygne, d’un modèle nouveau qui permet de déceler la présence punique sur un site. Vases et masques-amulettes de verre restent fidèles aux traditions syro-phéniciennes.

Carthage, alliée à l’Étrurie au début de l’ère hellénistique, puis à l’Égypte lagide vers 300 av. J.-C., est toute-puissante et s’efforce de s’intégrer au monde contemporain. Des Grecs ouvrent dans la cité des ateliers qui font école, et, sous leur impulsion, le marbre, l’ivoire, le bronze et le verre sont ouvrés avec talent, les modes nouvelles adoptées. Les ports s’ornent de portiques ioniques. Les tendances mystique et symbolique de l’art hellénistique favorisent son implantation, mais cette conversion est plus apparente que réelle et les Puniques restent attachés à leur culture sémitique. On assiste alors à la naissance d’un art « périphérique » composite, exotique, art illusionniste où l’abstrait se mêle au concret pour évoquer le surnaturel. Stèles votives, lames de rasoirs, œnochoés de bronze, garnitures de coffrets en ivoire, appliques de meubles se couvrent de décors hellénisants, mais ces images habillent des mythes phéniciens. Tanit prend indifféremment les traits de l’Isis alexandrine et de la Déméter sicilienne ; Nikê tropaiophore assiste Baal Hammon ; Shadrapa, égalé à Dionysos, lui emprunte ses emblèmes, le cratère et l’hedera, ses compagnons, les satyres et les bacchantes. Les sarcophages des notables, en marbre, reproduisent une cella grecque ; certains portent sur le toit l’effigie du défunt couché dans la position hiératique de l’orant oriental, la main droite levée. Sur les ex-voto du tophet, des architectures fantastiques, inspirées par les peintures des vases italiens, où des chapiteaux éoliques mettent parfois une note punique, encadrent les emblèmes sacrés. Au iie s. av. J.-C., un art populaire africain, exubérant, est en voie de formation, qui survivra quelque temps à la chute de Carthage (146 av. J.-C.).

Cette fin fut prématurée : les artistes puniques n’avaient pas encore trouvé leur voie. Le rôle de Carthage dans l’histoire de l’art universel n’en demeure pas moins essentiel : sans son action éducatrice, jamais l’art romain d’Afrique n’eût connu un tel épanouissement.

C. P.

➙ Afrique romaine / Hannibal / Phénicie / Puniques (guerres) / Rome.

 W. Schmidt, l’Empire de Carthage (Soc. nouv. d’imprim. et d’éd., 1939). / G. G. Lapeyre et A. Pellegrin, Carthage punique (Payot, 1942) ; Carthage latine et chrétienne (Payot, 1950). / M. Hours-Miédan, Carthage (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1949 ; 3e éd., 1964). / C. Picard, Carthage (Les Belles Lettres, 1952). / C. et G. Charles-Picard, le Monde de Carthage (Buchet-Chastel, 1956) ; la Vie quotidienne à Carthage au temps d’Hannibal (Hachette, 1958) ; Vie et mort de Carthage (Hachette, 1970). / G. Walter, la Destruction de Carthage, 264-146 av. J.-C. (A. Michel, 1959). / B. H. Warmington, Carthage (Londres, 1960 ; trad. fr. Histoire de Carthage, Payot, 1961). / G. Vuillemot, Reconnaissances aux échelles puniques d’Oranie (Klincksieck, 1968). / A. Lézine, Carthage, Utique. Études d’architecture et d’urbanisme (C. N. R. S., 1969). / P. Cintas, Manuel d’archéologie punique (Picard, 1970-1976 ; 2 vol.). / J.-P. Brisson, Carthage ou Rome ? (Fayard, 1973). / A. Parrot, M. H. Chehab et S. Moscati, les Phéniciens (Gallimard, 1975).

Cartier (Jacques)

Navigateur français (Saint-Malo 1491 [?] - id. 1557).


On ne sait rien de la jeunesse de Jacques Cartier. Sans doute a-t-il participé aux expéditions de pêche des Malouins vers Terre-Neuve ; peut-être a-t-il fréquenté, aussi, le littoral lusitanien. En tout cas, sa réputation est assez grande, puisque François Ier le choisit pour diriger une expédition vers les terres inconnues que l’on suppose s’étendre au-delà de celles qui sont fréquentées dans l’Atlantique nord par les pêcheurs bretons et normands : le roi de France, en effet, s’oppose depuis longtemps aux prétentions espagnoles et portugaises sur les terres nouvelles de l’Occident.

Mais plus que des terres nouvelles, c’est un itinéraire secret vers l’Orient que François Ier espère tracer au profit de ses navires marchands : les Espagnols et Verrazano ont déjà montré que le Nouveau Monde forme une barrière continue vers l’ouest ; mais il reste un espoir de se frayer un chemin inédit, dans les hautes latitudes, en direction du fabuleux Cathay.


Découvertes préliminaires

Le 20 avril 1534, Cartier part de Saint-Malo avec deux petits navires et, en vingt jours seulement, il atteint Terre-Neuve. Retardé par les glaces, il se dirige vers l’ouest et la baie des Châteaux par le détroit de Belle-Isle, suit les rivages désolés du Labrador, puis redescend le long du littoral occidental de Terre-Neuve. Il gagne les îles de la Madeleine, puis celles qui porteront le nom de Prince-Edouard. Il achève son exploration en visitant la baie des Chaleurs — qui ne lui ouvre pas la voie de l’Ouest — et en dressant une haute croix sur les falaises de la future baie de Gaspé (24 juill.), ce qui marque la prise de possession du pays au nom du roi de France. Après une rencontre avec les indigènes, finalement amicale, il met la voile pour l’Europe par le détroit de Belle-Isle, emmenant bon gré mal gré deux fils de caciques, qui serviront plus tard d’interprètes. Avec leurs rudiments de français, ceux-ci évoqueront les terres aux richesses merveilleuses où l’on croira reconnaître celles qui ont été décrites par Marco Polo. Pour le coup, François Ier donne une nouvelle dimension à l’entreprise de Cartier : il alloue trois navires au Malouin pour compléter la découverte, la Grande-Hermine, la Petite-Hermine et l’Emerillon. Plusieurs gentilshommes accompagnent l’expédition, qui se met en route le 19 mai 1535.